Chapitre 9 (suite) - 1780 -

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***

Je pleure comme si j’apprenais tout juste leur disparition, comme si cette histoire enfouie depuis des années ressurgissait d’un coup tel un volcan en sommeil, prêt à se réveiller pour cracher son magma.

Pierrot souhaite me protéger, j’en ai conscience, mais c’est plus fort que tout. La douleur du chagrin m’assaille et me torture, cette soif de savoir pourquoi mes parents sont morts me hante, la volonté de me venger prend possession de mon esprit et plus rien d’autre n’a de sens autour de moi. Maintenant, j’en veux davantage, je désire la vérité sur ce qu’il s’est produit. J’ai besoin de comprendre pourquoi mon père a tiré. Je ne peux pas me faire à l’idée qu’il a commis cela délibérément et je souhaite connaître la raison qui l’a poussé à un tel acte, quelle souffrance il a endurée pour en arriver là. Il me manque trop de pièces au puzzle, trop de détails sont inavoués, sournoisement camouflés, comme si les adultes cultivaient un mystère.

Une douleur indéterminée subsiste dans ma gorge, comme un mauvais goût que je ne peux plus faire passer. Maintenant que je sais, je ne parviens plus à me remémorer les traits du visage de celle qui m’a donné la vie, tout est flou. Je ne perçois que sa face ravagée et ensanglantée. Je serre les poings en annonçant à Pierrot :

— Ramène-moi au camp !

— Oscar !

Inflexible à tout ce qu’il pourra dire, je suis remonté à bloc. Ce n’est pas l’envie de rester sur le terrain qui m’anime, mais le besoin de trouver la vérité. Je n’aurai jamais de réponses à mes questions si je m’en éloigne et cela serait insupportable. J’exige de connaître tous les tenants et les aboutissants de cette tragédie, identifier la cause qui a poussé mon père à commettre l’irréparable.

Ma décision est prise, je me libère de ses bras pour foncer d’un pas décidé vers la voiture, essuyant au passage mes joues humides. Refusant de pleurer, je retrouve ma place à l’avant et Pierrot la sienne au volant. Je ne dois plus m’apitoyer sur mon sort. Je ne veux plus être triste, je sens au fond de moi la rage pénétrer tout mon cœur, je souhaite la laisser me guider pour découvrir ce qu’il s’est vraiment produit. Possédé, rempli de violence et prêt à exploser, je désire tout casser autour de moi, détruire le camp, tout faire sauter.

— Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines ! déclare Pierrot.

En saisissant que je ne flancherai pas, il tempère ses propos, puis ajoute pour se rattraper et ne pas me braquer davantage :

— Si tu changes d’avis, ta chambre au haras t’attend.

Pierrot démarre, contrarié par ma décision, peut-être regrette-t-il ses révélations trop émouvantes pour moi. La main tremblante, je lui indique où tourner pour arriver au terrain à travers les bois, puis je lui fais arrêter le véhicule à une dizaine de mètres de l’entrée. Les phares éclairent la bande de sable où mes cousins sont en train de faire une partie de pétanque. En apercevant Bastian, ma haine s’amplifie. Je veux le réduire à néant, prendre la place qu’il occupera après son père, celle qui revient de droit à Paco.

Silencieusement et sans m’attarder, j’embrasse Pierrot et le remercie de m’avoir ramené. Le cœur lourd, je descends de la voiture.

— Passe le bonjour à Tito pour moi, me lance avec tristesse l’homme qui m’a élevé.

Le voir ainsi m’apitoie alors je tente de me rassurer en me disant que nous nous retrouverons très vite. Vidé de mes forces, je n’arrive pas réellement à me convaincre, je ne me sens pas bien. J’avais prévu de rentrer au camp pour annoncer à mes frères et ma sœur que je les quittais. Tous mes plans sont bousculés, inversés. Je dois prendre du temps pour réfléchir.

Pendant que j’attrape mon sac sur la banquette arrière, je lui indique avec un sourire forcé que je reviens demain pour réparer ma moto avec Loupapé.

— Alors à demain, Oscar !

Déboussolé, je contourne le portail bringuebalant tandis que la voiture disparaît. Quelques caravanes sont encore allumées, et pourtant, l’ambiance est assez lugubre. Assis sur son banc devant le chalet, j’ignore mon oncle qui passe son temps à m’espionner. Je ne supporte plus l’odeur de son cigare qui me donne la nausée chaque fois que je la sens, comme si elle me suivait comme une ombre démoniaque. La fenêtre ouverte laisse échapper quelques rires de femmes qui font la vaisselle. J’augmente la cadence et monte la pente sur le petit chemin de terre qui mène à ma ridicule habitation. J’ai besoin de me retrouver seul.

À peine ai-je fait un pas dans le coin le plus sombre de l’allée que Bastian me saute dessus et me bouscule. Je le soupçonne de m’avoir suivi, sans que je m’en aperçoive, tant j’ai l’esprit préoccupé.

— C’était qui ?

Il ne sait pas que je suis au plus mal, perdu dans la confusion entre la tristesse et le courroux. Je ne prends pas la peine de lui répondre, je n’ai aucun compte à rendre à qui que ce soit et encore moins à lui. En pleine agitation intérieure, je continue mon chemin feignant l’ignorance, ce n’est vraiment pas le moment qu’il me cherche. Je serre la lanière de mon sac que je tiens sur l’épaule et fonce droit devant sur le petit sentier en terre. Je suis tendu, chargé de haine contre son père et lui. Pour avancer plus vite, je choisis de couper au détour de la minuscule caravane de la grand-mère.

— T’écoutes quand j’te parle ? T’amènes personne là, et pourquoi que tu vas là-bas ?

Ce que je fais ne regarde personne, encore moins cette pourriture qui ne me lâche plus d’une semelle, suivie de ses trois acolytes. Le dernier quart de lune brille au-dessus de moi parmi les étoiles. Je me concentre sur elles en pensant avec amertume que peut-être ma mère est l’une d’entre elles.

— Fais pas ton malin avec moi ! m’arrête-t-il en se positionnant devant moi pour me barrer le passage.

Je n’ai pas le temps de lui répondre que son poing s’abat sur mon œil droit, déclenchant une violente douleur dans ma tête. Mes oreilles se mettent à siffler et je perds l’équilibre, mais je suis rattrapé par deux gars qui me maintiennent debout face à Bastian. Caché sous un petit pin, il peut enfin donner libre cours à la vengeance qu’il rumine depuis des semaines. L’humiliation de mon tir au couteau lui est restée en travers de la gorge et il va me la faire payer. Tandis que je sens mon œil enfler aussitôt, les trois complices me débarrassent de mon sac qu’ils laissent glisser à terre, me tenant par les bras pour que mon rival s’en donne à cœur joie. Je me débats pour tenter de me libérer, en vain.

— Tu feras pas la loi sur la place*. Ici, t’es rien ! T’es même pas un voyageur, alors tu vas m’écouter pour un coup, mon cousin ! À partir de maintenant, si tu veux que tout se passe bien, tu baisses les yeux quand tu me croises et tu fais ce que je te dis. Sinon, tu vas regretter !

Tandis que je n’y vois plus que d’un œil et malgré la douleur qui me lance, je me débats pour répondre au sale coup qu’il m’a donné. Impossible de me délivrer. Les trois gars me maintiennent avec fermeté pendant que Bastian m’assène une série dans le bide. Je le maudis. Il va me payer cette raclée illégitime. Il a besoin de trois cousins pour me tenir, quel lâche !

Lorsqu’il requiert enfin ma libération, je tombe à genoux sur le sol en me pressant le ventre, comprimé par une blessure violente qui me déchire les entrailles.

— Oublie pas c’que j’t’ai dit. Ça, c’est juste pour te prévenir. Ici, on joue pas. On écoute les ordres du clan et le clan, c’est moi et mon père ! Les gitans dominent, les autres obéissent !

Ils me tournent tous le dos, me laissant giser par terre. Je porte ma main au visage pour tâter ma blessure, mes doigts confirment ce que j’ai senti. J’ai sans nul doute un magnifique coquard. Ce n’est ni le premier ni le dernier, mais une certitude m’envahit, Bastian va me le payer.

J’ai beaucoup de mal à me relever, je dois m’aider du petit pin auquel je m’accroche. L’incandescence du cigare de mon oncle resplendit dans l’obscurité. Ce gros lard était présent durant toute la scène. Il ne l’emportera pas au paradis, lui non plus. Ma haine pour lui et sa famille est à son comble lorsque je monte tant bien que mal sur la terrasse en bois, tirant mon sac derrière moi.

Paco et Tito sont en train de regarder la télé dans le petit salon. En dissimulant ma gueule défoncée, je leur fais un signe de la main et m’engouffre au plus vite dans ma chambre pour me dévêtir et me coucher.

Je suis las, écœuré, révolté. J’ai envie de frapper dans la cloison, mais je me retiens. Je me mords le poing pour ne pas recommencer à pleurer, ne pas hurler de colère. J’ai besoin d’exprimer mon chagrin, mais c’est impossible afin d’éviter d’attirer l’attention de mes frères. Je dois réfléchir, remettre mes idées à plat pour découvrir ce que cache la mort de mes parents.

Allongé sur mon lit, je force ma mémoire et replonge dans la nuit du drame, je replace dans l’ordre les bribes de souvenirs. Je suis convaincu que la dispute de mon père et de mon oncle est le point de départ, l’élément déclencheur.

Mon œil et mon ventre me font souffrir, mais je n’ai rien pour les soulager. À nouveau, la rage m’envahit en repensant à la raclée que m’a assénée Bastian. D’ordinaire, c’est moi qui donne les coups. Je jure qu’il ne va pas s’en tirer sans encombre. Un jour, lui et son père paieront cher cet opprobre.

La place* = campement de caravanes

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