The Day after

6 minutes de lecture

Âme pure :

On fait l’bilan, calmement, s’remémorant chaque instant…

Aventure de vacances. Jour d’après.

Déjà, nos échanges sur Scribay ont repris leur teneur d’avant, enrichie d’une nouvelle complicité. Des clins d’œil. Autodérision. Au moins notre rencontre nous a-t-elle ramenés sur le site : un déclencheur d’inspiration, on va dire ça.

En réalité, ce texte « à quatre mains », à l’instigation de notre marraine la fée, aurait pu tourner au désastre. Grosse réticence à m’embringuer là-dedans. Pourtant, sans présager du résultat littéraire, l’expérience s’avère stupéfiante. Nos deux textes, rédigés chacun dans notre coin, s’articulent comme naturellement une fois réunis. Rien à dealer, coopération harmonieuse. Le contenu, forcément, ça gratte un peu. On n’est pas des Bisounours, non plus. Je découvre qu’il a mal pris les remarques sur son manuscrit. Bravo l’ex-instit ! Loin de le remettre en projet, tes annotations l’ont bloqué. Et merde ! Je le sais, pourtant, qu’on n’accueille pas volontiers mon « aide » parmi les scripains.

Il dit aussi que son Esprit Torturé a cru effaroucher mon Âme Pure. Sérieux ? Comment aurait-elle eu peur ? Ce type est un type bien. Une de nos anecdotes portera sur le mot gentleman, qu’il récuse. Je maintiens : la délicatesse, l’écoute… Des qualités qu’il dit perdre rapidement au cours de ses relations ? Tant mieux, nous c’est « one shot ». Plusieurs « one shot », qui sait, si l’occasion se présente.

Esprit Tortueux :

Les lignes blanches défilent en pointillé sur fond de macadam. Vitre ouverte, accoudé à la portière, je les fixe d’un œil hagard sans vraiment les voir en pensant à mon institutrice de retour chez elle, dans la frénésie parisienne qui lui est familière. Un titre un peu gnangnan des années 80 me trotte dans la tête.

Maî-tresse, oh ma maî-tresse… Ne touche pas à maî-tresse !

La gueule de l’écorché vif, putain ! Sans déconner, Images… T’es sérieux ? Pourquoi pas Elsa et Glenn Medeiros, tant qu’on y est ? Leurs paroles, « Comme une histoire d’amour-vacances », colleraient tout aussi bien à l’état d’esprit de l’instant !

Un peu d’amour propre, tout de même… On a une image d’insouciant dans le vent, de rock and roll attitude à tenir, bordel !

Âme Pure :

L’avantage, quand on ne recherche pas du durable, c’est qu’on compose. Avec tendresse et curiosité. Ni contrôle, ni concurrence, ni possessivité… C’est même le contraire : dans l’incertitude de l’autre s’engouffre le fameux « Comme tu veux ». Pénible celui-là, mais inévitable quand il manque un décisionnaire. Les peurs pas totalement jetées par-dessus bord : peur de dire, de faire, de ne pas faire, de ce qu’il pense ou ne pense pas. Globalement, après avoir mis au clair les tâtonnements du début, on a réussi à naviguer en sécurité dans notre nouveau territoire. Il me semble l’avoir senti détendu. Un sourire constamment accroché aux lèvres. Moi aussi. Une distance au monde libératoire.

Ah, ce que c’est bon ! Attention, je ne milite pas pour le jetable non plus, gaffe à l’impact écologique.

Esprit Tortueux :

À ma gauche, Pablo avale les kilomètres sans s’offusquer de mon absence. Il me connait bien et ne pénètre ma bulle qu’en cas de danger imminent ou d’absolue nécessité, pour me passer le pétard par exemple.

Esprit Tortueux dans la lune, tu parles d’un scoop !

Désireux de rompre avec ce remake raté de Rain-man sur fond de tubes mercantiles, je passe la tête au dehors et ferme les yeux. La douce pâleur du soleil de février me caresse le visage. Exposant ce qui me reste de cheveux au vent, je m’évade outre-Atlantique, au volant d’une Ford Mustang flambant neuve, chevauchant l’asphalte de la route 66 jusqu’à Los-Angeles. J’inspire profondément… C’est à cet instant précis qu’une puissante odeur d’épandage de fumier vient me chatouiller les narines. Retour brutal à la réalité : pays des fromages qui puent, Départementale 714, chauve bedonnant assis à la place du mort dans un Scénic pourri, une bière à la main et un pétard dans l’autre… Bon sang, il a morflé James Dean !

Je ferme la vitre et me reconnecte au monde qui m’entoure. Pablo me lance un regard complice auquel je réponds par un sourire, l’air aussi détaché que possible. Je simule un certain niveau d’entrain avec un jovial « Musique, maestro ! », en me précipitant sur l’autoradio pour briser ce silence qui risquerait de lui donner envie de papoter. Ou pire encore... il pourrait chercher à savoir ce qui me torture l’esprit à ce point, sur la route d’une fiesta de retrouvailles avec une armée de potes épicuriens dans un manoir des Cévennes ! Pas très « Covid Safety » ce genre de rassemblement « cluster », certes, mais tellement jubilatoire en ces temps de pusillanimité sanitaire et sociale !

« Twist In My Sobriety » de Tanika Tikaram envahit l’espace sonore.

Non d’un chien ! C’est un complot, ils s’y sont mis à plusieurs…

Âme pure :

En cette période, bon sang, le contact d’un autre être humain est un luxe qu’on apprécie. Peau à peau, comme le traitement appliqué à ces prématurés stressés par leur environnement. Un sacré lâcher-prise. Et maintenant rassembler les bouts d’armure éparpillés, ajuster, riveter et repartir au combat.

Un creux à l’estomac.

Tu sais bien que c’est toujours comme ça, pas grand-chose à faire, à part attendre que ça reflue tout seul. Si tu ne veux pas subir, tu n’y vas pas et puis c’est tout. Comme tu fais d’habitude.

Ne pas le lui montrer. Premièrement parce que ce n’est pas dans le contrat, ensuite parce que c’est le meilleur moyen de dynamiter les ponts. Même moi, je me ferais fuir. Je suis grande, raisonnable, vaccinée. J’ai bien reçu tous les rappels, merci.

Esprit Tortueux :

Cette fille m’a sans doute un peu plus chamboulé que je n’ose me l’avouer. Les choses étaient pourtant claires, on profite du temps qui nous est imparti et ciao Bella ! C’était le contrat. Bon, pas de panique, tout cela va se tasser dans les jours à venir. Et puis rien ne m’oblige à lui révéler qu’elle me manque. Il suffit de garder l’air détaché dans les messages… Afficher une façade de clown pour masquer mon ressenti réel ; je sais faire, aucun souci. Cette douce mélancolie du « juste après » des aventures sans lendemain est pourtant réconfortante. J’aime m’y réfugier. C’est un peu comme l’épaule d’une bonne amie muette qui te connaît par cœur. Tes démons, tes faiblesses, ce que tu assumes ou pas de toi-même… Elle t’écoute, t’enveloppe de sa neutralité et te console silencieusement, sans jamais porter de jugement ni même donner son avis.

Âme Pure :

On sait qu’on est émotionnellement fragilisé quand les chansons commencent à nous parler. « So far away from me » Dire Straits, à la radio. T’es mal barrée, je m’automoque. Bon, OK, la vérité, il me manque. Mais je suis bien aussi, là, seule chez moi, maîtresse de mon horloge. Les psys disent, autant de temps de récupération que de temps passé ensemble : dans une bonne semaine, ne resteront que de jolis souvenirs.

Esprit Tortueux :

Enfin, nous voici rendus. Salut, la forme ? Super, merci. Ça fait un bail… Banalités de circonstance, très peu pour moi, je ne suis pas d’humeur ! Bon, il est où le bar ? Tiens, tiens… Le Mojito en cocktail vedette de la soirée, voilà qui semble parfait pour chasser cette amourette éphémère de mon esprit tortueux. Comme pour corroborer ces pensées pourtant simplistes, une brune aux yeux amande pénètre ma bulle sans crier gare.

— Salut. Enchantée, moi c’est Laura. Tu veux danser ?

Elle semble plus jeune que moi d’au moins dix ans, un bébé… Je souris et attrape la main qu’elle me tend. Led Zep et son « Stairway to Heaven » déroule sur les enceintes. Sans plus de formalités, Laura m’enlace et pose sa tête sur mon épaule. Entreprenante, la gamine ! Le solo de guitare du refrain aura raison de ma retenue, je tourne la tête et viens frotter mon nez dans son cou avant d’y déposer un baiser.

Un quart d’heure plus tard, on peut dire sans risquer d’exagérer que le lâcher prise a repris le dessus. Nous sommes dans une chambre à l’étage, je suis debout, adossé au mur et Laura est agenouillée devant moi. Que dire, sinon qu’elle sait y faire et que je n’en ai plus pour très longtemps… Je ferme les yeux en basculant la tête en arrière. Une pensée aussi soudaine qu’incongrue surgit alors de nulle-part :

Est-ce que tu crois franchement qu’Âme Pure maintiendrait que tu es un gentleman si elle entrait par inadvertance à cet instant précis ?

J’empoigne alors la tignasse de la belle avec un sourire narquois avant de me répandre dans sa bouche sans la moindre vergogne.

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