Bézoard, mon beau bézoard

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Vous avez peut-être déjà rencontré ce mot dans la littérature fantastique ou avoisinante : un bézoard, soit une pierre de la taille et de la forme d’un œuf possédant des propriétés surnaturelles, habituellement prophylactiques ou curatives. Dans Harry Potter, Ron est par exemple guéri d’un empoisonnement grâce à l’emploi d’un bézoard. Je n’en dis pas plus, je n’ai pas lu Harry Potter.

 Bien avant JKR, la fiction s’est emparée du bézoard pour en faire un artéfact fourretout, un objet magique aux propriétés qui arrangent le récit. Dumas père l’évoque davantage en tant qu’orviétan qu’autre chose, c’est-à-dire en tant que faux remède vendu aux crédules, et Oscar Wilde en fait un phylactère contre la peste.

 Il faut dire que dans la réalité, l’objet a longtemps fasciné, de forme ovoïde et de taille variable, mais pas souvent plus gros qu’une noix. Il est surtout présenté comme un contrepoison, soit ingéré sous forme de poudre, soit porté en amulette, on prétend qu’il soigne aussi la mélancolie, les faiblesses, l’épilepsie, l’évanouissement et, paradoxalement, les calculs. Paradoxalement, parce qu’un bézoard est une concrétion formée le plus souvent dans le système digestif des ruminants, un amas composé des substances que l’organisme n’a pas pu digérer. Autrement dit, un calcul de caprin, de cervidé, d’ovin, de bovin, etc. D’autres animaux à régime non exclusivement herbivore peuvent aussi en fabriquer. Les grands singes ou les crocodiles en seraient des exemples. Au conditionnel, car je ne suis pas allé vérifier.

 Si on ne le convoite pas pour ses pseudo vertus médicinales, le bézoard est aussi un ornement de collection pour cabinet de curiosité, parfois un bijou ou un talisman quand il n’est pas plus gros qu’une amande. En pratique, plus le bézoard est gros, plus il est considéré comme précieux. Alchimistes et pseudo savants l’élèvent au même rang que la pierre philosophale, la corne de licorne ou certaines reliques religieuses, plus faciles à obtenir, elles. Au passage, je ne détaillerai pas cette petite anecdote peu ragoutante : la littérature médicale fait mention de reliques dissoutes prises en lavement ou en clystère au cours des 17e et 18e siècles.

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L’ancrage du bézoard dans la culture est tel qu’au XVIIIe siècle, Buffon catalogue ses variations et leur attribue différentes valeurs selon leur origine géographique et animale. Le bézoard perse est le plus raffiné. Après tout, c’est du persan que vient l’étymologie du mot, bedzahar, soit protection contre le poison. Arrive ensuite le bézoard oriental d’une manière générale, bien supérieur à celui d’Afrique. Quant au bézoard européen, il ne vaut pas tripette tellement il est minuscule. Et puis, si on avait eu un tel remède aussi facilement trouvable à portée de main, ça se serait su. Bien que Buffon exclue toute propriété médicinale à l’objet, il n’en reste pas moins qu’il perpétue une classification arbitraire basée sur des superstitions.

 Et du fait de cette complaisance scientifique, les vendeurs d’orviétan continuent de capitaliser sur le bézoard. Au XIXe siècle, on trouve encore la poudre de bézoard en ingrédient pour un pseudo remède contre la morve équine, maladie qui, jusqu’à présent n’a pas de traitement ni de vaccin : “préparez un mélange de beurre d’antimoine et de bézoard minéral, une livre de chaque, et incorporez une balle de stimulant d’une moitié de livre. Faites ingérer une boule de la grosseur d’une noix tous les jours pendant deux ou trois semaines, en faisant suivre par un jeûne de deux à trois heures.”

 Pour la précision, le beurre d’antimoine, aussi appelé mercure de vie ou poudre d’algaroth, était un purgatif, un diaphorétique et un émétique, tout ça à la fois. Autrement dit, ça vidait l’estomac de partout et ça faisait suer. De nos jours, on abat simplement le cheval, c’est bien plus humain.

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Deux siècles avant Buffon pourtant, vers 1550, Ambroise Paré a bien tenté de démystifier le bézoard. Quand le roi d’Espagne en offre un à Henri II, l’objet est vanté pour sa qualité de contrepoison. Mais Paré objecte qu’un tel préservatif ne peut exister étant donné la nature versatile du poison. En effet, tout peut être un poison, c’est seulement une question de dosage. Face aux protestations du représentant du roi d’Espagne, Paré propose de faire tester le bézoard sur un condamné à mort. L’individu choisi est un cuisinier de la cour destiné à la corde pour vol, trop heureux d’avoir une alternative. On lui promet surtout qu’il sera libéré s’il en ressort indemne.

 Paré décrit la scène suivante : “Alors un apothicaire lui donna un certain poison et subitement une raclure de ladite pierre de bezoard. Ayant ces deux drogues dans l’estomac, il cria qu’il avait le feu dans le corps. Une heure après, je priai le sieur de la Trousse d’aller voir, ce qu’il m’accorda en compagnie de trois de ses archers ; je trouvai le pauvre cuisinier à quatre pieds, cheminant comme une beste, la langue hors la bouche, les yeux et toute la face flamboyants, jetant le sang par les oreilles, par la bouche et par le nez, et mourut misérablement criant qu’il eut mieux valu être mis à la potence.”

 Peu après, Henri II fait détruire le bézoard par le feu et l’envoyé du roi d’Espagne est congédié. La méthode scientifique était là, irréfutable.

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Pour finir, si vous voulez changer un peu du bézoard dans vos écrits, sachez enfin qu’au rang des autres pierres prétendument médicinales, se trouvent notamment :

• La pierre alectorienne (calculs de coq) : pour s’assurer la victoire au combat et le soutien d’une assemblée ;

• La pierre oolithe qu’on mélange à la farine pour cuire un pain censé être immangeable par les voleurs ;

• L’hyacinthe, la perle, le rubis : phylactères contre le poison ;

• L’émeraude en talisman contre l’épilepsie ;

• La topaze contre l’hypocondrie ;

• L’opale : protection contre la perte, fait briller les yeux ;

• L’améthyste préserve contre l’ivresse ;

• Et une pierre prétendument contenue dans la tête des tortues, mais j’avoue ne pas avoir daigné chercher plus loin.

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