La chute de la dynastie Qin

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Le mécontentement des mercenaires Wagner dirigé contre le commandement russe – mais bizarrement pas contre Poutine – n’a cessé d’enfler depuis début juin et ce n’est pas une surprise si l’absence de résolution en interne a abouti à un coup de force du groupe paramilitaire sous des airs de coup d’État. Et entre deux voltefaces d’Evgueni Prigojine lors de son bluff médiaticomilitaire, pendant quelques heures, sa rébellion a pris des airs de soulèvement de Dazexiang, surtout quand il déclare que s’il continue la guerre dans ces conditions, c’est la mort assurée, alors autant mourir en se battant contre ceux qui l’envoient à la mort. En réalité, ça a fait pschitt, mais c’est l’occasion d’évoquer les débuts de l’empire chinois.

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Nous sommes en -209, sous la dynastie Qin, première dynastie impériale de Chine. Qin Shi Huangdi, littéralement “le premier auguste empereur de Qin” est mort quelques mois plus tôt et son fils, Qin Er Shi, “le second empereur de Qin” est un souverain fantoche et capricieux. Laissant les affaires courantes à son premier eunuque Zhao Gao et à son premier ministre Li Si → lesquels ne peuvent se supporter –, Er Qin Shi passe son temps à sanctionner quiconque le contrarie, dans la tradition tyrannique de son père, mais sans l’autorité ni l’intelligence.

 Une des forces de son père, Qin Shi Huangdi, était la méritocratie. La noblesse avait été abolie, seul comptait le résultat. Ainsi, un simple soldat pouvait espérer une promotion en fonction du nombre de têtes ennemies qu’il décapitait. Ce système hautement motivant pour les troupes récompensait le zèle, instaurait une saine compétition pas du tout sanglante et assurait une certaine loyauté au sein de l’armée. On ne gagnait pas de privilège par son sang, mais en versant celui des autres.

 En contrepartie, un manquement et c’était la rétrogradation, parfois au niveau du col. Et si ce système a permis l’unification d’une grande partie de la Chine sous Qin Shi Huangdi, son fils a oublié la carotte pour ne garder que le bâton.

 Aussi en -209, lorsque deux officiers, envoyés dans le Dazexiang pour renforcer l’armée en place, ne se présentent pas le jour venu, on ne donne pas cher de leur capacité à garder la tête sur les épaules.

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En réalité, l’armée de Chen Sheng et Wu Guang a été bloquée en chemin par des inondations subites après une pluie torrentielle. Qu’à cela ne tienne, aucune excuse n’est valable pour avoir fait défaut à un ordre impérial. Souvent, on raconte l’histoire sous forme de dialogue entre les deux chefs d’armée :

— Wu Guang, rappelle-moi, quelle est la punition en cas de retard ?
— La mort, Chen Sheng.
— Et quelle est la punition en cas de rébellion contre l’empire ?
— La mort aussi.
— Dans ce cas…

 C’est ainsi que débute le soulèvement de Dazexiang, une rébellion qui s’étend à tout l’empire en l’espace de quelques mois et alimente la dissension générale. Et bien que Chen Sheng et Wu Guang soient assassinés par leurs hommes – pratique souvent associée au premier ministre Li Si –, leur soulèvement ouvre la voie à des mouvements de révolte irrépressibles.

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L’autorité impériale mise à mal, l’empereur Qin Er Shi est convaincu par Zhao Gao, son premier eunuque, de la trahison du premier ministre Li Si. On torture ce dernier avec son fils, puis on les condamne à une exécution publique pratiquée selon les lois que Li Si avait lui-même établies sous le règne du premier empereur : ils sontt marqués au fer rouge, ont le nez et les pieds coupés, puis on les éviscère avant de les décapiter. Et après, on s’étonne que le législateur moderne moyen soit contre la peine de mort, la torture et la découpe des pieds.

 Tout ça n’empêche pas les rebelles d’arriver aux portes de la capitale. Alors l’eunuque Zhao Gao fait se déguiser des gardes en rebelles et simule une attaque du palais, forçant l’empereur à se suicider. Puis Zhao Gao installe sur le trône le prince Ziying, frère du défunt empereur, pendant qu’il négocie avec les rebelles. Mais Ziying se méfie de la duplicité de Zhao Gao et préfère l’éliminer à son tour ainsi que toute sa famille, immédiate et éloignée, avant de capituler et d’être exécuté lui aussi par un chef rebelle. Des Qin, on fait un carton plein.

 L’empire n’a pas survécu trois ans après la mort de son fondateur, Qin Shi Huangdi, un souverain despotique qui pourrait faire l’objet de mèmes tellement sa paranoïa a été la cause d’anecdotes insolites. Je n’en citerai que deux de façon résumée :

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Qin Shi Huangdi et les immortels de la montagne rouge

Hanté par l’idée de mourir, Qin Shi Huangdi est prêt à tout pour trouver un élixir d’éternelle jouvence. Et persuadé de la véracité d’une légende à propos d’êtres immortels vivant en haut de la montagne proche, il fait paver une route en ligne droite entre la capitale et la montagne pour faciliter la visite d’un de ces immortels. Après tout, il est empereur, il est en droit d’attendre qu’un immortel vienne lui présenter ses hommages.

 Comme personne ne vient, Qin Shi Huangdi creuse un chemin dans la montagne. Puis il fait installer des dizaines de milliers de marches pour vraiment leur mâcher le travail. Personne ne vient. Vexé, Qin Shi Huangdi ordonne de faire peindre toute la montagne en rouge pour bien montrer à des personnes imaginaires qu’il l'a mauvaise. Peu de temps après, il se ravise et ordonne de raser entièrement la montagne. Plusieurs centaines de milliers de personnes auraient péri dans ces chantiers successifs.

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Qin Shi Huangdi et les complots

C’est une tradition familiale. Quand l’empire n’est encore qu’un royaume, les règnes cumulés du père et du grand-père de Qin Shi Huangdi n’ont pas duré plus de quatre ans. Chacun est même mort de façon inexpliquée. Plus tard, l’amant de sa mère, un faux eunuque, tente de s’emparer du pouvoir à la fois à la cour et avec une armée. Mais fraichement couronné roi, Qin Shi Huangdi étouffe la rébellion, fait exécuter l’amant et les enfants que sa mère avait eu avec lui, puis exile celle-ci ainsi que le régent qui était au courant de la liaison de sa mère.

 Pour se prémunir contre tout attentat futur sur sa personne, Qin Shi Huangdi interdit à quiconque de l’approcher sans un protocole strict. Vient évidemment la tentative d’assassinat. Pour cela, un général en fuite a accepté de se faire trancher la tête et que celle-ci serve de prétexte pour approcher l’empereur, c’est dire si le souverain était apprécié. On teste également sur de nombreux esclaves le poison dont on doit enduire une lame. Les tests semblent concluants, on n’a vraiment pas envie de se rater.

 Le moment venu, l’assassin livre la tête à la cour impériale, obtient la permission d’approcher et dégaine sa lame, mais ne parvient qu’à tailler dans les robes impériales. L’empereur s’empêtre dans ses tissus, ne parvient pas à tirer son épée, crie à l’aide. Personne ne bouge. L’empereur court, l’assassin le poursuit. Les deux tournent autour d’un pilier pendant un moment plus ou moins long selon les versions. Personne ne bouge. Il y a bien la garde impériale qui a rappliqué, la moitié de la cour qui se tient à distance en bouffant du popcorn, mais personne ne veut approcher puisque c’est passible de mort. Finalement, l’empereur réussit à dégainer son épée et blesse l’assassin à la jambe. Celui-ci veut s’enfuir, mais comme il s’éloigne de l’empereur, tout le monde lui tombe dessus.

 Comme quoi, partir, c’est toujours mourir un peu.

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