Chapitre 15 (suite) - 1597 -

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En arrivant au camp, nous fonçons vers ma caravane pour admirer notre butin. Mon frère retire ses chaussures et sa casquette en poussant la porte, Diabla qui trépigne de joie sort aussitôt. Après quelques caresses à mon chien, je rejoins Tito à l’intérieur et constate que Picouly a tout rangé en mon absence. Mon lit est fait, les draps ont même été changés, les affaires qui traînaient sont empilées et je devine une odeur citronnée de produit pour le sol. Je ferme les fenêtres pour rester le plus discret possible. Personne n’a besoin de savoir ce que je manigance. Nous vidons nos poches sur le plan de travail imitation marbre rose de ma caravane. Je me sens plus détendu, moins étouffé par la haine et la rage que j’avais en moi, débarrassé d’un poids que je portais sur mes épaules.

— On fait moitié/moitié ? me propose Tito, en commençant à tout séparer en deux.

Je le regarde compter en posant le pot de pièces d’un franc. Une relation nouvelle est en train de naître, l’éloignement forcé du haras me rend plus complice avec lui. Dans la palombière, nous étions pareils, nous avions le même objectif, tout s’est orchestré naturellement sans besoin de parler. J’ai confiance en lui, Tito est sans aucun doute la seule personne qui ne me trahira jamais. Je lui souris en le regardant partager les pièces avec minutie. J’ai toujours pensé que nous étions différents et c’est certes le cas, mais il y a un lien invisible qui se renforce avec beaucoup de respect et de fidélité.

La pression redescend petit à petit et lorsque Tito me tend le Cognac préféré de Pierrot, une once de culpabilité m’envahit. Je me demande s’il va se douter que je suis responsable de ce saccage et me détester davantage. Finalement, je suis devenu le moins que rien qu’il désignait et je ne me sens pas si bien que ça après cette vengeance ridicule, je ne suis pas si fier de mon attitude.

Tito n’a pas l’air de ressentir la même chose, je ne devine aucun remord en lui et cela me confirme que nous sommes bien différents. Il fourgue dans ses poches tout son butin et conserve une cigarette au coin de la bouche, prêt à l’allumer. Ce que je retiens de cette aventure, c’est qu’avec Tito à mes côtés, je me suis senti puissant et rien que pour ça je ne le regrette pas. Ce saccage a permis de me relever.

Je finis par tendre le Cognac à mon frère.

— Garde l’alcool, je n’en bois pas !

Ravi, il remet la bouteille de son côté et me dit sur un ton sérieux :

— Tu sais, j’ai des idées ! On pourrait faire des trucs tous les trois avec Paco !

Je lève un sourcil en réfléchissant à ce qu’il appelle « plan » et je réalise qu’il propose de m’intégrer à ses petits larcins. Je ne suis pas sûr de vouloir y participer. Ce n’est peut-être pas pour moi, même si je reconnais que l’argent devient une nécessité et que sans mon travail, il va falloir que je trouve une solution alternative. Je dois me pencher sur les conséquences, je n’avais pas vraiment envisagé une carrière dans ce « domaine ». Tout ce que j’avais imaginé depuis le début s’est écroulé comme un château de cartes. La donne a changé depuis et j’ai besoin de temps pour dénicher un nouvel objectif à la hauteur de mes ambitions.

En attendant ma réponse, Tito relève ses manches et je m’aperçois qu’il a un tatouage sur l’avant-bras. Un dragon crachant du feu entortille sa queue sur le poignet de mon frère. Je ne sais pas quand il a fait ça, je ne m’en suis jamais rendu compte.

— C’est quoi ?

— Oh, c’est le Yankee qu’a un copain qui est tatoueur… réplique Tito avec fierté, en tendant le dessin vers moi pour que je l’admire.

Aussitôt, une idée apparaît dans mon esprit. Je repense aux phrases de nona, notées dans un petit carnet que j’ai constamment peur de perdre. Pour ne jamais les oublier et les avoir toujours à portée de mains, je devrais me les faire graver sur le corps.

Tito insiste sur la qualité du dessin et en fait le contour avec son index.

— Le remplissage des couleurs est pas fini… Si t’en veux un, demandes'y au Yankee…

L’idée qui envahit mon esprit est peut-être bonne, mais comment payer ? Tito baisse ses manches et ramasse toutes ses affaires.

— Réfléchis… On refera ça quand tu veux ! me lance-t-il avant de sortir pour planquer son butin dans sa chambre.

Aujourd’hui, j’ai répondu à Pierrot pour tout ce qu’il m’a fait endurer, mais je ne lui donnerai pas satisfaction en devenant le petit « vaurien » qu’il imagine. Cette vengeance m’a simplement ouvert la voie d’une renaissance, elle me prouve qu’au fond de moi, j’ai encore la volonté de me battre. Je ne sais pas exactement ce que sera mon avenir, mais il sera grand. Je le jure…

Je me résigne à attraper le livre que j’ai commencé hier pour arrêter de me prendre la tête avec cette histoire. Diabla, qui s’est allongée sur le plancher pour profiter d’un rayon de soleil qui perce à travers les arbres, ne bouge pas d’un pouce. Elle surveille avec attention chacun de mes gestes du coin de l’œil, mais n’a pas intérêt de m’approcher. C’est la règle, elle ne monte jamais sur mon lit. Elle me regarde jalousement quand soudain, elle lève les yeux vers moi et remue la queue pour m’avertir bien avant que je ne m’en rende compte que le camion de Yankee s’avance jusqu’à nous. Elle a l’ouïe fine et sait se faire comprendre à merveille.

Le véhicule blanc ralentit et s’arrête à hauteur de la terrasse. Paco et Yankee descendent de la fourgonnette, puis libèrent leurs deux chiens en récupérant les fusils de chasse à l’arrière. Aussitôt, Diabla émet un grognement en direction des deux épagneuls qui ne s’approchent pas d’elle par crainte.

— Scar, viens ! Il faut que j’te parle ! m’appelle Yankee après m’avoir salué de la main.

Il m’attend adossé contre le camion et me fait signe pour que je m’avance vers lui. Le moteur ronfle toujours, tandis qu’il s’allume une cigarette.

— Monte ! On va faire un tour…

Je me demande bien ce qu’il me veut, contrairement à mes frères, je n’ai jamais été vraiment proche de lui. Je fais claquer ma langue pour appeler Diabla et la hisse à l’arrière du véhicule. Je ne pars jamais sans elle, c’est mon double. Je m’installe à l’avant en m’interrogeant sur les intentions de Yankee.

Nous traversons le terrain au plus vite, puis il s’arrête sur le chemin à la sortie. Il ouvre sa portière et descend en m’indiquant de prendre le volant.

— J’ai pas le permis…

— Justement, je vais t’apprendre à conduire, comme ça tu pourras le passer plus vite. C’est bientôt tes dix-huit ans.

— Ça coûte cher et j’ai pas d’argent… Et puis, y a des auto-écoles pour ça, tu sais…

— Pousse-toi, je te dis ! On va discuter…

Surpris, je m’installe tout de même au volant, pendant que Yankee écrase sa cigarette et monte à côté de moi.

Il a appris à Tito quelques mois plus tôt, mais je ne pensais pas qu’il en ferait autant pour moi qui n’ai fait aucun effort pour le connaître.

— Écoute, je cherche quelqu’un pour mon équipe ! Le Bastian s’est fait mal et il va pas pouvoir travailler pendant quelques semaines et je n’y arriverai pas tout seul avec le Tito et le Paco. Va falloir que tu m’aides…

J’ai bien entendu parler de l’accident de Bastian et de son transport à l’hôpital, mais tout ce qui le touche de près ou de loin ne requiert pas une grosse attention de ma part. Quoi qu’il en soit, je suis étonné de sa demande, car je suis tout à fait novice et incompétent pour ce genre d’ouvrage. Yankee bosse pour des agriculteurs et des forestiers dans l’élagage de grands arbres. Je ne l’ai jamais vu faire et ne sais pas du tout en quoi cela consiste, cependant j’imagine que cette activité me permettra de gagner un peu d’argent sans avoir recours aux mauvais plans de Tito, en plus de me changer les idées et m’occuper.

Yankee aurait pu proposer à n’importe qui d’autre ! Mais après réflexion, je suis convaincu que cette idée vient de mes frères ou de Picouly, peut-être même de tous. Ils ne renoncent jamais ces trois-là ! Il ne me manquait que mon beau-frère sur le dos pour faire carton plein. Je soupire en posant le pied sur l’embrayage pour passer la première. Paco m’a montré plusieurs fois comment faire.

— Lâche doucement en accélérant, m’indique-t-il. J’te payera pour ton travail…

J’aime lire, mais les journées sont un peu longues à ne rien faire d’autre, alors tout en avançant lentement avec le fourgon, j’accepte sa proposition.

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