La Hourquie

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En seconde, j’ai brièvement été copain avec quelqu’un dont je ne me rappelle plus le nom. J’ai des circonstances atténuantes, ça remonte à loin et notre amitié, survenue tard dans l’année scolaire, n’a pas survécu aux vacances. Je n’ai pas gardé beaucoup de souvenirs de lui ou de l’époque d’une manière générale, et la seule information tangible qu’il me reste de lui est qu’il avait fréquenté le collège La Hourquie à Morlaas.

En adolescent idiot, j’avais trouvé le nom hilarant puisqu’en béarnais, le h est fortement aspiré et qu’un accent tonique est présent sur la première syllabe. La Hhourrquie. Il suffisait d’un rien, d’exagérer la prononciation en avançant la mâchoire, et on en avait pour presque une heure de ricanements débiles. Ça nous a duré plusieurs semaines. Je ne regrette rien, surtout pas l’absence d’internet durant mon adolescence.

À l’époque, j’ignorais que Morlaas était pendant un peu plus d’un siècle, jusqu’en 1131, la capitale du Béarn bien qu’il ne reste plus rien de son château, domicile de ses vicomtes. Cela, je l’ai appris à la fac de la bouche suintante d’un pilier de bar tout content de partager son savoir en échange d’un coup à boire. Modeste, mais première révélation sur ce nom : le collège de Morlaas était nommé d’après un château que son seigneur avait abandonné du jour au lendemain avant qu’il soit rasé quelques siècles plus tard sans qu’on sache vraiment pourquoi.

Ça n’a rien de très passionnant, pourtant bien des mystères demeurent, à commencer par son emplacement aujourd’hui oublié ; on a bien quelques hypothèses, un coteau par-ici, un nom de lieu-dit par-là, mais rien de très probant. De ce passé glorieux, ne restent qu’un nom et quelques descriptions de la vie au château avec ses fourches patibulaires dressées les jours de marché.

Mais au fait, d’où vient cette hourquie ?

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D’après certains locaux, hourquie serait une manière de désigner le marché dans la région. La preuve : de nos jours, le marché a toujours lieu chaque semaine sur la place de la Hourquie. Ailleurs en Bigorre, le jour du marché était parfois appelé la hourquie. Et quand Morlaas était la capitale béarnaise, le grand marché se tenait chaque semaine devant le château. L’étymologie serait donc le forum latin devenu fors, forca, fourquie, hourquie… Les Fors du Béarn, ensemble de textes juridiques, datent d’ailleurs de la même époque – for étant ici à prendre au sens de place où la vie publique a lieu et par extension, désigne les lois de cette place.

Pour d’autres, hourquie viendrait de l’occitan hourc ou fourc (lieu planté d’arbres, bois, forêt). Parce que la place de la Hourquie fut longtemps bordée d’arbres. Alors que cette explication n’est pas la plus solide, elle reste celle qu’on m’a le plus souvent sortie.

Puis, tout se complique un peu avec une lecture plus tardive de l’histoire gasconne où il est question de la devise féodale du vicomte du Béarn, Pax et Onor Forcas, que l’on traduit par “paix et privilège seigneurial de la Fourquie”, ainsi que de la monnaie battue à Morlaas, nommée moneta Furcensis, et qui amène ce raisonnement : Hourquie serait simplement le nom de la maison seigneuriale béarnaise sous le nom Furcia, soit le fief ou ce qu’un seigneur accorde à un vassal en échange de sa soumission.

On pourrait aussi argüer qu’il est logique d’adopter une devise et de nommer la monnaie battue chez soi d’après le nom de son château. Parce que quand on a un château, on fait un peu selon son bon vouloir.

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Une dernière hypothèse très présente dans des textes du XIXe siècle, mais presque toujours écartée dans des traités plus modernes, met en lien les fourches patibulaires dressées devant le château et le nom de celui-ci.

Parfois appelées piliers de justice, souvent confondues avec un gibet, une potence ou un pilori, les fourches patibulaires servaient à pendre le cadavre des condamnés. L’origine est latine parce qu’il faut bien être civilisé pour inventer le patibulum, la fourche sur laquelle on attache un esclave pour le fouetter. On notera au passage le pléonasme né de la traduction des fourches patibulaires.

La théorie glissée sous le tapis serait donc que le château aurait reçu son sobriquet à cause des fourches. Certains vont jusqu’à avancer que la fourquie serait le droit d’exercer ce qu’on appelait la haute justice, autrement dit le droit de condamner à mort et de dresser… des fourches patibulaires devant son château. Et pour l’anecdote, un seigneur avait droit à plus ou moins de fourches selon sa hiérarchie : deux piliers pour le petit seigneur, trois pour le châtelain, quatre pour le baron ou le vicomte et six pour le comte ou le duc.

Le dernier point qui vient semer le doute sur l’origine du nom du château est que les fourches patibulaires n’étaient supposément dressées que les jours de marché à Morlaas. Le château, les fourches, le marché, c est l’œuf et la poule, version triangle amoureux. Le nom du château vient-il du marché, des fourches ? Ou en est-il l’instigateur ?

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Il n’y a pas de conclusion, ce n'est pas le but ici de percer un mystère onomastique, mais j’ai remarqué que le choix d’attribuer telle ou telle origine au nom hourquie est quelquefois partial et assumé par l’auteur dans les archives du XIXe siècle que j’ai épluchées. Il y en a notamment un qui admet préférer l’hypothèse du lieu planté d’arbres à celle des fourches patibulaires parce que la première est plus gracieuse. La rigueur scientifique qui préfère vanter la grâce, on dirait du Michelet. Si ça se trouve, je parlerai de lui la prochaine fois.

Ou je parlerai de lieux qui portent encore de nos jours le nom de ces vestiges disgracieux. Non, il n’y avait pas de fourches patibulaires à la station La Fourche à Paris, ni rue de la fourche à Bruxelles.

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