Chapitre 12 - 1/2

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Le bus s’arrête près de chez moi. Je descends, dans un état second, comme un drogué. L’alcool se remet à couler dans mes veines et me rend ivre. Oui, ivre, parce que je ne comprends pas ce que je vois, parce que c’est impossible, parce que… Pourquoi Nathan ?

Je refais le chemin jusqu’à chez moi sans même m’en rendre compte. Mon cerveau s’est comme arrêté, juste figé avec quelques mots. Et je ne comprends par pourquoi tu as écrit que tu m’aimais sur un bout de papier, pourquoi tu m’écris par le biais de ton ancien portable que je te manque. Je ne comprends pas pourquoi tu fais ça alors que tu as fui ! Tu as fui Nathan, tu es parti, tu t’es barré à l’autre bout du monde, alors pourquoi ? Pourquoi maintenant, pourquoi comme ça ? Parce que tu es lâche, parce que tu as peur, parce que je n’en vaux pas la peine ?

J’arrive à la maison sans m’en rendre compte. Corinne m’attend sur le seuil, assise sur les marches. Elle a les yeux rougis et le regard chagrin. Lorsqu’elle me voit, elle se précipite à ma rencontre et me prend dans ses bras, sans un mot. Je sens son cœur qui cogne contre ma poitrine, toute la tristesse enfermée dans sa petite cage thoracique. J’enfouis mon visage dans son cou et murmure à demi-mots des excuses.

Ma tante me repousse délicatement et secoue la tête comme pour balayer mon pardon, puis elle essuie délicatement de son pouce les larmes qui ont dévalé mes joues sans mon consentement. Son visage se peint de tendresse et plus qu’à n’importe quel autre moment, elle me rappelle maman.

Nous rentrons ensemble et notre étreinte est rejointe par Jack. Avec autant de délicatesse que sa femme, il ne pose aucune question, ne me fait aucun reproche. Je les aime pour ça et en même temps, je les plains. Car je sais que leur silence provient également d’une crainte, de la peur que je leur dise un jour : « vous n’êtes pas mes parents ». Je sais qu’ils cherchent à me protéger, qu’ils sont inquiets pour moi et cela me pèse, car j’ignore comment leur dire que j’aimerais simplement qu’ils continuent leur vie, sans se préoccuper davantage de ma personne. Mais je suppose que c’est impossible lorsque notre neveu a un suivi psychothérapeutique.

Je saute le repas du soir, eux aussi je crois, et rejoins directement mon lit. Je ne prends pas la peine de me brosser les dents ou de ranger mes affaires, juste, je me dépouille de mes vêtements, j’enfile un pyjama propre et je me glisse sous les draps. Lumières éteintes, volets fermés, juste un moustique qui vole dans la chaleur de l’été. Le sommeil me fuit, j’aimerais l’attraper et le forcer à m’emmener avec lui, en vain. Alors j’attrape mon portable, je relis tous les messages que j’ai échangés avec Nathan. J’y cherche un indice, quelque chose qui m’a échappé. Un signe annonciateur de son départ et des excuses, qui sait ? Mais la seule chose qui me saute aux yeux se sont les appels au secours auxquels je n’ai pas su répondre.

J’éteins mon téléphone pour cesser de me torturer. Je vais dormir, ça ira mieux après, demain est un autre jour. Je me répète cela à quelques reprises, pour me persuader que les choses ne peuvent que s’arranger. Mais c’est faux, et je le sais.

Je me retourne dans mon lit, une fois, deux fois, je change de position, j’ai froid, j’ai chaud, je ne suis pas fatigué. Je pense à Nathan, encore, je me dis que ça vire à l’obsession que ce n’est pas sain, que je ferais mieux de me taire, de passer à autre chose, de sortir avec une fille, un mec, avec n’importe qui. Je me dis que ça peut être n’importe qui. Voilà, c’est ce que je vais faire : flirter, continuer ma vie de lycéen comme si de rien n’était, de toute manière je ne peux rien faire pour contacter Nathan puisque je n’ai pas le mot de passe de son ancien téléphone. Une petite voix me chuchote que je pourrais récupérer le numéro avec lequel il m’a contacté juste en regardant les notifications depuis l’écran de verrouillage, mais je chasse cette idée bien vite. Après tout, je ne sais pas pourquoi il m’a écrit de cette façon, et je n’ai lu qu’un seul de ses SMS, peut-être que les autres me disent qu’il ne souhaite plus me revoir ! Je lui manque, mais comme un ami, car finalement il ne me considère pas comme autre chose, il s’est simplement égaré dans ses propres sentiments car il n’a pas beaucoup d’amis.

J’approuve mes propres pensées, continuant le fil du débat avec des idées de plus en plus farfelues. Au bout d’un certain temps, je finis par admettre que la seule raison pour laquelle je n’essaye pas d’appeler le numéro qui m’a contacté par le biais de son ancien portable, c’est parce que j’ai peur. J’ai les chocottes, je suis une poule mouillée, voilà, c’est tout. Sans parler de la colère qui gronde tout au fond de moi, comme un monstre de l’ombre qui se cache sous un lit. Et on sait bien à quoi mène les discussions lorsque la rancœur les guide.

Après avoir briefé tout un tas de raison pour ne pas appeler Nathan, je ferme les yeux dans l’espoir de dormir. Mais toujours pas, aucune trace de fatigue, sans doute la cause de ma petite sieste durant l’après-midi chez Iris. J’insulte mon cerveau tout bas et me redresse d’un coup. J’allume ma lampe de chevet, m’assois en tailleur, dos au mur, prêt à me mettre au boulot. Il n’est pas 23 heures, j’ai plein de temps devant moi. J’attrape le téléphone de Nathan, le retourne une ou deux fois, enlève la coque, me souvient que la photo qui s’y trouvait est restée dans l’une des poches de ma veste. Tant pis, je la regarderai plus tard.

J’essaye des codes bidons. 0000 ou 1234 ou 9876. C’est faux… Je ne veux surtout pas bloquer le téléphone alors j’arrête. Peut-être que je pourrais essayer de sortir la carte SIM pour récupérer les données ? Mais si ses conversations sont enregistrées sur l’espace de stockage de son portable, ce sera totalement inutile. J’effectue une recherche rapide sur internet avec des mots clés : cracker un mot de passe de téléphone. Je tombe sur des tas d’explications auxquelles je ne comprends rien. Finalement, après un peu de temps à fouiller, je tombe sur un site pas trop mal qui explique comment cracker facilement le mot de passe d’un téléphone Android. Je prends une capture d’écran de l’application à télécharger sur un ordinateur, puis des étapes étranges de manipulation du téléphone qu’il faudrait brancher et mettre en état de chargement (j’avoue que je suis nul en informatique).

Soulagé d’avoir trouvé une partie de solution à mon problème, je repose les deux portables loin, très loin de moi et j’éteins la lumière. Maintenant je vais dormir !

*******

Je me réveille vers 11 heures, la bouche pâteuse et les yeux bouffis. Je me retourne sous les draps pour enfouir mon visage dans l’oreiller. Non, je ne veux pas me lever. Je veux continuer à dormir ! crié-je en pensée. Il a fallu tant de temps pour que je puisse enfin trouver le sommeil et aussitôt en sa compagnie, il m’a entraîné dans un monde où les cauchemars sont rois.

La lumière du jour perce derrière les volets et dessine de grandes traînées ombragées. Mes bras et mes jambes me démangent de plus en plus : le moustique les a sans doute dévorés (j’aurais dû le tuer). Je soupire, lassé, au bout du rouleau, bref, énervé sans même savoir pourquoi ! Je m’apprête à retourner dans les bras de Morphée pour qu’elle se charge d’empêcher mon cerveau de penser, lorsqu’un léger coup à ma porte me fait sursauter. Je me redresse sur les coudes et vois Corinne laisser son regard me trouver.

— Je peux entrer ?

Je hoche la tête avec un petit sourire tendu. Je crains la conversation que nous pourrions avoir…

— Tu vas bien ?

Je signe ma réponse un peu timidement, lui retourne la question à laquelle elle acquiesce. Je m’attends à des remontrances, des larmes, des reproches ou même de la colère, mais rien. Juste du silence. Je dévisage ma tante, impassible, dans l’attente. Que puis-je faire pour amorcer l’échange, moi qui suis dans l’incapacité de parler ?

— J’étais venue pour te dire qu’un ami t’attend en bas. Je lui ai dit que tu dormais encore car tu étais fatigué, mais il a répondu qu’il était prêt à attendre le temps qu’il faudrait.

Elle n’attend pas ma réponse et se détourne. Je me lève d’un bond pour la retenir, assez vite pour que des étoiles viennent valser devant mes yeux encore endormis.

— Je… Je suis d-désolé p-pour hier…

— Je sais, Raphaël. Moi aussi, je suis désolée.

Son regard dessine un fleuve salé. Elle quitte la pièce sans que je ne puisse ajouter quoique ce soit. J’aimerais tant pouvoir revenir en arrière et m’empêcher de lui causer tant de mal. Mais si je n’étais pas parti, je n’aurais sans doute jamais découvert que Nathan m’envoyait des messages via son ancien téléphone ! Un mal pour un bien, comme on dit. Seulement, je ne peux m’empêcher de culpabiliser lorsque je vois Jack et Corinne si tristes et paralysés par ma souffrance.

Quelques secondes s’écoulent silencieusement, jusqu’à ce que je fasse l’effort d’ouvrir les fenêtres et d’aérer mon lit. Je me prépare rapidement, m’habillant et me débarbouillant, pour descendre dans le salon. Je dois parler à Corinne, m’excuser (oui, encore), lui expliquer que je me sentais mal, que ce n’était pas leur faute, que ma petite sortie m’a fait du bien et qu’il ne m’est rien arrivé de grave (ou presque, taisons les parties les plus compromettantes). Une petite voix me reproche de ne pas me montrer honnête puisque je vais encore leur dissimuler une partie de la réalité, mais je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec Nathan, qui, de son côté, ne disait rien du tout. Au moins, je donne une partie de la vérité.

C’est Jack que je trouve dans la cuisine. Il boit un café silencieusement. Interpellé par son comportement, puisqu’il ne prend jamais de caféine durant ses jours de congé, et encore moins à une heure aussi tardive, je lui demande si tout va bien. Il répond oui, mais son regard m’évite. Une fissure qui s’enfonce dans mon cœur. Ai-je brisé leur confiance avec ma fugue ?

Des larmes me montent à toute vitesse dans les yeux. Je les contiens difficilement, à coup de grandes respirations haletantes. Regarde-moi, Jack. Regarde-moi. Mais il garde son attention focalisée sur son café et m’ignore. Alors, la mort dans l’âme, je m’éclipse. Tout va bien, Raphaël, ça va aller…

Tout à mes lamentations, j’en ai oublié la nouvelle qu’était venue m’annoncer Corinne : un visiteur pour moi. Aussi, en tombant sur ledit ami dans le vestibule, je tressaille vivement. Un éclat de rire accueille ma réaction. Je soupire intérieurement.

— Ahaha ! On aurait dit un chat qui s’est fait mouiller ! C’était trop drôle ! C’est la première fois que je vois quelqu’un sursauter de cette façon… C’est vraiment violent quand tu as peur, toi.

Je fais mine de rire (enfin non).

— Alors Raphaël, t’es content de me voir, hein ?

Non, pars s’il te plaît. Mais je sais déjà qu’il ne partira pas ; on parle de Swan après tout.

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