Chapitre 19 : Plan de bataille

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Quand la réunion du conseil d’administration put enfin se poursuivre, Étienne annonça sa position sur l’expropriation des lutins. Son refus fit l’effet d’une bombe.

Cela commença par de longues discussions et des conflits avec sa fratrie. Odile, Alice et David Noël étaient tous aux abois pour les frais qu’ils avaient déjà engagés. Mais quand Étienne présenta les photos des lutins, leur rappela qui avait fait chacun de leurs cadeaux, depuis leur naissance, il parvint finalement à remporter la partie.

Les héritiers Noël, honteux d’avoir ainsi traité ceux qui leur avaient tant offert, décidèrent de se ranger derrière la décision de leur frère.

- Si vous ne vous pliez pas à nos conditions, dit Lenoir, cela sera la fin de notre collaboration.

- Et bien mettez-y fin, lança Étienne sur un ton bravache. Il vaut mieux être seul que mal accompagné.

- C’est une déclaration de guerre, Monsieur Noël ?

- Non, Lenoir… La guerre, c’est vous qui nous l’avez déclarée, il y a bien longtemps. Nous, nous entrons en résistance.

- Vous êtes fous, s’énerva le banquier. Sans nous, je ne donne pas cher de votre maison.

- Ça tombe bien, elle n’est pas à vendre. Maintenant, puisque vous voulez vous retirer de l’affaire, je crois que vous connaissez la sortie.

- Hum ! On se reverra !

- Mais j’y compte bien.

Indigné, suivi des deux autres représentants de la banque Dreyer, Lenoir repartit sans regarder personne.

Le lendemain, Célestine fut invitée à déjeuner avec les Noël. Désormais, c’était uniquement la famille qui recevait, il n’était plus question d’actionnaires. Norbert et Géraldine étaient conviés aussi. Au début du repas, Étienne prit la parole :

- Avant toute chose, je tiens à vous présenter nos plus plates excuses, Norbert. En me plongeant dans les mémoires de mon père, j’ai compris que jamais il n’aurait toléré qu’on écarte de la table des décisions un élément aussi brillant que vous.

- Le passé, c’est le passé, Étienne. Mais c’est vrai que j’aurais aimé un peu plus de reconnaissance de votre part.

- Vous l’avez, aujourd’hui. Mais nous prenons un très gros risque. La banque Dreyer a d’énormes ressources. Ils vont essayer de nous couler. J’ai bien vu, dans le discours de Lenoir, qu’il y avait une volonté très claire d'intimider.

- Il faut bien faire la part des choses entre le discours et les actes, Étienne, nuança Célestine.

- Célestine a raison, renchérit Norbert. La seule limite à l’exploitation, c’est la résistance à l’exploitation. S’ils voient qu’on leur tient tête, peut-être qu’ils vont devenir violents, mais au moins, ils ne feront pas tout ce qu’ils veulent.

- Dans un autre contexte, vos discours de syndicaliste avaient le don de m’agacer, Norbert, répondit Étienne...

L’héritier du groupe Noël lança un regard vers le lutin, puis il sourit :

- Mais en ce moment, ça me fait du bien de les entendre.

- Vous avez choisi votre camp, Monsieur. Si vous êtes avec nous, vous savez comment nous serons.

- Oui… D’une loyauté sans failles.

Entre les deux hommes, ce n’était plus seulement du respect qui s’était installé. Désormais, Célestine semblait apercevoir une certaine sympathie.

- On a du pain sur la planche, dit David Noël. Il va falloir tout réinstaller ici. Mais ça va prendre du temps. On a délocalisé toute la production. Et une fois que ce sera fait, il faudra révoquer les contrats auprès des sous-traitants.

- Vous avez une armée de lutins, avec des ateliers et des siècles de savoir-faire accumulé.

- On ne pourra pas s’aligner sur la concurrence internationale, rappela Étienne.

- Et c’est si grave que ça ? Intervint Anne-Marie.

La Mère Noël, comme on l’appelait parfois, ne s’était pas encore mêlée à la discussion. Mais cette fois, elle intervint.

- Maman ? s’étonna Étienne.

- Oui. Je me demandais : c’est si grave que ça ? Je veux dire… Autrefois, on ne vendait pas autant et on était riches quand même. Et les lutins vivaient plutôt bien, eux aussi.

- Oui, mais le marché a changé. Aujourd’hui, des jouets produits dans ces conditions, ça va coûter une fortune.

- Ça va coûter plus cher, c’est vrai, concéda Norbert. Mais ça ne veut pas dire que ça ne va pas se vendre. Les affaires de Géraldine se portent très bien, et pourtant, elle ne fait que de l’artisanal, beaucoup plus cher que ce que propose le groupe Noël.

- Certes. Mais c’est un public restreint. Tout le monde ne peut pas sortir des sommes pareilles.

- Il y a plus de monde prêt à le faire que vous ne le croyez. Un jouet, un objet qui est bien fait, ce n’est pas si grave de le payer plus cher. Les gens le font. En plus, c’est un investissement qui a des chances de durer.

- Bien plus satisfaisant que d’empiler dans des containers des babioles qui seront cassées dans six mois, compléta Célestine

- Qu’est-ce que vous conseillez ? Demanda Étienne. Racheter tous les ateliers encore actifs de la cité des Lutins ?

- Nous ne sommes pas à vendre, Monsieur, protesta Norbert. Vous n’achèterez pas notre loyauté…

Étienne retint son souffle un instant. Puis le lutin reprit, un sourire en coin :

- Mais vous pourrez la gagner, si vous nous apportez des gages de confiance.

- Qu’est-ce que je devrais faire ? Demanda Étienne, songeur.

- Commencez par aller retrouver les rennes et les rapatrier ici. Ils n’ont jamais fait défaut à votre père. Ils méritaient mieux de votre part.

Le fils du Père Noël était contrit. Les rennes… il n’y pensait même plus. Ces braves bêtes sillonnaient le monde, tirant des traîneaux derrière elles. Et cette brute de Lenoir envisageait sérieusement de les enoyer à l’abattoir.

L’abattoir… La boucherie… Lenoir… Étienne fit rapidement une association d’idées.

- Attendez… songea Étienne.

Tout le monde s’interrompit. Célestine se tourna vers lui, étonnée :

- Quoi ?

- Lenoir… Célestine, ça ne vous dit rien ?

- Le banquier ?

- Oui… Mais non… Il voulait envoyer les rennes à l’abattoir, à la boucherie.

- Vous comprenez à qui on a affaire ? C’est ça ?

- Le descendant de Pierre Lenoir ? Le Père Fouettard ?

­- C’est bien ça. Les méthodes ne sont pas moins cruelles, elles sont juste plus insidieuses.

- Mais ce n’est pas le patron de la banque Dreyer. C’est juste un cadre, s’étonna David.

- Un cadre très haut placé, rappela Étienne.

- Oui. Mais placé par quelqu’un d’autre, quand même…

- Est-ce qu’il faut qu’on aille récupérer les rennes, tu penses ?

- Allez-y, dit Norbert. On s’en occupera, ils ne risqueront rien avec nous.

Étienne regarda Célestine.

- Mon amie, est-ce que vous aviez prévu quelque chose pour les congés d’hiver ?

- Je pensais revenir faire un tour à Pontarlier, avec Églantine.

- Et que diriez-vous de changer un peu d’air ? La Finlande, ça vous dirait ?

- Il va falloir prévoir une épaisseur de plus, grelotta la fée.

- Je dirais plutôt deux ou trois, renchérit Alice.

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