Chapitre 2 : la mise à feu

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 Dans la nuit qui suivit, la fusée allait être mise à feu. Les navettes spatiales, autrefois obsolètes, firent l’objet de nouvelles innovations technologiques au sein de Roskosmos, l’agence spatiale russe, et de l’ESA, celle de l’Union Européenne.

 Ola éprouva une certaine fascination devant cet astronef. Les dernières fois qu’il avait vu passer des navettes spatiales dans l’actualité, c’étaient celles de la NASA, quelque 20 ans plus tôt. En voir une de nouveau en état de marche avait quelque chose d’émouvant pour cet ingénieur. Ici, il s’agissait d'une navette Hermes conçue par l’ASE, mais qui n’avait pas trouvé de financement, avant que Roskosmos, la SANSA, et la JAXA (l’agence spatiale japonaise) ne viennent apporter des fonds supplémentaires. La condition du financement était la participation d’astronautes de leurs pays respectifs. Au total, la navette comptait seize passagers. On ne voyait cela que pour le tourisme spatial.

 La mise à disposition d’une navette fonctionnelle ne fut pas le plus gros problème, les plans étant présents en nombre dans les bureaux de l’ASE et de Roskosmos, mais la construction, l’adaptation de l’équipement impliqua le concours de nombreux sous-traitants. Ce fut finalement le projet Hermès, que l’Union Européenne avait abandonné en 1992, qui fut ressorti des tiroirs. Sans être optimal, il réunissait suffisamment de savoir-faire autour du vol habité (autre qu’en Soyouz) pour qu’on s’y attarde.

 Mais l’un des plus grands enjeux fut sans doute d’assembler un astronef capable d’abriter la vie pour une vingtaine de personnes pendant plusieurs années C’était celui-là même qui allait les emmener pour un très long voyage vers Mars. Il fallut donc au préalable organiser plusieurs cargos de matériel pour un assemblage en orbite (grand comme une aérogare, l’astronef n’aurait jamais pu atteindre l’orbite terrestre en une seule fois. Telle la station spatiale internationale, il fut donc livré en kit en orbite et assemblé à quelques centaines de kilomètres au-dessus du sol terrestre.

 Cet astronef, dont Ola avait contribué à concevoir les plans, était une consécration pour lui. S’il avait longuement enseigné la physique à l’université, et largement contribué à la recherche, le fait de se retrouver impliqué dans cette aventure le portait dans une tout autre dimension. Et cette nuit, enfin, il allait assister à la mise à feu.

 Contrairement à ce qui se faisait habituellement à Baïkonour, il ne s’agissait plus ici de lancer une fusée Soyouz, mais bien une navette, ce qui nécessitait une autre rampe de lancement. La traditionnelle « tulipe » des lanceurs Soyouz fut donc délaissée, au profit de l’ancienne rampe de lancement des Buran, que les équipes de Roskosmos avaient passé les quatre dernières années à remettre en état.

 Mark discutait avec un astronaute noir avec un accent marqué. C’était un compatriote sud-africain. L’équipage était constitué de seize personnes, d’autant de nationalités différentes. On y trouvait aussi deux Japonais, trois Russes, un Allemand, deux Français, un Américain, une autre Sud-Africaine, un Polonais, une Italienne, et un Indien.

 Ils avaient veillé à faire un équipage équilibré, comportant autant d’hommes que de femmes, car après tout, le but, s’ils terraformaient Mars, était ensuite qu’ils puissent s’y installer de façon permanente, et, pourquoi pas, y fonder une famille. Ils avaient aussi sélectionné le groupe où l’entente était la meilleure, pour être sûr qu’il y ait le meilleur esprit de coopération possible. Une telle expédition n’avait jamais été faite avant dans l’histoire de l’humanité. Quelques années plus tôt, elle avait fait l’expérience de la pandémie, ce qui constitua pour tous un baptême du feu. La question fut donc soulevée de savoir comment les membres de ce groupe avaient vécu la quarantaine.

 Pour tester la solidité du groupe, ils furent placés pendant six mois à l’isolement, avec obligation de partager un baraquement. Nombre d’autres groupes abandonnèrent. Celui-là était le seul à avoir tenu. Pour beaucoup d’autres astronautes, l’essentiel de l’entraînement consistait à être dans une condition physique optimale et de connaître les gestes techniques autour du port de la combinaison ou de la maintenance de l’équipement. Mais cette mission était complètement différente : on parlait d’un vol sans retour avant très, très longtemps, et de l’enjeu de rendre Mars habitable pour l’homme. Mais avant même de penser à cette étape, le préalable était déjà d’avoir un vaisseau vivable, et cela allait demander des efforts de la part de chacun.

 Ola fut donc face à un collectif très soudé quand il vit l’équipage, prêt à s’embarquer dans la navette de conception française, reprenant la base d’une navette Hermès, mais avec des systèmes informatiques américains et des moteurs de conception russe.

– Je tenais à vous dire que ça a été un honneur de participer à la préparation de ce vol, et de concevoir le matériel dans lequel vous allez être appelés à vous déplacer. J’espère que vous y serez bien. N’oubliez pas de faire du sport régulièrement, je ne vous apprends pas qu’on perd vite de la masse musculaire en apesanteur.

– Merci du conseil, professeur, dit l’astronaute allemand. Aucun de nous n’en est à son coup d’essai.

– Oui… dit l’Italienne, enfin, personne n’est parti dans l’espace pour aussi longtemps. Donc on a intérêt à y rester attentif.

– Je ne vous apprends pas que la gravité sur Mars est d’un peu plus d’un tiers de celle de la Terre, mais après un an en apesanteur, ça risque de vous faire drôle quand même, et une fois sur place, ça risque de jouer sur votre organisme…

– Ne vous en faites pas, professeur Karlsson, tout cumulé, plusieurs d’entre nous ont déjà passé plus d’un an dans l’espace, même si ce n’est pas d’affilée. Tout va bien se passer. On a expérimenté de fonctionner en vase clos dans une réplique de votre vaisseau. On devrait pouvoir manger à notre faim, et avoir de l’air en quantité suffisante.

– J’espère avoir des nouvelles de Mars un jour.

– Vous en aurez, dit l’astronaute Sud-Africain. Je vous le promets. Ola… Mark…

Veel geluk, Langa (« Bonne chance, Langa » en afrikaans, Langa était le prénom de cet astronaute).

Dankie, meneer Deklerk (Merci, Monsieur Deklerk). J’espère que nous ferons la fierté de l’Afrique, vous comme moi.

Nkosi sikkeleli Afrika.

Nkosi sikkeleli Afrika !

 Les deux Africains, le blanc et le noir, se donnèrent une accolade, dont le sens était d’autant plus fort que leurs ethnies respectives étaient en train de s’entre-tuer à des milliers de kilomètres de là, comme un appel à la paix qu’ils envoyaient à l’humanité, et dont ils espéraient que celle-ci le recevrait… un jour.

 Puis vint le moment de l’embarquement. Les ingénieurs, les techniciens quittèrent peu à peu les lieux, pour laisser le champ libre à la mise à feu. Le décompte était donné en russe. Si Ola avait une maîtrise sommaire de cette langue, comprendre le compte à rebours était dans ses compétences. Et à bonne distance de la rampe, il put voir la navette prendre son envol. En fin de compte, il n’avait pas vu ce spectacle si souvent au cours de sa carrière, celle-ci ayant été plus largement axée autour des questions théoriques et des recherches fondamentales relatives à l’aérospatiale. Sa partie ne concernait pas autant la motorisation que l’aménagement intérieur. Lui-même fils d’un architecte, il avait développé une passion pour les agencement d’espaces réduits, et avait donc mis un point d’honneur à optimiser la place dans l’astronef, afin que l’équipage se sente le plus à l’aise possible sur un voyage qui promettait d’être très, très long.

 Puis finalement, la fusée s'arracha du sol. La navette s’élevait de plus en plus haut, jusqu’à devenir un point incandescent dans l’immensité du ciel. La liaison radio annonçait que le convoi était toujours en bonne voie. La fusée continuait de prendre de la vitesse. Finalement, elle atteignit la vitesse orbitale, et se défit de ses lanceurs. La navette était en orbite, et n’avait plus qu’à rejoindre l’astronef qui allait assurer la suite du voyage.

 Après un peu plus d’une heure passée à prendre régulièrement des nouvelle des seize personnes à bord de la navette, ils eurent enfin des échos de l’astronef. La première étape pour l’équipage fut l’arrimage de la navette pour pouvoir entrer dans l’astronef. À bord de celui-ci, deux astronautes, les techniciens qui avaient été chargés de l’assemblage et de la maintenance étaient montés en orbite quelques semaines plus tôt.

Salut Ola, j’ai le plaisir de vous annoncer que tout le monde est à bord. Je voulais vous faire mes compliments, l’endroit est très agréable, et l’assemblage a été relativement facile.

– Je suis Suédois, dit Ola, le matériel en kit à monter soi-même, ça me connaît.

 Il entendit un éclat de rire à l’autre bout de la liaison.

J’adore votre côté pince-sans-rire, Ola. On va laisser l’équipage se reposer. On démarrera la préparation après. Vous devriez pouvoir nous récupérer dans l’autre Hermes-2 dans moins d’une semaine.

– Bien reçu, répondit le chef radio. Bon courage à vous.

 Il s’écoula encore quelques jours, le temps que les astronautes, une fois en apesanteur, s’habituent à répéter les gestes qu’ils faisaient dans la maquette de l’astronef au sol. Si certains n’avaient plus été dans l’espace depuis plusieurs années, tous retrouvèrent rapidement leurs marques. Puis le moment vint pour les techniciens de redescendre sur terre. L’astronef comptait deux docks auxquels étaient arrimées des navettes Hermes 2. L’une d’elle avait accueilli les techniciens, l’autre, l’équipage qui allait voyager jusqu’à la fameuse planète rouge.

 Ils attendirent que l’astronef ait le bon alignement par rapport à Baïkonour. Cela signifiait avoir le Kazakhstan sur la courbe terrestre, vu depuis l’ouest. Depuis l’est, la vitesse de révolution de la navette aurait été trop élevée à son entrée dans l’atmosphère et aurait pu conduire à sa désintégration. C’est ainsi que l’équipage de quatre techniciens regagna la terre.

 Tandis que Vassilienko, le technicien aux commandes de la navette désarrimait celle-ci de l’astronef Gaïa-1, il observa un de ses compteurs qui s’affolait. Morita, sa coéquipière japonaise s’étonna :

– On dirait que ça chauffe, dehors, dit-elle.

– Navette Hermes-2 à Baïkonour, navette Hermes-2 à Baïkonour, avons observé activité solaire anormale.

Baïkonour à Hermes-2, bien reçu. Quel est le niveau de radioactivité à l’intérieur de la cabine ?

– On est autour de 0,04 millisieverts par heure.

Ah oui ! c’est beaucoup. Bon, si vous ne restez pas trop longtemps en orbite, le risque reste mesuré. Par contre j’espère que ça va vite retomber, sinon, dans le Gaïa-1, ils ne vont pas faire de vieux os.

Ne vous en faites pas. On a fait des crash-tests de nos équipements à Tchernobyl et à Fukushima, dit Ola Karlsson, ça va tenir. Maintenant, dépêchez-vous d’atterrir.

Sauf votre respect, professeur, les consignes de vol, c’est moi qui les donne.

Excusez-moi, commandant.

Pendant ce temps, au sol, tout le monde était sous tension. L’équipage, travaillant sur les consignes du commandant Lavrov était en bien mauvaise posture. Mais que dire, alors, de celui qui était présent dans le Gaia-1 ?

Soudain, le téléphone portable d’Ola sonna, c’était Kris, son fils. L’ingénieur était près de s’emporter, quand il décrocha.

– Kris, ce n’est vraiment pas le moment !

Papa, calme-toi et écoute-moi bien. Je suis en train de suivre la mission sur le Net, et j’ai bien vu qu’il y avait des problèmes. Il y a des vents solaires de grande ampleur sur votre région, et d’après les bulletins que j’ai lus sur le site de l’ASE, on doit se préparer à l’éruption solaire du siècle.

– Tu es bien sûr de ce que tu dis ? Il y a seize vies humaines et plusieurs milliards d’euros de matériel en jeu, je préfère demander.

Tu as un ordinateur à côté de toi ?

– On est dans un poste de contrôle, on n’a que ça, des ordinateurs !

Va sur le site de la NASA, de l’ASE, de Roskosmos, de tout ce que tu veux. Tu peux demander à ton ami Mark ce qu’il en pense. Après tout, tu n’es pas obligé de croire un étudiant en troisième année de physique.

– Je te remercie, Kris, on va voir ça.

Prends soin de toi, Papa. Et reviens-nous en forme.

 Une fois l’appel terminé, Kris observa les sites de l’ASE, de la NASA, tous convergeaient vers ce qui s’annonçait comme l’éruption solaire du siècle. Il fut rejoint par Mark, qui observa le bulletin et les tableaux annoncés par l’ASE.

Bliksem ! s’écria-t-il, c’est sérieux ! On nous annonce des vents solaires à G5. La dernière fois qu’on a eu un truc pareil, le Canada a plongé dans l’obscurité, et plusieurs satellites ont grillé.

– Tu penses que le Gaia-1 résistera ?

– Je ne sais pas. C’est toi qui as conçu ce vaisseau. Tu sais mieux que moi à quelle radioactivité il est capable de résister. En tout cas, tant que ça ne s'est pas tassé, il vaut mieux qu'ils restent en orbite. Hors du champ magnétique terrestre, ce sera pire que tout.

 Sur ces mots, Ola se retourna vers le service de liaison radio, et annonça la situation clairement :

– Comment se porte la navette et son équipage ?

– La radio-activité continue de monter dans la cabine, mais pour le moment, ça reste tenable. Ils devraient être dans l’atmosphère dans quinze minutes, et au sol dans trente à peu près, en espérant qu’ils n’arrivent pas trop vite dans l’atmosphère.

– Bien, tant mieux s’ils peuvent revenir sans risques. On a un autre problème, commandant Lavrov.

– Expliquez-vous, professeur.

– Il se prépare un orage solaire de grande ampleur. Mon fils vient de m’aiguiller vers les rapports de l’ASE et de la NASA. Ça commence tout juste, et ça risque de s’aggraver très, très lourdement.

– Du genre ?

– Du genre un cataclysme aux proportions bibliques, répondit Mark. La dernière fois qu’un orage magnétique d’une telle ampleur a eu lieu, une bonne partie du Canada a été plongée dans le noir.

– Ils risquent de souffrir, là-haut, s’inquiéta Lavrov.

– Pour ça, ça devrait aller, dit Ola. Ils ont du matériel prévu pour résister à des niveaux de radio-activité très élevés. Le Gaia-1 est prévu pour sortir du champ magnétique de la Terre, et donc pour encaisser des niveaux de radio-activité auxquels même les cafards ne survivraient pas. Par contre, clairement, vu celle qu’il y a en ce moment autour de la Terre, il faut leur dire d’attendre avant de partir.

 Le général Ivanov, responsable en chef de la garnison qui surveillait le secteur de Baïkonour, vint se mêler à la discussion. Si lui était présent, c’est qu’il y avait des inquiétudes sur la sécurité du cosmodrome.

 « Messieurs, j’ai entendu le docteur Deklerk parler du Canada plongé dans le noir. Est-ce qu’on risque quelque chose ? »

 Mark et Ola se regardèrent, plutôt d’un air inquiet.

– Je ne vais pas vous raconter d’histoires, Général. Il y a un risque réel pour l’équipement. Les risques humains sont réduits, par contre, on risque d’être plongés dans le noir, et… et de perdre la liaison radio avec Gaia-1.

– Bien, dit le Général Ivanov. Nous avons des solutions de secours. Il nous reste des générateurs autonomes, le temps que le courant soit rétabli dans le secteur. Par contre, je dois vous avertir d’une chose, Messieurs. Si la panne de courant se généralise sur tout le secteur, le risque est que Baïkonour devienne une cible pour tous les pillards. Vu la pauvreté ambiante du Kazakhstan, on risque d’avoir de grandes instabilités dans les villes avoisinantes, des raids, et si les gens voient qu’on a toujours de l’électricité, on risque de devoir accueillir des réfugiés en masse. On n’a pas ce qu’il faut pour nourrir plus que les gens qui sont déjà là. Et ici, je ne vous apprends rien, c’est le désert.

– Général, vous êtes des militaires, vous êtes en capacité de nous protéger, non ?

– Oui, mais n’allez pas croire que nous saurons le faire indéfiniment. Aussi, le protocole de sécurité, si Baïkonour est menacée, c’est l’évacuation du cosmodrome, même s’il faut abandonner tout le matériel. Nos troupes sont entraînées au combat, mais à force de raids successifs, des pillards pourraient aussi nous avoir à l’usure.

 Ola et Mark se regardèrent, visiblement inquiets de ce qu’ils venaient d’entendre.

– On doit achever le départ de Gaia-1, dit le jeune savant sud-africain.

– Même si ça implique de risquer des vies ? Si on n’a plus de courant, on fait comment ?

– Hartebeesthoek peut prendre le relais.

– Vous êtes sûr de ce que vous dites ? demanda le Général.

– Oui.

– Très bien, contactez-les alors. Mais je vous avertis, le pronostic en cas de black-out, c’est un délai de quatre jours avant les premiers raids de pillards. Si nous ne sommes pas tous partis d’ici là, je vous tiendrai pour responsables en cas de problèmes. Prenez le contact avec vos collègues sud-africains, c’est le mieux que je puisse vous conseiller, ou avec Houston, si vous y arrivez. Mais en parallèle, faites vos bagages, et préparez-vous à l’évacuation. Dernière chose. Si on est sur un black-out géographique, l’électricité devra rester éteinte la nuit, pour ne pas attirer l’attention. Sinon, les pillards vont nous voir à des dizaines de kilomètres à la ronde.

 Un sous-officier arriva :

– Mon général, un rapport du radar nous annonce que la navette des techniciens est en vue.

– Merci lieutenant Guerguiev. Préparez une escorte armée et une équipe de pompiers et de médecins, et allez les accueillir.

– À vos ordres.

 Quelque cinq minutes plus tard, un commando de soldats russes escortant un camion de pompiers et une équipe médicale se présenta sur la piste prévue pour l’atterrissage de la navette Hermes-2. Elle était en parfait état, bien que fumante. Sans autre forme de procès, les pompiers arrosèrent le cockpit, pour le rafraîchir et pouvoir ouvrir la porte de la navette sans se brûler. Les quatre techniciens à bord de la navette étaient sains et saufs, quoique un peu secoués.

Pendant ce temps, Mark et Ola cherchèrent la liaison radio avec Hartebeesthoek. Mark, qui parlait aussi bien anglais qu'afrikaans prit le micro.

« Baïkonour vir Hartebeesthoek, ontvang jy my ? Baikonour to Hartebeesthoek, do you receive me ? »

Il s’obstina ainsi, obstinément. Finalement, quelqu’un lui répondit en anglais. À son accent, c’était un Afrikaner, mais Mark lui dit :

Laat ons Engels praat, so dat almal dit verstaan.

OK, docteur Deklerk, répondit le radio sud-africain. Vous avez besoin d’aide ?

– Vous avez eu le même bulletin météo que nous ?

Oui. On a vu, un gros orage magnétique qui commence sur votre secteur. Qu’est-ce qu’il vous faut ?

– On risque de perdre la liaison radio avec la mission Gaia-1. Si jamais ça arrive, je vous demande de prendre le relais. Est-ce qu’on peut compter sur vous ?

Bien sûr ! Vous avez le protocole ?

– Ils le connaissent, le protocole, ça fait des mois qu’ils préparent l’expédition.

Très bien. Alors pourquoi vous avez besoin de nous ?

– Ils vont chercher à entrer en contact avec la Terre. Si Baïkonour est out, je compte sur vous pour prendre le relais.

Mais pourquoi Baïkonour serait out ?

– Le protocole en cas de black-out, c’est l’évacuation, à cause des risques d’être pris pour cible par des raids de pillards. On peut faire fonctionner l’électricité, mais seulement le jour, la nuit, on risque de se faire repérer.

Vous en avez de bonnes ! Vous vous rappelez que c’est toujours la guerre, ici ?

– Vous êtes dans le Gauteng ! Normalement, vous avez une sécurité militaire renforcée, vous êtes à moins de 200 km de Pretoria. Ici, on est à plus de 2000 bornes de Moscou, à vol d’oiseau et on n'est même pas sur le territoire russe.

OK. On le fait, parce que pour le moment ça tient, mais faites-vous à l’idée qu’on devra peut-être évacuer, nous aussi. Peut-être maintenant, peut-être plus tard.

– On n’a pas d’autre choix. On a essayé Houston. Leurs consignes sont claires : la liaison radio prioritaire, ce sont les vols spatiaux commerciaux.

Ah là là, ces Américains ! Pour le sens de l’intérêt général, on repassera.

– Je peux compter sur vous ?

Oui… tant que notre base tient. Je ne peux pas vous promettre mieux.

– Merci, Meneer.

Allez, bon courage à vous.

 La suite se passa comme on s’y attendait. Les vents solaires provoquèrent une déflagration qui se répercuta jusque sur les basses couches de l’atmosphère terrestre. Nombre de satellites furent sévèrement endommagés, et sur l’ensemble de la Russie orientale et des pays voisins, on trouva des secteurs où le réseau électrique fut sévèrement touché, et des régions entières plongées dans le noir. Le Kazakhstan, déjà sévèrement touché par la récession économique après la chute des cours du pétrole avait vu l’état général de ses infrastructures se dégrader d’années en années. Ce black-out fut le coup de grâce. Si des grandes villes comme Almaty et Kazan surent organiser un semblant d’ordre malgré les coupures de courant, les zones les plus reculées, dont Baïkonour faisait partie, s’annonçaient beaucoup plus compliquées. Autant dire que la garnison russe présente sur place était seule face à cette situation de crise

 Le courant fut coupé en pleine nuit, tandis que la liaison radio était assurée conjointement par Baïkonour et Hartebeesthoek. Plongés dans le noir, les ingénieurs trouvèrent une solution pour retrouver la liaison radio : calculer la position et la trajectoire de Gaia-1 une fois le courant rétabli.

 Ils y parvinrent, mais dès lors que le le blackout avait eu lieu, le compte à rebours était lancé. Il fallait environ quarante-huit heures pour que le gouvernement russe affrète suffisamment d’avions pour évacuer tout le cosmodrome. Le général Ivanov donna quatre jours maximum aux ingénieurs pour préparer la sortie d’orbite de Gaia-1.

 Quatre jours, cela semblait déjà plus que suffisant pour que les populations des villes avoisinantes, au courant de l’existence de Baïkonour, de ses réserves conséquentes de pétrole, d’eau et de nourriture commencent à affluer, au risque de créer des émeutes.

 L’orage solaire n’était toujours pas terminé, mais un vent de panique commença à monter dans le cosmodrome.

– Tandis qu’Ola, Mark, et d’autres ingénieurs calculaient les perspectives de baisse des vents solaires, le général Ivanov intervint :

– Je suis désolé, je sais que je vous avais laissé encore 36 heures, mais là, si on n’évacue pas maintenant, je ne peux pas garantir votre sécurité. Les gens affluent des villes voisines.

 Mark avait son casque sur les oreilles. Il était toujours en radio simultanée avec Gaia-1 et Hartebeesthoek.

– Je répète une dernière fois, Gaia-1. Vous êtes suffisamment préparés, tout se passera bien pour vous. Pour le moment, le plus important pour votre sécurité est de rester dans le champ magnétique terrestre pour ne pas finir atomisés par les vents solaires. Votre vaisseau n’est pas fait pour supporter une radio-activité aussi élevée. Tant que votre cabine n’est pas redescendue sous les 0,005 millisieverts par heure, vous devez rester où vous êtes.

Bien reçu, Baïkonour, dit la voix chaleureuse de Licia Tedeschini, l’astronaute italienne. Combien de temps avant que vous évacuiez ?

– Justement, je crois qu’il va falloir avancer notre départ. Ordre du général Ivanov. Pour la suite du protocole, je vous laisse voir avec Hartebeesthoek. Vous êtes tous au clair avec le protocole de départ ?

Affirmatif ! Répondirent les deux interlocuteurs.

– Alors bon courage à tous. J’espère avoir de vos nouvelles bientôt.

 Mark retira son casque, Ola lui lança un regard et donna un coup de menton vers le général.

– C’est le moment, c’est ça ?

– Oui, dit le général d’un air grave. Je suis désolé, Messieurs. On doit y aller maintenant, sinon je ne réponds pas de votre sécurité.

– Très bien.

 Les deux ingénieurs allèrent chercher leurs bagages, et suivirent le général jusqu’à la sortie de la station radio. Il régnait comme un silence de mort dans les couloirs du cosmodrome. Tous les autres ingénieurs étaient déjà en train d’embarquer. Ils arrivèrent devant une caravane d’une vingtaine de camions militaires, chacun comptant autant de civils que de soldats. Cela faisait déjà vingt-quatre heures qu’ils avaient commencé à évacuer tous les civils du cosmodrome. C’était le temps nécessaire pour affréter le nombre d’avions suffisants sur l’aérodrome de Krayniy. Sans autre forme de procès, ils franchirent les lignes sous contrôle russe, les clôtures qui délimitaient la zone du cosmodrome, et virent déjà des Kazakhs s’entasser derrière les barbelés, et avec l’énergie du désespoir, les franchir, les sectionner ou renverser les clôtures.

 En russe, quelqu’un parlait au talkie-walkie du général.

Camion de tête au général Ivanov, camion de tête au général Ivanov. Ils viennent de franchir les clôtures, qu’est-ce qu’on fait ?

– Vous vous en tenez au plan, lieutenant. Je ne veux pas de blessés. Ne tirez que s’ils tentent d’aller vers nous.

Entendu, mon général.

 Si une majorité de civils se ruait bel et bien vers le cosmodrome, certains étaient montés à cheval, ou en 4x4, armés et prêts à en découdre. Des premiers coups de feu retentirent.

Diermo ! laissa échapper le général.

Mon général, il y en a qui nous tirent dessus.

– Vous avez entendu mon ordre ? Ouvrez le feu, maintenant !

 Seulement dix kilomètres séparaient le cosmodrome de l’aérodrome, mais ce furent les dix kilomètres les plus longs qu’Ola ait jamais connus. Pendant plusieurs minutes, il entendit des balles fuser, des cris de soldats, tout le monde était en train de s’affoler. Lui et les autres civils avaient reçu pour consigne de se coucher pour éviter de prendre une balle. Mais cela ne suffit pas à sauver tout le monde. Parmi les vingt camions du convoi, deux firent une sortie de route, et plusieurs morts et blessés furent à déplorer parmi les autres. Alors que les camions s’étaient alignés, comme pour faire un écran devant le tarmac de Krayniy, les civils descendirent, les uns après les autres, certains un peu secoués, d’autres blessés. Quelques balles fusèrent, malgré le peu de précision des tirs. Ola en reçut une qui lui érafla la cuisse.

 « Ola ! cria Mark. Aidez-nous, vite. Il est blessé. »

Le commandant Lavrov, présent à proximité, les aida à marcher, et en catastrophe, tous embarquèrent dans un avion Aeroflot réquisitionné par le gouvernement russe.

 Au moment où l’avion quitta enfin le sol de Krayniy, Ola fut secoué d’un malaise. La douleur, conjuguée à la chute brutale de pression atmosphérique lui fit perdre connaissance.

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