Qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie ! ».

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Qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie ! ».


"Je ne veux pas me mettre à la fenêtre. La ville pue, les pneus des voitures crissent sur l'asphalte, les gens s'interpellent. On entend les talons des filles, les klaxons, bus grincent, les fenêtres et les portent claquent. Je ne veux pas ! Traitez-moi de vieux grincheux, ça d'accord mais tous ces gens, ces visages étrangers, ces odeurs corporelles... tout me dégoûte ! Regardez-moi ces donzelles qui se tortillent en suivant le mâle du coin de l'œil, méprisable ! Et ce vieux beaux qui bombe le torse en rentrant l'ampoule bedaine qui le précède habituellement, ridicule ! La nuit ? c'est encore pire ! les bruits y sont tenus mais têtus : ils vous enroulent, vous saoule d'une présence perfide, ils vous bercent d'odeurs fétides, ils vous promettent un lendemain pire encore que ce jour-là !

Parfois, au milieu de ce capharnaüm on entend un misérable oiseau dont la voix desséchée me ferait pleurer tant elle est pathétique. Ah ça oui, le roucoulement des pigeons déplumés, ça oui ; il me vrille les nerfs et attaque ma matière grise.

Vous me dites, Monsieur Voltaire qu’il est dangereux de se mettre à la fenêtre ? Mais je ne veux pas m’y mettre, moi Monsieur !

Attendez, mais que vois-je… Que fait cet homme en noir dans mon appartement ? et toute ces gens éplorés qui se penchent au-dessus de moi ? Mais qu’ils s’en aillent tous, je ne veux voir personne ! Partez bande d’imbéciles, il y a bien longtemps que je me refuse au monde de ces pantins ! La vie ne vaut que lorsqu’on est peinard en charentaises, affalé sur un canapé à contempler le plafond. La télé ? Vous n’y pensez pas ? Pour voir défiler des images bien pires que celle de la rue, je n’en veux pas ! Qui me dit que ces mirifiques paysages basques existent réellement ? et puis, sont-ils réellement beaux ? d’accord c’est vert et alors ? Ça veut dire qu’il pleut tout le temps, tu parles d’un bonheur.

Allez, voilà qu’ils pleurent ses pitres tragiques qui m’enserrent de leur bras… Reculez ! mais reculez ! Ne me touchez pas !

Je reconnais… il y a ma soeur Jeanne, celle-là elle pleure à gros sanglots la tête coincée dans ses mains. Ou alors, elle fait semblant ! Ce serait bien son genre. Je l’ai fichue dehors, il y a bien longtemps. Je n’en pouvais plus de ses embrassades sirupeuses. Elle est partie vexée comme une pintade, bouche pincée et cul serré. J’ai jubilé, mais j’ai jubilé ! Et voilà qu’elle est présente, pleurant à gros bouillon chez le monstre qui l’a jetée dehors. Réjouissant ! Je ne lui dirai rien pour la consoler. Pas envie.

Mon frère Marcel, ne parle pas. Il est concentré sur quelque point affligeant. Tous les traits de son visage tendent vers le bas. Qu’il a vieilli ! Ah l’attraction terrestre ne lui fait aucun cadeau ! Peut-être qu’à l’étape suivante, il entrera dans le sol ? Lui, j’ai fait en sorte de me fâcher avec lui pour une sombre histoire de cadeau qui ne me convenait pas. Prétexte, pardi !

Derrière il y a Macha. La belle Macha, enfin, ce qu’il en reste ! Bouffie, les yeux rouges et les cernes combatives, elle ne ressemble plus du tout à cette jeune femme alerte et pétillante que j’ai connue. Tout le monde l’aimait et chacun voulait un petit morceau de sa tendresse, de sa bonne odeur de fleur sauvage. Tout le monde… oui tout le monde…. Elle a préféré mon frère. Celui-là même qui me regarde avec des yeux de bovin à viande. Mais cessons-là, elle est moche, moche et moche !

Enfin, tourbillonnant comme un ressort trop longtemps compressé un moufflet ! Comment il s’appelle lui ? Très longtemps que je ne lis plus leur lettre. J’en sais rien et je m’en fous ! Qu’ils sortent, mais qu’ils sortent tous diantre !

Coincé dans la porte d’entrée, des gendarmes ! Mais qu’ai-je donc fait pour qu’on m’emmène les forces de l’ordre ? Ils ont démoli ma porte en plus ? Qui va payer ? Mais dites-moi qui va payer ? Pas moi en tout cas, puisque je n’ai rien fait ? Est-ce bien sûr que je n’ai rien fait ? J’ai bien jeté un tout petit pot de fleurs l’autre jour sur des petits jeunes qui squattaient mon devant de porte pour s’embrasser à pleine bouche en se susurrant des mots incroyablement idiots que j’entendais jusque chez moi ! et « tu es si douce, ma douce » « tes cheveux oh mais tes cheveux ! regarde ils s’enroulent si bien autour de mon cou, comme s’ils me faisaient l’amour » et l’autre dindonne rougissante et stupide l’embrassait à petite lampée comme on sirote un Spritz ! D’un geste brusque, j’ai ouvert cette fichue fenêtre et j’ai jeté le yucca qui m’encombrait la vue de toute façon ! De la légitime défense en quelque sorte ! Pas de quoi m’envoyer les flics quand même !

Incroyable, malgré mes vitupérations, ils restent tous là, plantés comme des aillets avec leur tête de dix pieds de long sauf le marmot qui court dans tous les sens. Il a déjà fait tomber l’ancienne théière de Maman, mais ça m’est bien égal, elle était affreuse… pas Maman, la théière. Quoique, à bien y réfléchir… non, Maman était ma Maman à moi… seul !

Je suis mort. Ca y est j’ai compris ! Enfin débarrassé du fardeau de cette vie. Le plafond commençait bien à s’écailler et je ne m’ennuyais pas trop. Mais là ça y est, c’est fini, je crois bien que je vais enfin pouvoir arrêter de penser, de parler, de crier, de pleurer, de souffrir… « qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie ! »

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