Chapitre 21 : Le sanctuaire de Noël

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Le lendemain de cette fameuse découverte, Étienne Noël avait loué une Volvo break, un des rares véhicules capables de supporter de telles températures. Malgré le froid polaire sur leur route, le trajet était agréable. Tout le monde était confortablement installé. Mais par mesure de précaution, avant de partir, ils avaient rempli un second jerrycan avec 60 litres d’essence. La voiture consommait raisonnablement, toutes proportions gardées, mais cela devait suffire.

Ils avaient quitté l’hôtel un peu avant 9h00. Le réceptionniste sortit de sa réserve habituelle pour leur souhaiter bon courage. Si les paysages étaient magnifiques, ils semblaient d’un seul bloc. C’étaient de vastes forêts, coincées au milieux de massifs montagneux, des glaciers formant des statues de glaces aux lignes délicates…

Tout au long du trajet, Célestine et Églantine bavardèrent un peu, mais Étienne ne dit pratiquement pas un mot. Il était comme en transe au volant. C’était comme s’il avait un plan de route en tête. Mais lui-même n’était pas vraiment capable d’expliquer comment il savait où aller.

Il le savait, voilà tout.

Célestine, en le regardant, eut du mal à réprimer un sourire. Derrière, Églantine, à qui la chose n’avait pas échappé, demanda :

- Qu’est-ce qui t’arrive, Maman ?

- La magie de Noël est revenue en Étienne. Je suis heureuse.

- La magie ?

- Oui, c’est elle qui est en train de le guider en ce moment. Qui le rappelle vers ses origines et vers sa destinée.

Et effectivement, contre toute attente, l’héritier du Père Noël n’eut aucun mal à trouver l’ancien manoir de son père. C’était une immense bâtisse, perdue au beau milieu d’une vaste étendue de neige. Elle ressemblait beaucoup à celle de Besançon, à un détail près. Elle n’était pas en pierre, mais en bois. Pour le reste, la structure, la forme, tout ou presque était identique.

En descendant de voiture, Étienne eut un moment de déception.

- Quelque chose ne va pas, Étienne ?

- Où sont tous les animaux ? Et les lutins qui tenaient les lieux ?

Célestine n’osa rien répondre, mais au fond d’elle-même, elle savait pourquoi personne ne venait.

- Allons voir s’il y a quelqu’un.

Les trois enchanteurs se dirigèrent vers la maison. Il n’y avait pas vraiment de doute possible : elle était bel et bien occupée. Les lieux étaient en parfait état, tels que dans le souvenir d’Étienne. Cela pouvait être lié à la magie, comme dans l’appartement toujours impeccablement entretenu de Célestine.

Mais le panache de fumée qui sortait d’une des cheminées mit fin aux derniers doutes possibles. La maison était habitée. Restait à savoir d’où le feu partait.

Étienne entra, suivi de Célestine et Églantine. L’endroit était très accueillant. On y retrouvait l’ambiance chaleureuse d’un chalet. Malgré la grande taille des lieux, cela n’évoquait pas un château à Célestine, contrairement au manoir Noël à Besançon. C’était certes la maison d’un homme aisé. Mais c’était d’abord un endroit qui mettait à l’aise, où on se sentait bien. Les murs recouverts de boiserie, les tapis sur le sol, le feu qui crépitait dans la cheminée, le canapé et les fauteuils Chesterfield installés autour. La priorité était au réconfort.

- Plus décontracté qu’à Besançon, hein ?

- Oui, répondit Célestine. En effet.

- C’est normal. À Besançon, il fallait qu’on puisse recevoir. Ici on s’en soucie moins. Cette maison, Papa l’avait conçue pour lui, d’abord et avant tout.

- Pourtant, tout est là pour accueillir quelqu’un dans de bonnes conditions.

- Oh oui ! Et ça nous est arrivé, de recevoir du monde, souvent. Mais quand un voyageur égaré arrive là, il est déjà heureux de trouver de la chaleur.

Ils s’installèrent dans les fauteuils installés près de la cheminée, et commencèrent à profiter du feu de bois, trop désolés qu’il ne brûle pour personne. Mais en observant la table basse qui faisait face à la cheminée, ils comprirent qu’il brûlait bien pour eux.

En effet, sur la table, un plateau était disposé, avec une théière fumante et trois tasses. Il y avait du sucre et du lait. L’odeur évoquait des choses différentes à chacun, mais pour tous, elle était délicieuse. C’était un parfum d’une infinie douceur après une longue errance. Ils se rendirent compte que la voiture, malgré son confort, était quand même plus froide que l’endroit où ils étaient désormais.

- C’est comme dans mon souvenir, dit Étienne. C’est doux, réconfortant.

- Oui, reconnut Églantine. Je ne sais pas vous, je pourrais presque m’endormir dans ce fauteuil.

- Oui, confirma Célestine… Oh non… Le thé…

Puis la fée s’endormit. Tous trois étaient tombés dans les bras de Morphée.

Quand Célestine se réveilla, elle sentit la chaleur d’une couverture épaisse. Elle ne portait plus de doudoune, ni d’écharpe. Elle avait simplement gardé un pull-over et un pantalon. Elle se demanda où elle était. Une reconnaissance rapide des lieux lui permit de comprendre. Elle était toujours dans le manoir Noël, à côté d’elle, Églantine dormait encore.

La fée ne put réprimer un sourire en voyant sa fille ainsi endormie. Elle était devenue une jeune femme de dix-huit ans, mais pour une fée, c’était encore si jeune. Elle semblait encore si innocente dans son sommeil.

Puis elle se réveilla.

- Maman ? Où on est ? Toujours dans la maison du Père Noël, je crois. Tu vas bien ?

- Oui… Très bien.

Elle regarda sa montre et fut étonnée.

- Tiens… On a dormi un peu plus d’une heure… Mais je me sens en pleine forme, prête à travailler une journée entière.

Célestine sourit :

- Je crois qu’ils ont mis quelque chose dans le thé. Au début, j’ai cru qu’ils nous avaient drogués. Mais je crois que c’était un peu plus compliqué que ça…

La fée se leva vers la porte. Elle n’était pas verrouillée. Les gens qui les avaient droguées n’avaient manifestement pas l’intention de les séquestrer. Leurs affaires étaient disposées sur une commode juste à côté de la porte. Sans plus attendre, les deux fées sortirent. Le soleil était déclinant. Il se couchait tôt en hiver, dans ces régions.

En approchant, Célestine et Églantine reconnurent une voix, celle d’Étienne. Il parlait finnois. Célestine tenta une arrivée discrète, mais son pas fit grincer une lame de parquet. Étienne se retourna, et le lutin avec qui il parlait aussi.

- Tiens ! Salut, Célestine, Églantine. Vous allez bien ?

- Oui, s’étonna Églantine. Vous voulez bien nous dire pourquoi on nous a mis du somnifère ?

- Ce n’est pas du somnifère, répondit le lutin dans un français parfait. C’était un philtre de repos. Vous allez en avoir besoin pour la suite.

Célestine le regarda d’un air méfiant. Puis le lutin avoua :

- Bon, d’accord, on vous a droguées… Juste un peu. C’était le temps d’être sûrs des raisons pour lesquelles vous étiez là. Disons que la dernière fois qu’Étienne est passé dans la région, ça ne s’est pas très bien passé. Mais je crois que vos intentions ne sont plus tout à fait les mêmes aujourd’hui, n’est-ce pas ?

- Nous voulons redonner vie à l’esprit de Noël.

- Oui, c’est ce qu’Étienne disait encore, quand il s’est séparé de ses rennes.

- Tu exagères Marko. J’avais dit que je voulais sauver Noël à l’époque.

- Une belle réussite, railla le lutin. Maintenant, j’aimerais bien savoir qui le sauvera de toi ?

- Moi, répondit Célestine.

- Vous ?

- Oui.

- Marko, dit Étienne, je te présente Célestine, la mémoire de Papa.

- C’est vous… On dirait qu'Étienne ne vous a pas beaucoup consultée.

- Non. Pas vraiment. C’est vous, Marko Koistinen ?

- Oui.

- Nicolas parle souvent de vous dans ses mémoires. Ça fait au moins deux-cents ans que vous êtes ici !

- Oui. Quand le Vieux est parti en France, j’avais envie de rester ici. À l’époque, les lutins ne se mélangeaient pas trop aux humains. Mais j’ai rencontré une humaine qui m’a aimé comme j’étais. Elle était du coin. Et j’étais heureux dans le froid, au milieu des rennes. Depuis le temps, ma femme est morte de vieillesse. Mais j’ai eu le temps d’avoir des enfants. La plupart sont encore vivants, d’ailleurs.

- Pas tous ? demanda Églantine.

- Non, en même temps, en deux-cents ans…

- Ça ne vous attriste pas un peu ?

- Si, bien sûr. Mais eux-mêmes ont eu le temps d’avoir leurs propres enfants. Et je m’occupe d’eux aussi. Je ne me sens pas seul ici. Mais assez parlé de moi. Qu’est-ce que vous êtes venus faire ici ?

- Je recherche les rennes, dit Étienne.

- Hum ! Je m’en doutais. Et tu t’imagines peut-être que je vais te laisser les emmener, après le coup que tu as fait la dernière fois ? Il a fallu que j’intervienne personnellement pour qu’ils ne finissent pas à la boucherie.

- Non, je me doute que tu ne vas pas me laisser les emmener de bon gré.

- Il ne s’agit pas de moi, Étienne. Il s’agit des rennes. Ils sont salement remontés contre toi. Alors pour les convaincre de revenir, il va falloir être sacrément convaincant.

Étienne soupira, visiblement déçu. Il demanda :

- Tu crois que j’ai une chance de les voir revenir ?

Marko présenta sa main. Il laissait un petit écart entre le pouce et l’index :

- Oui… Une petite. Mais il va falloir faire amende honorable. Tu as beaucoup de choses à te faire pardonner, Étienne.

- Oui. Je sais. Je l’ai déjà fait avec les lutins de Besançon.

- Oui. Norbert m’en a parlé.

- Norbert ? Vous êtes de mèche ?

- Évidemment. Ça fait deux-cents ans qu’on se connaît. On est copains comme cochons. C’était mon idée, de te ramener ici. Il me disait que tu avais enfin compris. Mais avant de t’emmener vers les rennes, je voulais en être sûr.

Là-dessus, Marko sourit, enfila son bonnet sur sa tête de lutin, s’emmitoufla et lança aux autres :

- Vous devriez vous couvrir. Le soleil baisse dehors. Le froid ne va pas aller en s’arrangeant.

- Vous voulez qu’on sorte ? Demanda Églantine, un peu réticente.

- Ben quoi ? Vous ne vouliez pas voir les rennes ?

Les deux fées se regardèrent. Célestine tourna la tête vers Marko.

- Si, reconnut-elle.

- Alors allez vite vous habiller avant qu’il fasse nuit. On y va.

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