Chapitre 10 : Rencontre entre deux barbus

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Poursuivant sa lecture, Célestine eut vent d’une rencontre qui avait bouleversé la vision des choses du Père Noël, il s’agissait de Karl Marx. Il n’était pas vraiment d’accord avec lui, mais appréciait l’homme pour sa ferveur et ses convictions. À son contact, Nicolas s’était découvert bien moins sympathique qu’il l’aurait cru ou voulu. L’expérience ne fut pas très agréable, mais eut au moins le mérite de le pousser à se remettre en question.

À l’époque de la Commune de Paris, Célestine avait beaucoup entendu parler de ses travaux, mais elle ne l’avait pas rencontré personnellement. Elle avait aperçu sa photo, en voyant sa barbe, il était difficile de savoir qui de Karl Marx ou de Nicolas Noël avait pris modèle sur l’autre.

Elle essaya non sans humour d’imaginer la rencontre. Dans ses mémoires, Nicolas avait écrit :

« Avant de rencontrer Marx, je ne m’étais pas vraiment posé de questions d’argent. Pour moi, la Révolution Industrielle, c’était surtout l’opportunité de produire plus de jouets, pour que plus d’enfants puissent en profiter. Et si je ne m’étais jamais embarrassé de payer mes lutins, c’était parce que moi-même, je me contentais de peu.

Après tout, il n’y avait rien qu’un être humain veuille que les pouvoirs d’un enchanteur ne permettent.

Mais au contact des ouvriers de Franche-Comté, je compris que le manque, le besoin, étaient le lot de la plupart des gens, et que ce n’était pas une question secondaire.

Si je voulais avoir leur concours, lutins ou humains, ce ne serait pas contre rien. Le temps de la générosité et du désintéressement était révolu.

Mais je ne peux pas me plaindre, c’est parce que j’ai accepté de donner une place à l’argent dans mon œuvre que j’ai pu lui donner cette ampleur.

Sans les lutins et les ouvriers, rien n’aurait été possible.

Et surtout, je n’aurais pas pu déléguer à d’autres Pères Noël la tâche de livrer les jouets, et je n’aurais jamais pu prendre le temps de fonder une famille.

Je serais bien incapable de retranscrire ses explications sur la baisse tendancielle du taux de profit, et pourtant, j’ai lu ses travaux, plusieurs fois. Aujourd’hui je lui reconnais au moins un mérite (en plus d’avoir bon goût en matière de barbe), grâce à lui je me sens un peu plus en conformité avec ce qu’un homme de bien doit être. »

Célestine fut étonnée. Alors comme ça, Nicolas avait rencontré Karl Marx. Cette rencontre était plutôt improbable. Mais si on y réfléchissait, c’était cohérent avec ce personnage plein de contradiction : un homme qui célébrait la générosité et l’altruisme, tout en générant une débauche de consommation qui enrichissait souvent les mêmes.

D’ailleurs, qu’en était-il vraiment ? Dans ce qu’il avait écrit, il s’arrogeait le beau rôle : celui du patron conciliant qui avait accédé aux demandes de ses employés.

Mais qu’en pensaient les employés ? Après tout, parmi les lutins, certains étaient presque aussi vieux que le Père Noël lui-même. Norbert, le représentant du personnel, siégeant au conseil d’administration, avait une longue histoire commune avec le Père Noël.

Et il n’avait sans doute pas la même version des faits.

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