Chapitre 20 : Retour en Laponie

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Nous étions déjà au mois de février, et Églantine, dont le second semestre avait commencé un mois plus tôt, accompagna sa mère. À peine après avoir atterri à l’aéroport de Helsinki, elles remontèrent dans un autre avion, plus petit. Celui-ci les menait à Rovaniemi, la capitale lapone.

Célestine avait beau avoir été prévenue, elle n’était pas prête. Il faisait un froid glacial. Le blizzard dans lequel l’avion atterrit sonnait comme un avertissement. Sur place, çà et là, on trouvait des panneaux routiers balayés par le vent, indiquant la direction du village du Père Noël.

- J’y suis allé deux ou trois fois. Parfois avec Papa, parfois non, dit Étienne. J’adore cet endroit, mais je crois que j’aurais du mal à y vivre toute l’année. Il fait vraiment trop froid, même pour moi.

- C’est pour se mettre au chaud que Nicolas a déménagé en Franche-Comté ? ironisa Célestine.

- À vous de me le dire. C’est vous, sa mémoire, non ?

Rapidement, un taxi les emmena à leur hôtel. Malgré une route copieusement enneigée et un vent de côté, ils arrivèrent sans encombres. L’hôtel était dans l’esprit des lieux, richement décoré, avec des couleurs chatoyantes, un feu de bois qui crépitait dans une cheminée, et un salon aux fauteuils rembourrés. Célestine avait envie de se diriger vers la cheminée. Elle était transie de froid.

- Vous sauriez demander à ces messieurs un thé chaud ?

- Bien sûr. Vous n’avez rien contre le thé russe ?

- Non… Ils ne rajoutent pas de vodka dedans ?

- Non ?! Répondit Étienne, interloqué.

- Alors ça ira…

Célestine but son thé au coin du feu. Églantine, grelottante de froid, regardait le feu crépiter dans la cheminée, sa propre tasse de thé brûlante lui réchauffant les doigts. Étienne Noël, lui, avait commandé un vin chaud. Bien que Noël fût loin désormais, il y avait comme une rémanence de cette ambiance.

- Et maintenant, s’interrogea Célestine, vous avez une idée de la façon dont vous allez récupérer les rennes ?

- Vaguement… On les a donnés à une réserve. Je connais leur nom, mais il faudrait faire une petite recherche pour retrouver leur adresse exacte.

- Je vois… Une petite requête Google, ça devrait nous aider à trouver ?

- Oui… Si tout va bien.

Célestine et Églantine échangèrent un regard entendu. La jeune fée, en vacances universitaires, avait pris son ordinateur portable, pour pouvoir travailler un peu.

- Vous voulez que je jette un coup d’œil ? Demanda-t-elle.

- Tu veux bien ? Demanda Célestine.

- Évidemment ! Par contre, il me faudrait le code wi-fi de cet hôtel.

Dans un finnois approximatif, Étienne demanda le code wi-fi de l’hôtel, avant de réaliser que le réceptionniste parlait couramment anglais, comme la plupart des gens en Finlande. Il récupéra le code wifi, sous le regard amusé d’Églantine.

- Bon, ça va ! dit Étienne, vexé. Ne me remerciez pas surtout.

- Merci, Étienne, répondit Célestine.

Églantine recopia minutieusement le code sur son ordinateur.

- C’est quoi, le nom ?

- Mon dieu… je ne suis pas sûr de l’orthographe. Avec leur manie de doubler les voyelles…

- Ça devrait aller, dit Églantine. Allez, dites-le moi.

- C’est le parc national de Riisitunturi.

Sans crier gare, la jeune fée lui tendit l’ordinateur. Ce fut au tour d’Étienne d’afficher un sourire narquois. Églantine finit son thé en regardant le feu, visiblement vexée. Puis furtivement, elle observa le fils du Père Noël en train de rechercher l’endroit sur Google.

- C’est ça… dit-il. Oh mon Dieu !

- Quoi ?

- Ça fait 77 km². Allez retrouver quelque chose là-dedans.

- Peut-être qu’en retrouvant des employés du parc, on pourra compter sur leur aide.

- Je ne sais pas… Quand ils ont su que notre banquier avait proposé de les envoyer à l’abattoir, je crois que ça ne leur a pas trop plu.

- Tu m’étonnes ! susurra Célestine à sa fille. Il y a des chamans dans le coin qui ont dû hurler au sacrilège.

- Pas sûr, répondit Églantine, s’ils sont tous aussi démonstratifs que le réceptionniste.

Les deux fées tournèrent le regard vers l’homme qui les avait accueillis. Sans être désagréable, il parlait peu, très peu. De plus, il ne laissait pas transparaître grand-chose.

- 110 km… C’est une trotte. Et sous cette neige, c’est un coup à se perdre… J’hésite. Je n’ai pas très envie de vous faire courir des risques.

- Oui… On devrait attendre que le blizzard se tasse un peu. Pour le moment, le mieux est d’aller à la pêche aux informations.

- Maman ?! Se hasarda Célestine. Il faut que je sois rentrée lundi prochain…

- Oui… Ne t’en fais pas… Je te ferai un mot d’excuse.

- Un mot de ?!… Maman ! J’ai dix-huit ans et je suis à la fac ! Pour quoi tu vas me faire passer ?

- Ah… Oui… Excuse-moi, ma chérie. On se donne jusqu’à après-demain pour commencer les recherches. Ça va ?

- Humpf… Ça va… répondit Églantine. Mais dimanche, je rentre, avec ou sans vous.

- Tu ne vas quand même pas partir seule ?

- Euh… si, s’il le faut. Encore une fois, j’ai dix-huit ans, Maman. Il va falloir t’y faire.

Cette fois, ce fut au tour d’Étienne de leur lancer des regards amusés. Déjà quand il était petit, le côté tête-en-l’air de Célestine le faisait beaucoup rire.

Le lendemain, après une bonne nuit, ils commencèrent les recherches. Bien sûr, le village du Père Noël était un incontournable. Étienne savait que ce n’était pas le vrai. Sa véritable maison était plus loin, dans le parc de Riisitunturi. Mais lui-même n’y était plus allé depuis des décennies. Il n’était même pas sûr qu’elle n’ait pas été rasée pendant la Révolution Finlandaise.

- A priori, elle est toujours là. La dernière fois que Nicolas y est allé, si j’en crois ses mémoires, c’était en 1992.

- Ça fait dix-huit ans… Il peut encore s’être passé beaucoup de choses.

- Vous êtes d’un défaitisme, Étienne ! Est-ce que vous entendez souvent parler de la Finlande aux actualités ?

- Non…

- Alors que voudriez-vous qu’il se soit passé ?

- Euh…

- Je ne vous le fais pas dire !

Pour la recherche d’informations, Églantine se débrouillait en anglais, Célestine aussi. Par contre, les gens la regardèrent bizarrement quand elle essaya de leur parler russe. Si la langue de Tchekhov avait été beaucoup parlée dans le passé, cela s’était un peu perdue depuis l’indépendance de la Finlande en 1919. Elle eut un peu plus de succès quand elle leur parla en suédois, qui était toujours langue officielle.

Tout le monde avait entendu parler de la véritable maison du Père Noël. À Rovaniemi, c’était une légende urbaine. C’est que pendant tous ces siècles passés sous l’autorité des Tsars, la tranquillité dont jouissait le regretté Père Noël avait un prix, l’isolement. C’était aussi la garantie pour les lutins d’une vie tranquille et heureuse.

Les rennes, recueillis par le parc de Riisitunturi, devaient paître dans ce secteur-là, selon toute vraisemblance. Mais la question restait posée : où pouvait bien se trouver la fameuse maison du Père Noël, la vraie ?

Après une journée à fréquenter et interroger les gens à Rovaniemi : les réponses disaient une chose et son contraire : cette maison était une légende, sa vraie maison était là, ou bien elle était là-bas, mais personne ne savait exactement où. Certains pensaient même que le gouvernement tenait secret le véritable emplacement de la maison du Père Noël. D’aucuns pensaient que c’était dans une zone laissée floue sur Google Maps.

Mais c’était la Laponie, une région reculée. Les zones floues ou à la cartographie sommaire, cela ne manquait pas. En outre, il y avait aussi une forte présence militaire dans le secteur, ce qui pouvait aussi expliquer que certaines zones soient floues.

- C’est une propriété familiale, après tout. Je devrais bien pouvoir m’en sortir comme ça, si je commence à solliciter les pouvoirs publics.

- Et vous comptez demander à qui ? Aux responsables du parc naturel ? Ce n’est pas vraiment leur partie.

- Pensez ce que vous voulez, Célestine. Je ne suis pas venu ici pour faire du tourisme. Je compte bien récupérer ces rennes.

- Vous ne les récupérerez pas, Étienne ! s’énerva Célestine.

L’héritier Noël la regarda, l’air sidéré. Célestine se reprit et poursuivit d’un ton plus calme :

- Vous ne comprenez pas ? Ils ne vous appartiennent pas. Pas plus qu’ils n’appartenaient à votre père. Ils ne faisaient que rendre l’amour qu’ils recevaient. Et quand vous avez cessé de leur en donner, vous les avez perdus pour la cause.

- Vous voulez dire que c’est fichu ? Qu’on a fait le trajet pour rien ?

- Non, Étienne. Mais si vous voulez que les rennes vous reviennent, il va falloir que vous compreniez une chose. Être le Père Noël, ce n’est pas seulement prendre la tête d’un empire, c’est être le gardien, le dépositaire de quelque chose.

- De quoi ?

- Du don de soi… Plus que de l’argent, l’esprit de Noël, le vrai, c’est un don de son temps et de sa personne. Ce don là, vous l’avez réservé à la banque Dreyer et ses actionnaires. Ne vous étonnez pas que tous les autres se soient détournés de vous entre-temps.

- Alors qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Comment je vais pouvoir réparer les dégâts que j’ai causés ?

Un silence plana. Une fois n’est pas coutume, ce fut Églantine qui le rompit.

- Vous savez, Étienne, il y a neuf ans, vous m’aviez laissé une lettre, de la part de votre papa. Je ne sais pas si vous vous en souvenez ?

- Non, Églantine. Elle t’était adressée à toi.

- Ça a beau faire neuf ans, je m’en souviens encore très bien. À un moment, sa lettre disait « parfois, il ne faut pas chercher à toute force à réparer ce qui est cassé. Parfois, pour que les choses redeviennent comme avant, il faut qu’elles changent. »

- Tu l’avais eue avec l’automate qu’il avait réparé, non ?

- … Oui.

- Il t’avait plu ?

- Oh oui ! Beaucoup ! Mais j’avoue que je n’ai jamais trop osé le faire fonctionner à nouveau. La poupée mécanique qu’il avait faite… Elle… Elle était magnifique.

La voix de la jeune fille tremblait un peu.

- Mais ça me faisait mal de la faire marcher. Ce n’étaient pas de bons souvenirs.

Étienne eut un regard plein de compassion vers la jeune fille.

- « Parfois, pour que les choses redeviennent comme avant, il faut qu’elles changent », hein ? répéta Étienne.

Églantine le regarda, les yeux un peu humides, puis elle hocha la tête. Étienne sourit.

- Je propose qu’on aille voir un peu dans ce fameux parc. On verra les zones floues des photos satellite. Si d’ici samedi, on n’a rien trouvé, je ne vous dérangerai pas plus longtemps.

Célestine et Églantine hochèrent toutes les deux la tête. Le reste de l’après-midi, tous trois passèrent un certain temps installés dans les archives régionales, à la fois pour rester au chaud et dans l’espoir de trouver des informations.

Sur cette étape, Célestine et Églantine ne furent pas d’un grand secours : aucune des deux fées ne parlait finnois. Au bout de trois heures passées à fouiller les archives, Étienne s’exclama :

- Célestine ! Églantine ! Venez voir.

Les deux fées s’exécutèrent.

­- Vous avez trouvé quelque chose, Étienne ?

- Je ne suis pas sûr, mais je reconnais des images.

­- Montrez toujours.

L’homme ouvrit un journal daté de 1854. Le Père Noël venait de quitter la région. À l’époque, le journal avait publié une photographie. C’était une vaste propriété, dans laquelle se trouvait de grands pâturages. Au milieu, on trouvait une résidence, mais tout autour, on trouvait des annexes. Célestine reconnut une configuration proche de ce que Nicolas avait mis en place à Besançon. Si ce n’était pas la résidence du Père Noël, cela y ressemblait beaucoup.

La fée observa Étienne, son cœur battait à tout rompre. Il semblait comme possédé.

- Tout me revient maintenant. J’y suis déjà allé, plusieurs fois. La dernière fois, ça fait plus de 80 ans.

- Vous vous rappelez comment y aller ?

- Euh… non. Mais peu importe. Je vais retrouver.

- Retrouver ? Mais vous venez de nous dire que ça allait être très dur à trouver, qu’on risquait de se perdre.

- Ah !… J’ai dit ça… Eh bien… Admettons que j’aie eu tort. Je vais appeler une agence pour louer une voiture. Vous devriez aller faire quelques courses. Il nous faudra des vivres pour demain. Et emmenez vos valises avec vous. On partira sans doute pour plusieurs jours.

Célestine observa Étienne. Quand elle croisa son regard, elle vit une flamme qu’elle n’avait pas vue chez lui depuis au moins dix ans, et plus probablement vingt ou trente. Églantine, plutôt confuse, demanda :

- Tu crois qu’il a pété les plombs ?

- Je ne crois pas, répondit sa mère en souriant.

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