Les protections magiques

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Mes mains tremblèrent, et tout mon corps fut secoué par l’essence du mur. J’eus la brusque sensation d’avoir plongé sous l’eau, d’être complétement immergée. Je me débattis à tout rompre dans l’obscurité et le vide, tandis que l’énergie tout autour de moi me rongeait. Ma gorge me brûlait, j’avais l’impression de manquer d’air. Enfin, je m’extirpai des ténèbres et parvins de l’autre côté, à quatre pattes sur le sol en pierre, ruisselante de sueur.

Je me redressai péniblement, puis m’éloignai instinctivement du mur. Le passage à travers les protections avait brutalement ravivé les douleurs de mes membres. Je cherchais encore ma respiration quand Dalin traversa la paroi et me rejoignit.

— Comme quoi, les protections du troisième cercle sont efficaces, dit-il en me toisant du regard. C’est bon signe que tu sois passée.

Je préférais ne pas songer à ce qu’il me serait arrivé si j’étais restée à l’intérieur du mur. Sans attendre de réponse, le magicien s’engagea dans la grande allée où nous nous trouvions. Elle formait de part et d’autre des arcs de cercle qui nous empêchaient d’en apercevoir l’extrémité. De grandes orbes de lumières et des lustres en cristal illuminaient l’espace. Sous nos pieds, un magnifique tapis rouge et or recouvrait le parquet marqueté. Sur les côtés, des escaliers en marbre permettaient l’accès aux étages et galeries supérieurs. De resplendissants vitraux de toutes les couleurs ornaient les murs. Je me demandais quelle magie pouvait les animer ainsi. Ils représentaient pour la plupart des magiciens du troisième cercle, combattant et repoussant les créatures démoniaques qui peuplaient autrefois le monde. Cette grande allée consacrée au troisième cercle entourait à elle seule les quartiers des deux premiers cercles de magie.

Le quartier des maître-magiciens était désert. Malgré l’heure excessivement tardive, je ne savais pas si je devais m’en étonner ou non. J’observais le magicien qui me précédait, tandis qu’il m’emmenait toujours plus loin dans la gigantesque galerie. J’avais du mal à concevoir que Dalin, illustre intendant de la citadelle, ait pris autant de temps et de risques pour moi.

Nous arrivâmes devant une large arche taillée dans le mur. De nombreux esprits aux grimaces terrifiantes décoraient la pierre finement sculptée. Un frisson me parcourut. C’était une nouvelle paroi à traverser. Le soulagement de ne pas rester là où mon maître aurait pu me retrouver fut balayé par la peur de vivre une expérience pire encore.

— Cette fois, je vais passer avec toi. Les protections du second cercle sont bien plus puissantes que celles du troisième.

Je déglutis en saisissant la main qu’il me tendait. Nous nous approchâmes du mur et Dalin posa la paume sur la paroi. Nous fûmes aussitôt absorbés par l’essence des protections.

L’obscurité et la sensation de vide ne dura qu’un instant. J’ouvrais les yeux sur un immense brasier flamboyant. Le crépitement des flammes grondait sourdement dans tout l’espace. Les flambées, gigantesques, nous surplombaient de toute part. Une sphère argentée nous protégeait de cet enfer, mais le pouvoir à l’œuvre était si puissant que j’en ressentais les vibrations sur ma peau. Tremblante, je resserrai ma prise sur la main du magicien qui se crispa.

— Cesse de m’agripper comme une enfant ! Montre-moi plutôt ce que tu sais faire, lança-t-il dans le tumulte.

Nous étions à mi-chemin de l’autre côté. Je le dévisageai, incrédule.

— Avance jusqu’à la paroi opposée. Ne me fais pas attendre.

J’allais au-devant d’une mort certaine, mais rester là à lui désobéir était pire. Rien ne m’attendait derrière le mur si je n’étais pas capable de le satisfaire à cet instant. Je fis le vide en moi, faisant abstraction du grondement des flammes, puis avançai d’un pas, sortant du bouclier d’énergie du magicien.

Autour de moi, ma sphère de protection scintillait faiblement d’une lueur dorée. Mais son éclat vacilla, et une fissure se dessina à sa surface. Je retenais mon souffle en la contemplant, impuissante. Puis le bouclier se brisa comme du verre, me livrant au chaos.

Je suffoquai, sentis les flammes du brasier lécher ma peau et poussai un hurlement de douleur. Je continuai d’avancer à tâtons, courbée, les bras en avant, coûte que coûte. Ma peau craquelait, ma chair fondait sous l’effet des flammes. Un pas, puis un deuxième, au cœur de la fournaise déchainée. Je sentis alors mes doigts sur la paroi invisible, m’y accrochai, plongeai, et parvins une nouvelle fois à m’extirper du mur, à fuir cette étreinte mortelle. De l’autre côté, je m’effondrai sur le sol, la conscience vacillante.

Au-dessus de moi, un lustre en cristal scintillait. Le plafond était recouvert de tableaux aux toiles marouflées, d’arabesques et de dorures étincelantes. Je m’allongeai sur le dos, à bout de force. Des larmes ruisselèrent sur mes joues, tandis que ma vue et mon audition se brouillaient. Avais-je si peu de valeur aux yeux du magicien ? Le matin même, il m’avait pourtant confié que j’incarnai à ses yeux un espoir inespéré. Combien d’apprentis avant moi avaient entendus ce discours ? Je refusais d’être l’une d’entre eux. Mais malgré mon désespoir, ma colère et cette rage de vivre, je perdis connaissance et sombrai de nouveau dans les ténèbres.


Fin de la première partie

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