Scribmeet'Hic !

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Esprit tortueux :

Nous avons rendez-vous. Elle arrive ! Je vais enfin poser un visage sur son pseudo. C’est un peu stressant, il me faut bien l’avouer… Certes, Scribay n’a rien d’un site de rencontres mais nos échanges en MP ont depuis quelques temps dépassé l'altruiste entraide entre plumitifs en herbe à laquelle ce site est dédié. On s’encanaille un tantinet et on dérape, on glisse vers une ambiguïté toute nouvelle qui ne me laisse pas de marbre.

Âme pure :

J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien.

Il paraît, il dit que, éventuellement, j’aurais mis de l’ambiguïté dans nos échanges sur Scribay… Pas de preuve, l’historique de mes messages ayant été nettoyé de tout ce qui s’y trouvait avant 2021. Et puis c’est loin, puisque nous avons été absents du site tour à tour pendant des mois. C’est ma ligne de défense. Après, un doute raisonnable subsiste. Me serais-je complu dans une légère provocation humoristique, voire salacement allusive ? Rien que de très classique. Bref, j’ai rien fait.

C’est donc l’âme pure (et l’esprit néanmoins intranquille : rencontrer quelqu’un en vrai pour la première fois ce n’est pas évident, et en plus cette andouille est célibataire aussi, ce qui introduit toujours une variable supplémentaire dans les relations mixtes, même en l’absence d’arrière-pensée et quoiqu’en disent les néo-féministes), je reprends : l’âme pure se présente à son boulot. Moi je glandouille depuis dix jours avec bonheur en mon séjour châtelain, résidence abritant mes déconnades d’été. En l’occurrence, c'est l'hiver.

Retour sur les motifs du RDV IRL : après avoir reçu un bon coup de main sur Scribay, je lui ai demandé ce que je pouvais relire de lui. Il fallait attendre, l’œuvre n’était pas assez avancée pour commencer à la soumettre à la question des scripains. Vous savez bien : remise en question, corrections et échanges, pas le temps d’avancer sur la suite… Je vous la fais courte :

— Je vais passer dans le coin, si tu veux m’imprimer ton début, je te donnerais mon avis ?

Dac, merci Kodak.

Esprit tortueux :

Officiellement, elle vient récupérer la première moitié de mon manuscrit pour se défouler dessus au stabylo, elle n’a pas pris assez de lecture pour ses vacances déconnectées, semble-t-il… Mon protagoniste n’en mène sans doute pas plus large que moi : pour peu qu’elle trouve que le personnage principal manque de profondeur, on est à deux doigts de la rupture ! Fini les annotations virtuelles et impersonnelles sur le site, elle va caresser l’objet papier de sa chair, l’effleurer de sa plume pour le noircir encore un peu plus à l’encre de ses corrections impitoyables, bien que toujours pleines de bon sens.

Âme pure :

Cliché instant T. Rencontre. Quand tu apprends à connaître quelqu’un à l’ancienne, tu l’appréhendes de l’extérieur : la présentation, la voix, les mimiques, le discours. Une progression sans heurts, pas à pas. Quand tu le découvres par son écriture, c’est différent, tu entres d’abord dans sa tête. Ce qu’il veut te montrer de sa tête. J’en ai connu quelques-uns, des gens du site : à chaque fois, il me faut un temps pour fondre les deux perceptions, la nouvelle, visuelle, et celle de la voix lue. Là, pareil. Sans ces quelques messages préalables par écrans interposés, on n’aurait ni l’un ni l’autre donné sa chance au produit.

Ouais, mais si, t'es bien conservée, et lui, il n’a pas de ventre.

N’empêche que c’est un bébé.

Ta gueule, Kodak.

Esprit tortueux :

— On garde les masques ? me demande-t-elle hésitante.

Pis quoi encore, au contraire… Bas les masques ! Ahhh, la voici donc dévoilée, la frimousse qui se cachait derrière ce pseudo dans nos échanges scribayens depuis trois ans. On grignote quelques frites avec la sauce roquefort de mon plat du jour et on descend quelques bières en papotant. Bon, l’après-midi avance et le couvre-feu approche dangereusement.

À très vite…

Âme pure :

Son œuvre est entre mes mains. Mes mains qui la feuillettent sur la table basse. Nos culs sur le canapé. Sympa l’intérieur, accueillant. Une bibliothèque qui rappelle singulièrement la mienne. Pas très masculine.

C’est quoi une bibliothèque masculine, c’est quoi cet a priori genré ?

À un moment, échange de regards. Je sais, il sait, on sait qu’on sait mais on enterre la fulgurance. Parlons plutôt du précédent bouquin, édité. Merci pour la dédicace ! Le nouveau, il le copie sous Word et l’imprime. Je repars avec. C’est tout. Et c’est déjà pas mal. Comment cela, ça vous laisse sur votre faim ? Et moi donc !

J’ai annoté son manuscrit en deux jours. Prévoyant du beau, je propose de le lui rapporter en revenant de la plage. Dans la foulée, il m’offre l’hospitalité, avec en prime un programme tenant compte des quelques centres d’intérêts qu’il me connaît. Trop mignon. Trop chelou.

Je réponds : « Partante jusqu’à 16h30. Le reste on se le garde sous le coude, un peu trop sauvage pour passer d’emblée la nuit chez toi, je pense, malgré l’offre alléchante ».

Esprit tortueux :

La sentence tombe quelques jours plus tard. Les pages toute proprettes imprimées en Calibri 11 que je lui avais confiées me reviennent souillées de corrections, de remarques et de suggestions griffonnées au stylo Bic. Me voilà parti dans des remises en questions sur le projet, tout à fait inopportunes au seuil du climax de l’histoire…

C’est bien fait pour toi, bougre de couillon ! On te l’a pourtant dit et répété : ne jamais faire lire le premier jet d’un roman à qui que ce soit avant d’y avoir apposé le mot « FIN » !

Ceci étant, tout espoir n’est pas perdu, son avis sur l’ensemble est plutôt positif. Une fois la pilule digérée, les réflexions qu’elle m’offre sur ce brouillon inachevé vont m’aider à le perfectionner, à n’en pas douter. Exactement comme pour chaque texte que je lui soumets sur le site, me direz-vous… Alors quel est l’intérêt de flinguer des arbres de la forêt amazonienne pour quelque chose que les fonctionnalités de Scribay facilitent grandement ? L’humain, bordel… le contact humain ! On se cherche, on se frôle, on se frot……

Seize heures, il est temps pour ma duchesse de filer si elle veut être de retour au château avant le couvre-feu car bien qu'elle trouve mon "offre" alléchante, elle a préféré décliner l'invitation.

Alléchante... C'est toujours ça de pris !

Merde, fais chier ! Dix-huit heures, c’est pas humain… Même Cendrillon avait la permission de minuit !

Âme pure :

La conversation avance avec une meilleure spontanéité que la première fois, on se raconte, jusqu’à ce que je fixe machinalement l’horloge de la cuisine. 16 h. Soudain, c’est le drame. J’ai une heure de route pour rentrer sans compter la marge (Je suis de ces chiants qui arrivent en avance partout). Il me dit de rester. J’hésite. Et si on n’avait plus rien à se dire au bout d’un moment, enfermés ici jusqu’à ce soir ? Et si j’avais interprété ses sms de travers ? L’angoisse. Coincée ici. Insupportable présage. Je vois bien qu’il se demande ce qui a changé d’un coup. Est-ce qu’il a dit quelque chose, fait quelque chose ? Je lance un pitoyable « C’est pas toi, c’est moi » et je me carapate. Limite grossier.

Sur l’autoroute, je tourne plein de versions d’excuse. J’envoie finalement celle-ci : « Je m’exaspère, j’avais les affaires pour rester chez toi dans la voiture. Un petit problème de lâcher prise, je parie que tu n'avais pas deviné ? » Cela revient à me mettre à poil, cependant ça mérite au moins ça.

Il me vanne un peu sur le lâcher prise, gentiment, il est top. Nos messages suivants ont le mérite de lever l’ambiguïté. « … vendredi soir, je reste. Au pire, j’aurais 135 euros si je me fais choper à deux du mat. »

Esprit tortueux :

Rendez-vous est pris, plus de manuscrit en cours pour servir d’alibi. Cette fois, elle a devancé mon invitation et m'a carrément annoncé qu'elle restait passer la nuit. La chambre d’ami est libre et ça permettra de nous découvrir un peu plus, d’échanger sur nos lectures du moment, les scripains/scripines que l’on suit, nos vies, etc… sans se soucier du couvre-feu ou du nombre de verres ingurgités avant de reprendre la route. Ceci étant, tout cela reste ambigu pour moi et me torture l'esprit. Je n'arrive pas à la cerner.

Qu’à cela ne tienne…

À la tienne, Etienne !

Même pas peur…

Âme pure :

Je me pointe chez lui. Fin d’aprèm, mais vu la situation, c’est ce qui ressemble le plus à un soir. Normalement, on a balisé le chemin, la suite est presque écrite. Je mets les choses au clair en lui tendant une main vide :

— Tiens, je te laisse les clés du camion. Moi je lâche prise.

Je m’attends à… je ne sais pas, un tourbillon, un abîme, pas un truc de film mais un truc. Non. Pas de trucs.

— Tu as de la musique ?

Youtube, discussions, repas, film. Non, non, pas coquin le film. Sociétal et dans l’univers de l’enseignement, choisi pour me plaire.

Esprit tortueux :

Une arrivée à 17 h nous laisse peu de temps avant d’attaquer l’apéro, que l’on enchaîne sur une raclette. Simple et efficace, la raclette : repus, vissés dans le canapé, les langues se délient… Non pas comme ça, je vous vois venir, Scribayens friands d’anecdotes croustillantes ! J’entends par là que l’on discute, on échange, on se marre devant des podcasts de France-Inter… Rien de tel que le point de vue d’un chroniqueur gaucho pour dédramatiser la crise sanitaire que nous traversons dans la joie et la bonne humeur…

Âme pure :

Il déplie le canap, c’est mieux pour « allonger ses jambes ».

Enfin !

Ah, et puis non…pas de tentative d’approche, pas même un coup d’œil complice. Déconcertant. Je n’imagine pas un instant qu’il pourrait être anxieux, pas le genre du personnage, pas le genre de ses messages. Il est un tout petit peu plus jeune, ok, mais il a roulé sa bosse. Donc cela vient de moi. Il empile les coussins entre nous. Barrière. C’est clair. Heureusement qu’il y a une chambre d’amis. Voilà une soirée qui tourne à l’étrange. On a bu, trop peut-être, il propose une tisane. Le truc qu’on fait avec une copine. Du coup, une fois ce constat réalisé, je me retrouve sur des rails. Je peux me détendre. Un film, une tisane, quelques confidences et chacun dans son lit. Cela me va, je suis plutôt bonne comme amie.

Esprit tortueux :

Par pitié, ne nous voilons pas la face et accordons à ce texte toute la sincérité qui lui est due. Comme chacun sait, entre papotage et fricotage, il n’y a qu’un doigt ! Ce n’est pas l’envie qui manque mais nous sommes comme deux adolescents boutonneux dans la cour de récré, rongeant notre frein en attendant que l’autre fasse ce putain de premier pas…

Âme pure :

Mais voilà les voisins qui s’invitent, à trois avec une bouteille de rhum. Il me consulte. Ben oui, pourquoi pas, vu comment c’est emmanché ici ? Quand ils partent, il est deux heures. Rebelote avec le canap remis entretemps en position banquette. Le film ? Je plaisante en lui rendant les coussins à mettre entre nous. Yeux qui piquent, je m’affale un peu sur la frontière moelleuse. Et soudain une tête au dessus de la mienne :

— J'ai très envie de t’embrasser.

Ah ben, voilà !

Esprit tortueux :

Le lit de la chambre d’ami restera intact cette nuit-là…

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