Chapitre 17 : Célestine démissionne

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Au cours du mois de janvier, c’était comme si Célestine allait être exaucée. Mais, cela ne se passa pas vraiment comme elle l’avait envisagé. Comme après chaque Noël, le conseil d’Administration se réunissait pour faire un bilan de l’activité au cours de l’année écoulée.

Mais dans le train qui l’emmenait à Besançon, cette fois, Célestine avait du vague à l’âme. Le dernier Noël, où elle avait fui les festivités, avant même qu’elles n’aient débuté, pour elle, c’était le Noël de trop. Elle avait décidé de dire les choses comme elle les voyait, quitte à outrepasser son rôle, plutôt que de continuer de faire semblant de s’amuser, dans un milieu devenu très mondain, que le rêve et la magie avaient déserté depuis trop longtemps.

Autrefois, elle se rappelait bien Nicolas, présidant la séance, avec son éternel gilet rouge, ses lunettes carrées sur le nez derrière lesquelles on retrouvait ces deux yeux bleus malicieux.

Les choses avaient bien changé. Étienne était encore trop jeune pour faire un Père Noël crédible, mais par rapport à son père, même à la fin de sa vie, c’était déjà un vieillard dans sa tête. Il ne pensait plus qu’à la rentabilité du groupe et avait perdu le sens profond de ce qu’il y faisait.

Soupirant en arrivant en gare de Besançon-Viotte, de nouveau, elle fut récupérée par deux lutins, un garde du corps et un chauffeur. La famille Noël avait encore changé de voiture, cette fois, c’était une Rolls Royce de dernier cri. Seule à l’arrière – Églantine avait repris les cours à l’université – elle se sentait mal à l’aise, dans cette voiture trop grande pour une seule personne, au luxe indécent.

Le conseil d’administration était à l’avenant. La pièce était belle, bien entretenue, mais au fil des années, les Noël ressemblaient de moins en moins à des enchanteurs, et de plus en plus à des dirigeants de grandes entreprises « normaux ». Célestine avait un pincement au cœur. Contrairement aux années précédentes, cette fois, c’était Daniel Lenoir qui présidait la séance. Cela devait-il annoncer l’éviction prochaine d’Étienne ?

Égal à lui-même, le banquier d’affaires avait un sourire mauvais et abondait en sarcasmes, l’une des rares choses dont il n’était pas avare.

­- Oui, d’accord, le groupe a réalisé des profits plutôt satisfaisants. Enfin, il y a beaucoup d’actionnaires qui auraient aimé plus. Mais bon, je leur ai expliqué que c’était déjà en nette progression par rapport aux autres années, et qu’il fallait vous laisser le temps.

-­ Mais que voudriez-vous qu’on fasse de plus, M. Lenoir ? S’indigna Anne-Marie Noël. Je crois qu’on a déjà fait beaucoup de sacrifices pour remettre l’entreprise dans les rails de la croissance.

-­ Vous avez toujours votre parc immobilier, non ? Les cités ouvrières. Vous pourriez les mettre en location.

-­ Ça ne vous a pas échappé que des gens y vivent. En plus, certains sont propriétaires.

-­ Oui… enfin, ils sont propriétaires des murs, mais à ma connaissance, pour le terrain, ils ont un bail emphytéotique… qui arrive à terme. Il vous suffirait de le révoquer, et dans la foulée, vous rachetez leurs maisons l’euro symbolique, et vous revendez le tout avec une grosse plus-value. Ou mieux, vous mettez tout en location.

-­ Étienne ! S’indigna Anne-Marie. Tu ne vas quand même pas faire ça à nos lutins. Tu ne crois pas qu’ils ont assez souffert ?

-­ On n’a pas le choix, Maman… Si on ne lâche pas du terrain à nos actionnaires, ils vont retirer leurs billes, et on n’aura plus qu’à vendre tout ça…

-­ J’ai ouvert une assurance-vie pour les études de Viviane, dit Odile Noël, un peu hésitante. Je viens à peine de l’ouvrir. Je ne sais pas si le taux va rémunérer grand-chose… Et puis… Il y a les traites de la maison à payer.

-­ Et moi, je dois finir de rembourser le bateau, dit David…

-­ Et moi, j’ai besoin de sous pour financer mon mariage, dit Alice Noël, la plus jeune de la fratrie.

Dans le fond de la salle, sans dire un mot, Célestine fulminait. Il y avait, en plus de Lenoir et la famille Noël, quatre actionnaires, en costume-cravate, eux aussi. Si bien que le rapport de force paraissait beaucoup moins égal.

-­ Célestine… risqua Anne-Marie.

-­ Quoi ? S’emporta la fée.

-­ Euh… Vous n’intervenez pas ?

-­ Pour faire quoi ? Vous empêcher de foutre en l’air des milliers de vies ? Une fois de plus ? Ça n’a pas trop bien marché la dernière fois.

-­ Vous savez, dit Lenoir cyniquement, les actionnaires aussi ont leurs problèmes. Vous allez leur faire de sacrées difficultés, si vous décidez de ne pas révoquer ces baux. N’auriez-vous pas de compassion ?

Célestine ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais fut tellement sidérée par ce qu’elle venait d’entendre qu’elle ne put prononcer un mot. Elle referma la bouche, puis se tourna vers les enfant de Nicolas : Étienne, Odile, David et Alice Noël.

Elle chercha quelque chose dans l’insondable fond de son sac à main. Elle en sortit un vieux journal. Les Noël le reconnurent immédiatement.

-­ Le journal de Papa… s’étonna Alice. C’est vous qui l’aviez ?

-­ Oui, dit Célestine. C’est moi. Je vous rappelle que je suis sa mémoire.

-­ Les mémoires nous apportent des réponses aux questions passées, dit Étienne d’un ton cassant. Là, c’est le futur qui nous intéresse.

-­ Et les milliers de lutins que vous avez mis au chômage, que vous vous apprêtez à foutre dehors, vous croyez que ça ne les intéresse pas, le futur ?

-­ Arrêtez de faire du sentiment, Célestine, s’énerva Étienne. Des fois il faut retrouver le sens des réalités. Si on veut sauver Noël, il faut accepter qu’il évolue.

-­ Mais c’est de vous qu’il faut sauver Noël ! Vous ne comprenez pas ? S’énerva Célestine. Jamais votre père n’aurait toléré qu’on ait ne serait-ce qu’évoqué l’éviction des lutins. Jamais !

-­ Vous ne participez pas au vote, répondit froidement Lenoir.

-­ Vous avez raison, monsieur le banquier. Mais ça n’a pas vraiment d’importance. Parce que j’ai d’autres atouts dans ma manche. Vous voulez voter l’éviction des lutins ? À votre guise ! Mais je préfère vous prévenir : vous allez me trouver en travers de votre route. Et si vous ne savez pas ce que c’est qu’une fée en colère, vous n’allez pas tarder à le découvrir. Et ça ne va pas vous plaire, du tout !

Célestine avait retrouvé son regard incandescent. Elle fusillait Lenoir du regard. Celui-ci n’était pas plus impressionné que cela. Mais le reste de la famille Noël la prenait très au sérieux. Finalement, elle se tourna vers Étienne.

-­ Faites ce que vous voulez, Étienne. Lenoir a raison, je ne prends pas part au vote. Mais désormais, vous vous passerez de moi comme mémoire de votre père. Vous avez choisi le camp des fossoyeurs de l’esprit de Noël. Moi, je me range du côté de ceux qui essaient de le préserver. Je vous laisse ça…

Elle laissa devant son bureau un exemplaire des mémoires du Père Noël.

-­ Ce sont les mémoires de votre père. J’espère qu’elles vous rappelleront l'héritage que vous avez promis de préserver. Au revoir.

Puis Célestine partit en claquant la porte.

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