Jusqu'aux portes du Beffroi

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« Vous L'avez banni des millénaires durant. Et des millénaires durant sa fureur n'a fait que croître. Vous me demandiez qui j’étais, voici votre réponse : je suis le glas de votre histoire ; je vous annonce que les portes du Beffroi ont cédé. Plus rien ne La retient désormais. Acceptez sa venue. Laissez les mondes futurs s'ériger sur vos cendres. Votre tricherie n'a que trop duré. »

- Pulcifer devant le Cœur de l’Orchestre

***


Il fut un temps où le Cœur de l'Orchestre n’était pas un vide accablé par la corruption et l’incohérence. En un âge ancestral, il était même un lieu sacré occupant le centre d'un monde alors à son apogée. Oui. Aussi étrange que cela puisse paraître, la lumière avait un jour caressé ces terres de malédictions, mais rares sont les textes qui ont su traverser les époques. Les lettres sont oubliées. Les versions légions. Certains psaumes content mille cathédrales noyées dans le jour. D’autres évoquent l’existence de basiliques voguant sur des nébuleuses d’encens. On raconte aussi des dérives avec une étendue semblable à notre Grenier à Comètes. Des vérités et des fantasmes. Peut-être est-ce tout cela à la fois ? Nous ne pouvons en être sûrs, et nous ne le serons probablement jamais. Toutefois, de cette poignée de sources mutilées, demeure un fragment intéressant. Dans ses Voyages aux Premières Lueurs, Anthère, alors émissaire de la Reine Rose, nous décrit son point de vue d'étranger découvrant toute la grandeur du Cœur de l'Orchestre :

J’aidai Wyvern des Cimes à la descente du carrosse, quand je sentis sa poigne, d’habitude si forte, passer de branche à bouture. Il ne disait mot. Il ne bougeait même plus. Alors je plongeai le regard au-dehors, ignorant ma témérité bien vite châtiée.

L'éclat des basiliques est éblouissant...

Je vis à travers la barricade de mes mains, la houle aveuglante des cieux. Des soleils. Je contemplais des soleils par milliards ! — Que les racines du monde me gardent, m'écriai-je — La bise emportait mon pollen vers la voûte en fusion qui happait, léchait, dévorait l'espace par ses langues immaculées jusqu'à trouer la toile même de la réalité ! Pourtant la pousse d'en bas que j'étais, ne ressentait sur ses pétales qu'une agréable chaleur. Je n'agonisais pas. Je souriais. J'appréciais, dans la peur, les flammes de cet enfer céleste, si tiède et proche à la fois. Ces églises étaient comme venues dans le vaste palais des étoiles avec un présent : un trône Ô combien plus légendaire : une place sur leurs pinacles.

Et quels pinacles...

Seigneur. Oh, seigneur, comme ces clochers étaient hauts. Je dus m'appuyer sur le coche pour ne pas tomber face au ciel aussi abyssal que ma honte. Même le Bois de Jade ne connaissait pareils édifices ! Comment est-ce possible que notre civilisation, pourtant si noble, fût aussi arriérée ? Contre ma volonté, je la sentis dégringoler dans mon estime. Moi, Anthère, émissaire envoyé au nom de notre Reine, s'avouait vaincu devant ces cathédralesques ouvrages d'une impérieuse élégance.

Quelle humiliation.

Je voyais là les quintessences de mille qualités ; l'architecture, l'orfèvrerie, la verrerie, la peinture, l'astronomie, la charpenterie, la magie... Inutile de les lister. Par trois fois j'ai vérifié. Aucune ne manquait. C'était insupportable. Insupportablement parfait. Et pourtant, j'aimais. Mon âme aimait envoyer mon regard m'infliger odyssées par-delà l'encens. Ainsi, je m'imprégnai de cette fervente foi. Elle suintait des murs, des vitraux, des arcs-boutants. De partout. Partout, je voyais la silhouette de l'Impératrice statufiée, mosaïfiée, idolâtrée ! Les croix flamboyaient pieusement. Les oriflammes chevauchaient le vent. Et sur le chœur le plus sacré, j'entendais l'Orchestre s'accorder.

...

Ah, bon sang, les mots me manquent, lecteur, face à tant de merveilles… Aucune gravure. Aucun livre. Aucun discours ! n’aurait pu nous préparer à l'écoute de ce qui rendait ce monde si prospère.

Quel honneur était-ce de L'ouïr.

Quel bonheur était-ce d'assister à la naissance de l'harmonie même !

Peut-être rencontrerais-je ces fameux Archontes qui excitent tant les conversations ?

Mon admiration d'étranger n'échappa aux prunelles brûlantes de notre portier qui se gonfla de fierté. L'obscurité de la voiture m'avait occulté sa nature, mais sous le feu de la vérité, je me rendis compte qu'à côté de moi se dressait une figure de majesté. Il ornait la lumière de pourpre comme s'il transposait son âme sur le jour. Alors, j'écarquillai les yeux une nouvelle fois. Je voyais enfin ce que décrivaient les précédents diplomates dans leurs éloges. Je voyais un chevalier fait de vitraux brisés ; un Éclat des Premières Lueurs. Un fragment des cathédrales ayant pris vie pour que perdure la Sainte Mélodie, et reste dans le Beffroi la Pécheresse.

Le Beffroi. Ce clocher, érigé hors du temps, n'est qu'une ombre hantant nos sources par son mystère. Aucun texte ni poème à notre disposition ne décrit en détail cette prison où l'on exilait ce que l'on ne souhaitait voir. Ainsi, nous le devinons semblable à une tour du Cœur de l'Orchestre. Ses murs ne soutiendraient pas les étoiles, mais isoleraient du reste de la réalité une entité, cachée sous un fatras d'épithètes :

La Pécheresse.

L'Inexpiable.

L'Arracheuse.

La Meurtrière.

La Grande Adversaire.

La Horde du Désordre.

Celle Qui N'aurait Pas Dû Exister.

Elle.

Nombreux sont les documents évitant l'usage de son nom originel. Personne, pas même les chevaliers de l'Orchestre, n'osait le prononcer, l'écrire. Car Celle Que Le Monde Renie devait être oubliée, radiée, rayée du réel pour son impardonnable péché. Il n'en reste pas moins facile de deviner sa véritable identité :

« Qui que vous soyez, je vous prie de quitter ce chœur. Ces lieux sont le domaine des Archontes. Tôt ou tard, ils apprendront votre présence, et croyez-moi, quand la Grande Adversaire n'existe pas, les geôles sont des endroits bien pires que vous le pensez. Allez là où les notes vous guident. Nulle par ailleurs. »

- L'une des gardiennes du Cœur


« […] Celle Qui N'aurait Pas Dû Exister ne me fait pas peur. Mais l'étape pour aller L'embrasser : m... mou... mour... m... Mourir. Sentir l'Orchestre qui est en nous se taire, voilà quelque chose qui me terrifie. Puissiez-vous être toujours accordé, surtout en ces temps sourds... »

- Chevalier de l'Épéiste Patient à un voyageur

Asclépine, tirant sur ses chaînes. Que comptez-vous faire de nous, tyran ? Vos jardins infernaux sont déjà repus d'esclaves labourant la terre comme ils labourent leur vie !


Samares des Sylves, entre ses dents. Mes jardins ? Vous pensiez vraiment être dignes pour être serfs de mes jardins ? Je ne veux pas voir mon Domaine pourrir par votre seule présence. Maudite soit votre naissance ! La Pécheresse n'a pas été là pour châtier votre fragilité. Alors contemplez, maintenant, ce que je suis forcé de faire... Réguler. Purger. Amputer les boutures gangrenées qui auraient dû crever dans le berceau. Puis à son général. Déportez-les. Je veux que les routes du Beffroi soient noires de chariots.

- Pièce de théâtre Fantorine, au titre inconnu, relatant la tyrannie du Bois de Jade

Des bribes et des bribes de textes évoquant la Grande Adversaire pleuvent de nos étagères. Il en provient de toutes les époques. De tous azimuts ! Une silhouette omniprésente, planant même sur les écrits des régions les plus reculées :

Ma très chère épouse,


Je n'ai pas beaucoup eu l'occasion de vous écrire depuis mon départ, mais ça y est, les pyramides jettent leur ombre sur le papier à l'heure où je rédige cette lettre. Le ciel était trop houleux pour emprunter ses flots, alors nous dûmes user de nos serres. Le périple fut rude, bien plus que je ne l'avais imaginé ! Mais, loué soit l'Orchestre, la Moissonneuse n'est pas là pour s'emparer des voyageurs épuisés. Les Éclats des Premières Lueurs, ces étranges armures de verre coloré dont je t'ai déjà parlé, m'ont dit que nous ne devrions pas nous attarder dans ces sables. Leurs partitions sont déjà écrites, et bientôt, la musique effacera la région du réel. C'est fou de se dire que tout ça ne fera plus partie du monde... Quel gâchis ! Je dois explorer un maximum avant que le Beffroi ne dévore ces dunes.

[… la suite est brûlée]

Or, aussi incroyable cela puisse paraître, nous avons en notre possession le tout premier document abordant Son existence. Il s'agit du célèbre Fabulet du Primordial, le premier livre sacré de la Symphonie relatant la genèse de ce monde. Une chance qu'un ouvrage aussi ancestral ait survécu à la chute du Cœur de l'Orchestre pour nourrir nos yeux.

Nous parcourons pages et lignes contant les épopées de l'Impératrice triomphant de mille ennemis avec son épée de bois, jusqu'à l'ultime chapitre, verset vingt-huit. Les Archontes pénètrent dans la chambre de leur championne. Ce qu'ils virent marqua à jamais le temps :

Les genoux dans le sang noir, Cristal succomba au chagrin. Les vitraux se brisèrent, et les éclats des étoiles franchirent les récifs acérés, pour pleurer sur le corps de celle qui nous avait été volée. Pulcifer entra par une fenêtre. Il dit aux Archontes : « Hier, la fatigue tourmentait l'Impératrice. Aujourd'hui, son sang ténébreux abreuve le sol des basiliques. Les montages, les océans, les soleils, les univers, Vous... Peu importe ! Tous connaîtront leur fin, car sans Fin, plus rien ne peut commencer. Changez donc vos larmes en fierté, Archontes. Du trépas naît la vie ; votre Fin est sur le chemin, et bientôt, de nouveaux mondes s'élèveront là où vous brilliez. »

- Fabulet du Primordial ; 1:28 : Le Péché Originel, par Nøst, Champion de la Taille Judicieuse

Le Péché Originel. Le meurtre de l'Impératrice à l'épée de bois. Voici la faute de l'Inexpiable bourreau des mondes par sa simple existence. Mais ce qui aurait dû être la chute d'un monde devint son renouveau. Ce crime marqua l'an 0, prélude d'une prospérité jamais inégalée, qui donnera naissance à tous les auteurs ci-dessus. Car les Archontes, ces dieux stellaires bourrés d'orgueil, n'acceptèrent pas la Fin de leur âge :

Alors Diamant s'avança vers le démon, et proclama : « L'univers est un orchestre, et nous en sommes les chefs. Nous sommes les arpèges primordiaux. Nous sommes les gammes, des léthargiques berceuses aux fanfares fracassantes, du silence au point d'orgue, de la clef à la coda ! Nous sommes le chant des partitions, la voix de nos mains serpentant entre noir et blanches, perforant les mesures pour s'élever aux octaves célestes et sombrer dans l'abîme du grave. Nous sommes les bémols et dièses qui constellent nos armures forgées au cœur des étoiles. Nos pas cadencent le monde au gré des croches et soupirs, car nous sommes aussi la manifestation du rythme. Nous sommes la musique, le chant des cordes, le murmure des bois, le souffle des cuivres, et la colère des percussions ! Nous sommes les Archontes, et toi, Pulcifer, tu n'es qu'un vulgaire démon de l'irréel présageant l'impossible. Cette adversaire dont tu parles, cette Pécheresse — maudit soit son nom ! — n'est que poussière sous les talons de ce que l'Impératrice a déjà vaincu. Notre sainte guerrière se réveillera, comme elle l'a toujours fait ! Nous écrirons de nouvelles partitions. Nous enfermerons l'Ennemie dans une tour plus lointaine encore que les étoiles. Par la Symphonie, nous effacerons du réel notre Fin ! »

[...]

- Fabulet du Primordial ; 1:29 : Diamant et Rubis, par MåjΘr, Champion du Moral Éternel

Ainsi, perchés dans les plus hautes églises du Cœur, les Archontes veillèrent à ce que jamais l'Orchestre ne se taise. Sans la Sainte Mélodie, la Grande Adversaire passerait par-delà les portes du Beffroi, le monde ne pourrait plus outrepasser son trépas à outrance, l'Impératrice ne pourrait pas un jour se relever. Alors s'ensuivirent ces millénaires de grandeur où cimetières n'étaient que retraites temporaires ; des lieux de repos, parfois bienvenus quand l'épuisement des âges accablait trop l'esprit.

« J'en arrive presque à regretter l'absence de la Pécheresse... »

- Anthère, plusieurs siècles après son voyage diplomatique

Mais le présent nous montre que Elle n'a pu être emprisonnée éternellement. En effet, l'histoire est jonchée de points où les partitions sacrées durent être réécrites, l'Orchestre grossit, et parfois même, des Éclats voyagèrent jusqu'aux portes du Beffroi pour jouer leurs ultimes notes, à la merci de la Captive.

Nous ignorons ce qui a provoqué la chute de l'Orchestre. Un texte, que nous n'arrivons toujours pas à traduire complètement, évoque une explosion dans le chœur même du Cœur ; un autre fait allusion au manque de l'encre qui servait à rédiger les partitions. Nos recherches à ce sujet continuent, néanmoins, nous avons une préférence pour une hypothèse, toute particulière de part la justesse de sa source :

Le Dernier Fabulet, fut écrit au moment de la chute du Cœur, lors des derniers soubresauts du monde. Ses ultimes pages rapportent les dires de Pulcifer, le gardien du Bord de l'Infini, au groupe d'Éclats qui accomplissaient les volontés de leurs dieux.

Mais avant de poursuivre, un flacon a été attaché aux signet marquant les ultimes pages. Après analyse — sans ouverture —, nos technomages nous ont affirmé qu'il enferme une musique ; l'une des Saintes Mélodies de l'Orchestre ! Peut-être que nous pourrions l'écouter pendant l'étude ? Attention, cependant, il n'est plus possible de récupérer le son une fois le sceau détruit. La tentation est forte, certes, mais ne serait-ce pas la curiosité de trop ?

https://www.youtube.com/watch?v=k9lr62Lth_I&ab_channel=YukaKitamura-Topic

« Les Archontes ? Cela fait bien des siècles qu'ils ne sont plus là, haha ! Votre odyssée n'est que foutaises. Ils l'ont créé de toute pièce pour que coulent dans ce monde les dernières gouttes d'espoir. »


« Je vous assure. Pourquoi ont-ils interdit l'accès à leurs quartiers ? Les gardiennes sont toutes devenues folles, alors allez-y discrètement, et vous sentirez votre cœur se serrer devant le règne de la poussière. »

« Oui, je me souviens encore de leur passage, c'était il y a longtemps... Je les avais laissé franchir le Bord sans rien dire ; que faire face au silence d'un cortège funèbre ? »

« Ils portaient un minuscule corps vers le Beffroi. Une épée de bois reposait sur le fer rouillé de son torse. Votre impératrice.

Ce n'était pas trop tôt... Après des millénaires, vos dieux avaient enfin accepté l'évidence. Tuer le meurtrier ne fait pas revenir la victime. »

« Quoi ? Vous croyez que tout ça, toute cette grandeur et vie éternelle, était aussi pour vous ? Pour ce monde ? Ouvrez les yeux, bon sang ! Certes, l'Orchestre a effacé la Grande Adversaire, vous apportant naissance et prospérité ; mais exit la naïveté ! Tout cela n'est qu'effets de bord. Bénéfiques, oui. Accidentels, surtout. Seule l'Impératrice comptait à leurs yeux. Regardez vous, chevaliers ! Votre existence même n'est qu'un aléa du hasard : vous êtes des vitraux qui se sont brisés lors des temps de chagrins.

Rien de plus. »

« Ce cortège ne marchait pas que pour une seule âme. Les Archontes ne sont jamais revenus du Beffroi. Ont-ils également accepté leur fin ? Ont-ils compris qu'Elle n'était peut-être pas si grande adversaire face à la fatigue des millénaires ?

Mhhhh...

Faites-vous l'idée que vous voulez, futurs mortels.

Moi, tout ce que je vois, c'est que vous êtes bien seuls. »

Ceux qui étaient le mieux capables de mener le combat l'avaient abandonné depuis bien longtemps. Dans un élan de pitié, Pulcifer laissa les braves chercher la dépouille de leur impératrice, mais arrivés devant le Beffroi, ce qu'ils virent les glaça de stupeur.

L'irréel cinglait, frappait, pulvérisait l'espace par son vent apocalyptique.

Ils étaient dans l'ouragan des âges.

Ils étaient au bout de tout.

Partout où leurs yeux se déposaient, ténèbres et désolations se prélassaient, mauvaises. Ils la sentaient, ils la reconnaissaient ; l'odeur de la Fin. Eux, qui pensaient avoir tout vu, qui avaient exploré les confins des étoiles, puis le centre même de la terre ; qui, depuis des millénaires, veillaient sur les étendues sacrées, les défendant parfois au prix de mille sacrifices, découvrirent pour la première fois l'intérieur du Beffroi.

Oui, c'était bien cela.

Ils la voyaient bel et bien.

L'image de la Fin.

Les portes éventrées.

Plus rien ne retenait la Grande Adversaire.

Ainsi, Nøst chancela jusqu'aux débris. Ses genoux faillirent dans les dunes d'encens. Il murmura :

« Regardez, mes sœurs et frères, toutes ces cendres qui étouffent le sol du Beffroi. Je vois là nos héros de tous les âges. Je vois des armures, des armes, des instruments ; je vois les preux Éclats ayant donné leur vie pour que chante l'Orchestre jusque sous Sa fureur. Je vois des branches carbonisées, des graines écrasées, des feuilles desséchées ; je vois des alliés Fantorins à l'inflexible loyauté. Je vois ici les cendres divines de nos Archonte, encerclant le corps toujours intact de l'Impératrice. Je vois aussi les poussières des ennemis vaincus, je vois leurs terres que l'on a effacées du monde. Je vois des océans renversés, je vois des châteaux effondrés, je vois des montagnes, des montagnes et des montages encore, je vois les jardins de Samare, je vois la flotte rebelle de Mµscåt, je vois les pyramides des Ombrécrins, je vois marées d'étoiles éteintes, mortes, jetées, je vois des épaves, je vois des champs de batailles, des charniers, des nécropoles bâclées, je vois des cités hostiles à ne plus savoir compter, je vois des univers écrasés et fusionnés entre les murs de notre Beffroi, je vois, enfin, la suie des pauvres diables dont le monde a voulu oublier, des déportés, des fous, des criminels, des tyrans, des égarés, des téméraires, des gêneurs, des curieux, des déchus, des parias, des condamnés, des guerriers, des vaincus, des torturés ; peu importe ce qu'ils étaient, le poids des âges leur a été rappelé, et à présent, les dieux comme les simples, les bons comme les mauvais, les amis comme ennemis, les preux comme les malheureux... tous se mélangent dans la Fin. »

Luttant contre le vent, Blånchε sortit un flacon de son armure. Elle posa une main sur l'épaule de son camarade :

« Et nous, nous nous apprêtons à les rejoindre. En ce moment même, la Grande Adversaire perfore lumières et réalités pour nous châtier. Ainsi, je crois bien que le terme de notre partition s'amorce. Mais avant d'accepter l'étreinte que nous avons tant refoulée... Honorons nos principes jusqu'à notre dernier souffle. Faisons en sorte que ce monde s'endorme heureux. Jouons jusqu'à ne plus pouvoir...

Mes frères. Mes sœurs. Puissiez-vous être accordés. Une dernière fois. »

Ce fut alors au plus violent de la tempête, que les ultimes héros portèrent la voix de l'Orchestre jusque dans les limbes les plus folles. L'ombre de Elle étouffait le monde. Ses crocs mordirent les tours du Cœur, engloutirent palais et étoiles, monts et mers, temps et réel. Mais, interdits dans le cataclysme, Ils continuèrent de jouer aux portes du Beffroi qui succomba à l'orage de la Fin. L'encens s'évapora, les murs s'envolèrent. Ils continuèrent. Leurs armures fondirent en cendres, les partitions se déchirèrent. Ils continuèrent. Les notes volèrent en éclats, le rythme se désintégra. Ils continuèrent. Les mesures se brisèrent, les clefs disparurent.

L'Orchestre se tut.



































































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