Mardi 1er Juin 2021
J'ai tendance à renier les mots. A leur dénier leur pouvoir, leur voix, leur importance. Je me tais, j'écoute une musique, et j'en trouve l'harmonie plus intéressante que n'importe quel chapelet de vocables ou d'adjectifs. On le dit, d'ailleurs : " tu verras, quand on vieillit, on se tait, de plus en plus ". Que dire, après tout ? Sur n'importe quel site de rencontre je ne franchis que laborieusement l'épreuve de la deuxième et de la troisième réponses. Passées les banalités, je ne trouve rien de mieux à dire. Non pas à exprimer, remarquez. Nuance importante. Les yeux, la voix, un soupir, un rire, un regard pudiquement entravée, disent plus que n'importe quel aphorisme. Malheureusement il ne sont pas téléchargeables sur Meetic.
J'ai dû changé. Moi qui aimais tant le Verbe. Je lui aurai tout sacrifier. Improvisateur, luron, joyeux ou non. Bretteur de l'esprit, ripailleur de la syntaxe, quelle sonorité n'aurais-je pas épousé pourvu qu'elle ne m'inspire quelques rimes embrassées ? J'ai aimé Cyrano. Je l'ai aimé.
Lui et d'autres. Mais maintenant… Tout le monde parlent, et tant. Les talk shows, les interviews, les séminaires, les conférences, les calls, les cams, les vlogs, se multiplient, chacun y va de son conseil, de son astuce, de son top, de sa sélection. Tout le monde parle, le monde hurle. Et vote, de moins en moins aux élections, et de plus en plus sur Twitter.
Peut-être qu'aimer un peu plus le silence n'est plus comme jadis un signe qu'on va mal, finalement ? Qui sait ? Moi, le verbeux, le monologue sur pattes, le concertiste des envolées, je voudrais ne plus parler que pour demander le sel.
Ô, rassurez-vous, je vais très bien. Très bien. Ma vie actuelle me rend très heureux. Je vieillis, mais ça va. Des potes, des films, un boulot plaisant, ya de quoi finir vite les journées un sourire fugace aux lèvres. L'ambition de ne plus en avoir. Le bonheur paisible. Je crois en fin de compte, que les mots, eux, vieillissent moins bien.
David Cathala
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