Le procès des sorcières du Labourd 1/2

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Au début du XVIIe siècle, des deux côtés des Pyrénées dans le Pays basque, plusieurs jeunes femmes racontent avoir participé à un akelarre, un sabbat dans la langue basque. Littéralement “pré du bouc”, l’akelarre désigne le lieu de célébrations autour d’un bouc pour attirer sur le troupeau la protection d’Aker, le dieu-bouc basque. Il est aussi d’usage de garder un bouc noir à l’intérieur de sa maison, toujours avec cette idée de protection, mais selon une logique inverse : un bouc noir étant signe de mort, on le sépare du troupeau pour ne pas le contaminer.

 Par métonymie, l’akelarre devient un autre nom des réunions de sorcières. On dit aussi sorginzelaia, ou champ des sorcières (sorgin signifiant sorcière). Lors de ces sabbats, qui se déroulent la nuit, on chante, danse, il arrive qu’on se drogue aussi en se frottant sur un balai enduit d’hallucinogène, qu’on s’accointe avec son prochain ou sa prochaine… rien de surprenant à l’époque dans un Pays basque réputé aux mœurs libres.

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La narration chrétienne autour de la sorcellerie en tant que pratique hérétique, donc maléfique, car contraire à l’Église, s’est développée tout au long du Moyen Âge et les premières condamnations pour sorcellerie ont lieu en France durant la Renaissance. En 1609, le procès des sorcières du Labourd, le Pays basque français, marque une accélération dans l’inquisition à la française.

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Le climat est à la paranoïa religieuse chez le petit peuple avoisinant, mais des rivalités intestines sont également à l’origine d’affrontements entre villes voisines ou personnalités locales, sans compter les suspicions d’espionnage espagnol. Les accusations de sorcellerie comme arme d’opprobre se multiplient dans le Labourd et inquiètent Henri IV. Après tout, son Béarn natal est juste à côté. Il nomme une commission laïque chargée de “purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons” en l’absence des maris partis pêcher du côté de Terre-Neuve.

 Cette commission est composée de deux magistrats du Parlement de Bordeaux : Jean d’Espagnet et Pierre de Lancre. Mais Jean d’Espagnet est rapidement rappelé ailleurs, laissant Lancre seul aux commandes d’une mission qui, en quatre mois, va résulter en des centaines d’arrestations et plusieurs dizaines d’exécutions. Il faudra le retour précipité des pêcheurs, avertis par un prêtre accusé de corruption, pour que la rébellion populaire force le magistrat à lever le pied.

 L’affaire ne s’arrête pas avec le départ de Lancre, car il emporte avec lui deux-cents femmes incarcérées à Bayonne et les fait enfermer à Bordeaux. Seules deux d’entre elles seront jugées, les autres seront libérées après une dizaine d’années de prison.

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Dans trois essais publiés dans les années qui suivent, Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons, Incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue et Du sortilège, Lancre met par écrit ce qu’il a appris après avoir côtoyé de près autant d’adoratrices du démon, dans ce Pays basque où il est né mais qu’il déteste, où poussent les pommes, le fruit avec lequel ces descendantes d’Ève continuent de corrompre les fils d’Adam. On pourrait résumer ça à “les femmes basques sont trop belles et impudiques, et puis il fait toujours beau là-bas, et chaud, si chaud, et leurs cheveux longs qui ondulent et le ciel qui est si bleu, tentatrices ! Sardanapales !” Mais paraphraser sa frustration ne vaut pas grand-chose quand on peut directement le citer :

 “Elles sont dans cette belle chevelure, tellement à leur avantage, et si fortement armées que le soleil jetant ses rayons sur cette touffe de cheveux comme dans une nuée, l’éclat en est aussi violent et forme d’aussi brillants éclairs qu’il fait dans le ciel, lorsqu’on voit naître Iris, d’où vient leur fascination des yeux, aussi dangereuse en amour qu’en sortilège.

 “En Labourd les femmes montrent leur derrière tellement que tout l’ornement de leurs cotillons plissés est derrière, et afin qu’il soit vu elles retroussent leur robe et la mettent sur la tête et se couvrent jusqu’aux yeux. Enfin c’est un pays de pommes, elles ne mangent que pommes, ne boivent que jus de pommes, qui est occasion qu’elles mordent si volontiers à cette pomme de transgression, qui fit outrepasser le commandement de Dieu, et franchir la prohibition à notre premier père.

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Mais les Basques ne subissent pas la seule influence de Satan. L’autre ennemi, l’Espagne, est un autre facteur de corruption qui exaspère des humeurs exprimées dans l’exagération et la violence. Ce “mauvais et pernicieux voisinage” qui rend les danses vulgaires et indécentes, à l’opposé des danses françaises si nobles ; qui corrompt la jeunesse par des déchainements lubriques et effrontés.

 Cette vision misogyne et puritaine est confortée par des aveux extraits à force de torture lors de procédures fantoches. Les interrogatoires ne se font qu’en français, les accusées, elles, ne parlent pour la plupart que le basque. Procureur et juge sans appel, Lancre fait dire par le biais de ses bourreaux ce qu’il veut, matérialisant encore davantage ce mythe du pacte avec le diable auquel il croit et qui sera renforcé par le procès de Logroño. Côté espagnol, en effet, les témoignages publics de participation au sabbat dans le Labourd ont également ému l’Église espagnole, et celle-ci fait intervenir sa fameuse inquisition espagnole, celle à laquelle on ne s’attend jamais parce qu'elle a la tête de comiques britanniques.

 En France, hormis les essais de Lancre, toute trace de du procès du Labourd a disparu pendant la Révolution, ce qui rend difficile un décompte des personnes passées à la question. Les chiffres ont longtemps fait état de plusieurs centaines de morts, mais ce serait plus certainement entre quelques dizaines et moins d’une centaine de condamnations. En revanche, côté espagnol, 11.000 pages d’archives documentent les aveux de 1802 personnes, dont 1384 enfants. La plupart se rétracteront et finalement, seules onze personnes seront envoyées sur le bucher, dont 5 en effigie, car déjà mortes sous la torture. Vingt autres sont emprisonnées, la plupart à vie.

 La hantise de la sorcellerie continue de se propager en Espagne et en France durant la majeure partie du XVIIe siècle. Loin d’avoir éteint un feu, cet acharnement à voir le mal partout le fait apparaitre ailleurs et n’importe où, notamment en Béarn et le long des Pyrénées superstitieuses. Lancre voulait documenter le mal, il ne fait que graver dans l’imaginaire populaire un archétype qui perdure depuis des siècles et qui va faire fantasmer les historiens jusqu’à Michelet et au-delà.

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On en parle la prochaine fois. En attendant, je vous laisse avec ce dernier extrait halluciné du Tableau de Lancre, dans lequel il est question de débauche, de zoophilie et de cannibalisme. Ailleurs, il est aussi question d’inceste :

 “Mais c’est merveille, que pensant faire quelque grande horreur à des filles et des femmes belles et jeunes, qui semblaient en apparence être très délicates et douillettes, je leur ai bien souvent demandé, quel plaisir elles pouvaient prendre au sabbat, vu qu’elles y étaient transportées en l’air avec violence et péril, elles y étaient forcées de renoncer et renier leur Sauveur, la sainte Vierge, leurs pères et mères, les douceurs du ciel et de la terre, pour adorer un Diable en forme de bouc hideux, et le baiser encore et caresser ès plus sales parties, souffrir son accouplement avec douleur pareil à celui d’une femme qui est en mal d’enfant : garder, baiser et allaiter, écorcher et manger, les crapauds : danser en derrière, si salement que les yeux en devraient tomber de honte aux plus effrontées : manger aux festins de la chair de pendus, charognes, cœurs d’enfants non baptisés : voir profaner les plus précieux Sacrements de l’Église, et autres exécrations, si abominables : que les ouir seulement raconter, fait dresser les cheveux, hérisser et frissonner toutes les parties du corps : et néanmoins elles disaient franchement, qu’elles y allaient et voyaient toutes ces exécrations avec une volupté admirable, et un désir enragé d’y aller et d’y être, trouvant les jours trop reculés de la nuit pour faire le voyage si désiré, et le point ou les heures pour y aller trop lentes, et y étant, trop courtes pour un si agréable séjour et délicieux amusement. Que toutes ces abominations, toutes ces horreurs, ces ombres n’étaient que choses si soudaines, et qui s’évanouissaient si vite, que nulle douleur, ni déplaisir ne se pouvait accrocher en leur corps ni en leur esprit : si bien qu’il ne leur restait que toute nouveauté, tout assouvissement de leur curiosité, et accomplissement entier et libre de leurs désirs, et amoureux et vindicatifs, qui sont délices des Dieux et non des hommes mortels.

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