Chapitre 11 -1649 -

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Chapitre 11

Cinq minutes plus tard, Agnès revient le feu aux joues et tout essoufflée d’avoir couru. Je me demande bien ce qu’elle me réserve, mais elle ne parvient pas à prononcer un mot tellement elle rit. Aussitôt, sa gaieté me contamine et je suis bêtement pris d’un fou rire sans en connaître la cause. Debout, face à face, nous n’arrivons plus à échanger un regard, à cause de notre hilarité. Mes abdominaux broyés par les coups de Bastian ne le supportent pas encore, je supplie Agnès de cesser, en me tenant le bide.

— Arrête, j’ai trop mal au ventre !

Elle finit par brandir une petite boîte ronde en plastique et je crois reconnaître du maquillage. Je me laisse tomber dans le foin, affolé par ce qu’elle prépare. Non, c’est un très mauvais plan, il en est hors de question ! Je n’étale pas une chose pareille sur moi, je ne suis pas une fille. Entre deux hoquets, j’arrive à articuler en gesticulant avec vivacité :

— Je mets pas ce truc…

Lorsqu’Agnès a une idée, il est difficile de la faire fléchir et moi comme d’habitude, je sais d’avance que je vais céder. Mon rire est désormais nerveux, surtout quand je la vois s’agenouiller devant moi, brandissant sa petite éponge au-dessus de mon visage.

— Oscar, laisse-toi faire ! Je t’assure, on ne remarquera plus rien !

— Non !

Je cache mon coquard multicolore avec mes deux mains, tout en continuant de me marrer. Agnès est très sérieuse maintenant, elle frotte son éponge sur son fond de teint en essayant de m’amadouer avec ses yeux bleus et sa mine angélique.

— Allez, ça peut le faire…

L’envie de l’embrasser s’empare de moi, quand elle fait sa petite moue appliquée avec ses lèvres, je ne vois plus que ça. Qu’elle me tartine comme elle le veut, moi je désire ses baisers. J’ai besoin de la sentir contre moi, de la prendre dans mes bras, de la toucher, de savoir qu’elle m’aime, que je suis important dans son cœur. Lorsqu’elle s’avance à nouveau, plus motivée que jamais, je me laisse faire. Appuyée contre mon torse, juste sur mes côtes pour ne pas forcer sur l’endroit sensible de mon ventre, elle tapote avec délicatesse mon coquard en soufflant de temps en temps sur la poudre. Je l’enlace et ferme les yeux pour apprécier ce pur moment de douceur.

La sentir me porter tant d’attention me remplit de bonheur, je me détends enfin sous ses caresses.

— Franchement, c’est beaucoup mieux ! remarque-t-elle satisfaite.

J’en doute, mais ça m’est égal, je souhaite que le temps s’arrête maintenant pour que nous restions tous les deux, l’un contre l’autre. Elle tend le petit miroir de son étui à maquillage afin que je découvre par moi-même.

— Ça se voit encore !

— Beaucoup moins !

Je grimace quelques instants pour mieux apprécier, sous le regard amusé d’Agnès qui se moque de moi.

— Bon dis-moi merci pour cette magnifique idée !

— Vu le résultat, je ne comprends pas en quoi je dois t’être reconnaissant…

Agnès me donne une tape sur le torse et se redresse en me traitant de goujat. J’aime bien la taquiner, mais j’ai plus que tout envie de l’embrasser. Je me relève lentement pour me mettre à sa hauteur et je lui susurre un merci en osant enfin avancer mes lèvres vers les siennes. Elle ne résiste pas un seul instant et lorsque nos bouches se rencontrent, plus rien n’existe, ni les couinements et bruits de succion des chiots, encore moins l’odeur du foin ou le rayon de soleil qui illumine le box. Mon corps est parcouru de frissons, mon cœur tambourine dans ma poitrine tandis que je savoure ce baiser au goût sucré.

Lorsqu’elle détache ses lèvres des miennes, je lui en demande encore :

— Pour me donner le courage d’aller voir ton père…

— T’as pas besoin de courage pour ça, le job te revient de droit !

À regret, je finis par lâcher Agnès qui fonce retrouver son étalon tandis que je traîne des pieds à la recherche de Pierrot. Il n’est pas dans les écuries, bien calmes et silencieuses, peut-être travaille-t-il dans les enclos ?

Je choisis de m’y rendre en moto, heureux de lui montrer le résultat de plusieurs jours de persévérance. J’enfile mon casque plus pour faire plaisir à Loupapé qu’autre chose, sans l’attacher, je ne trouve pas cela vraiment indispensable.

Je ne mets pas longtemps à apercevoir l’homme qui m’a élevé, au milieu d’un champ, tenant au bout de sa longe une jument. Une casquette, vissée sur son crâne qui se dégarnit, le protège du soleil encore haut dans le ciel. Je gare la moto assez loin pour que le moteur ne le dérange pas, puis en retirant le casque, je vérifie le maquillage d’Agnès, selon moi, tout à fait superflu.

Sur le terrain sableux, le cheval piétine d’un pas lent et régulier l’ombre du dresseur. J’admire quelques instants la quiétude du spectacle qui s’offre à moi pendant que le vent du soir se lève en douceur et fait danser les cimes des grands pins autour de l’enclos. Le crissement des branches est toujours agréable, quelques aiguilles se détachent et volent délicatement en faisant des tourbillons avant d’atterrir sur le sol.

Comme je sais le faire, je m’avance à pas de loup, piétinant les pâquerettes et longeant la clôture pour ne pas faire peur au cheval que Pierrot est en train de débourrer. Puis, je guette patiemment qu’il me fasse signe de me rapprocher, ce qu’il ne tarde pas à faire.

Les mains dans les poches, je m’élance en me demandant bien comment je vais formuler cela. Je n’ai pas revu Pierrot depuis qu’il m’a déposé au terrain. Je ne sais pas comment réagir face à lui, et pas seulement à cause de mon coquard. Je suis embarrassé par rapport à mon attitude suite à ses révélations sur mes parents et à mon refus de réintégrer le haras.

J’imagine que l’ancien militaire, toujours raide dans ses bottes attend de moi que je me comporte comme un homme. Il est difficile de connaître ses pensées, il affiche sans cesse un visage impénétrable, dû son éducation ou à sa formation professionnelle. Il doit m’en vouloir de me laisser aller avec mes pleurs et mes jérémiades. Je regrette de ne pas avoir su retenir ce chagrin devant lui, mais je n’ai pas pu encaisser la révélation. Je suis beaucoup trop sensible lorsqu’il s’agit de mes parents. J’ai tant souffert de leur disparition quand j’étais enfant, cela dessine en moi un vide immense. Je dois travailler cette faiblesse, du moins face aux autres.

Le regard de Pierrot se pose directement sur mon coquard. Il a vu ! J’incline aussitôt la tête et me racle la gorge. J’hésite et tourne en rond. Je ne sais quelle attitude adopter, alors je me baisse pour attraper un brin d’herbe et le porte à la bouche.

— C’est Loupapé qui t’envoie ?

— Oui…

— Pour le job, tu serais partant ?

Je valide d’un coup de menton. Pierrot, la tête haute, sourit et me met une tape derrière la nuque, a priori satisfait de lui. Je comprends qu’il m’a bien eu. Je suis victime d’un coup monté entre lui et Loupapé, mais au lieu de leur en vouloir, je suis rassuré et soulagé qu’il ne me tienne pas rigueur de mon refus d’être rentré avec lui au haras.

— Tous les soirs, de dix-sept heures à dix-neuf heures et tu retournes au lycée !

Je n’avais pas prévu cela dans le contrat. Même si ma décision est prise, je suis surpris par l’ordre de Pierrot qui attend ma réponse en me fixant avec sévérité. Je me tiens droit en mimant de regarder un vol d’oiseaux qui passent au-dessus de nos têtes. Je sais qu’il ne me fera pas de cadeau sur ma scolarité.

— D’accord !

— Tu ne demandes pas combien tu seras payé ?

Je hausse les épaules pour lui signifier que cela m’est égal, même si un peu d’argent me serait bénéfique, je suis prêt à venir gratuitement, juste pour le plaisir de traîner au haras.

— Par contre, il faudra changer d’esthéticienne à l’avenir…

J’éclate de rire et le salue de la main avant de repartir le cœur léger et rassuré vers ma moto.

C’est le premier soir où je rentre avant que la nuit ne tombe. Je file droit devant en rêvant d’un avenir serein. Je souris en pensant à celle que j’aime et que je côtoierai quotidiennement, aux moyens que je me donnerai pour réussir au lycée, à l’argent de poche que je vais mettre de côté, au bon temps au haras et à mes parents, toujours présents dans mon esprit. Convaincu qu’un jour je découvrirai ce que cache leur mort, je garde en perspective ma vengeance. Je réhabiliterai leurs mémoires et leur honneur, j’en suis persuadé.

Avant de passer le portail vétuste du terrain, je ralentis et m’arrête sur le bord du chemin. Un gros bosquet de ronces attire mon regard, il fera l’affaire à merveille. Je retire mon casque et choisis de le camoufler ici. J’adore Loupapé et il a tout à fait raison de préconiser la sécurité, mais ce casque flambant neuf va entraîner des jalousies dans le camp. J’ai décidé de me comporter comme l’un des leurs pendant quelque temps, histoire d’en apprendre plus sur le passé, ce n’est pas le moment de me faire remarquer.

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