Chapitre 12 : la Cité des Lutins

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Célestine avait pris Norbert au mot : au cours des vacances d’hiver, avant d’aller dévaler les pistes de ski à Pontarlier, elle et Églantine firent une halte à Besançon, en catimini.

Cette fois, elles ne venaient pas pour voir la famille Noël, mais l’armée de lutins qu’elle employait, du moins jusque-là. Ce fut donc un autre aspect du monde de Noël qu’elles découvrirent, pour la première fois après des décennies.

Au-delà de la vaste zone industrielle de la ville, une usine ancienne subsistait, c’était celle du Père Noël. Et encore au-delà, dans la montagne, fonctionnant comme en vase clos, la cité des lutins. Elle était construite dans la pierre de Chailluz, qui rendait la ville de Besançon si reconnaissable. Si la cité était plus imposante, plus impersonnelle, les allées étaient bien entretenues et les murs propres. Et la lumière qui filtrait à travers les fenêtres donnait au tout un aspect chaleureux, accueillant.

Dans son sillage, Célestine entendait les protestations d’Églantine. La température était descendue sous les -5°C et il gelait à pierre fendre. Bien que la fillette porte une parka, elle avait le froid qui lui brûlait les joues.

Célestine, elle, se sentait revigorée. Au cours de sa longue vie de fée, elle en avait connu d’autres. Mais il était vrai que Besançon, au cœur de l’hiver, était plus rude qu’en décembre.

Le taxi qui les avait emmenées de la gare jusqu’à la cité des Lutins venait de reprendre sa course. Célestine, qui avait noté l’adresse de Norbert lors de leur rencontre à la brasserie Barbès, était pressée d’arriver. La cité surplombait Besançon, mais avec le blizzard qui menaçait, les deux fées ne profiteraient pas vraiment de la vue.

Déambulant à travers les rues de la cité ouvrière, elles virent la lumière filtrer à travers les fenêtres. Celles-ci leur offraient la vue d’autant de foyers aux teintes apaisantes et à l’ambiance joyeuse.

Derrière la mère, la fille, transie de froid, dit :

­- Tu crois qu’on aura du chocolat chaud en arrivant ?

-­ Sûrement, ma chérie. Ne t’en fais pas. Je suis certaine que Norbert sait recevoir.

Arrivées à l’adresse dite, les deux fées virent une maisonnette, que rien ou presque ne semblait distinguer des autres. Le tout aurait paru un peu triste, si chacune d’elles n’avaient eu des jardinets joliment travaillés, avec des haies de buis, des petits bancs à l’ombre d’un arbre, des puits, des statues…

Tout cela pouvait paraître fantaisiste, mais contribuait à créer une ambiance irréelle. On ne se refaisait pas : certes, les lutins étaient des ouvriers, dans une vieille cité du XIXe siècle. Mais ils restaient des lutins. Leur goût pour la création, les beaux objets, ingénieux et poétiques, finissait toujours par les rattraper.

Dans le jardin de Norbert, Églantine aperçut une cabane de très belle facture, montée sur deux étages, et une tonnelle en bois finement travaillée et sculptée. À l’arrière, elle trouvait force ponts de corde, échelles et toboggans. Oubliant le froid, la fillette commença à regarder avec gourmandise ce qui semblait un très beau terrain de jeux.

Mais sa rêverie s’interrompit quand elle entendit une porte s’ouvrir, projetant une lumière dans le jardin, sur lequel la nuit commençait à tomber. Sur le pas de la porte, Norbert, habillé d’un pull-over bleu et de pantoufles, était en train de retenir son chien qui jappait joyeusement.

Églantine se tourna vers la porte. D’abord interdite, elle reprit confiance quand elle vit le chien, langue pendante, oreilles et queue dressées. Il voulait jouer.

-­ Célestine, Églantine ! Bienvenue à la cité des Lutins. Entrez vite, vous allez attraper la mort.

Célestine passa en revue la maison de Norbert. Dans le couloir, sa femme venait de récupérer leurs manteaux pendant que lui-même s’occupait de leurs valises. L’endroit était simple, mais décoré avec goût. Le sol était recouvert d’un parquet impeccablement ciré et de tapis. Le mobilier, fait en pin, semblait dater du début du XXe siècle, mais était en parfait état. Mais surtout, il y avait des mécaniques partout.

Des portes de placards à la table basse du salon, en passant par le plan de travail de la cuisine américaine donnant sur le salon, le mobilier montrait un ballet d’engrenages et de poulies, de crémaillères et de cardans. Enfin, les meubles étaient richement décorés, et certains motifs, à la faveur d’une porte ouverte ou d’une rallonge tirée, changeaient d’apparence.

Dans la cuisine, au grand émerveillement d’Églantine, un automate cassait des œufs, un autre touillait les pâtes qui cuisaient dans la casserole… Excitée comme une puce, la fillette parcourait toute la maison. Puis son exploration s’interrompit quand une autre voix d’enfant se fit entendre.

La femme de Norbert était aussi humaine que vous et moi. Leur fils, Mathieu, qui avait l’âge d’Églantine, avait plus ou moins la même taille qu’elle. Ils avaient aussi une petite fille, Camille.

Célestine ne fut pas surprise de voir Églantine sympathiser avec les enfants de Norbert. Ces derniers l’emmenèrent à l’étage, à la découverte de tous leurs jouets. En toile de fond, pendant que la fée discutait avec Norbert et Géraldine, sa femme, des rires d’enfants résonnaient à travers le plafond.

-­ Alors ? Demanda Norbert ? Que pensez-vous de notre cité ?

­- L’extérieur paraissait un peu austère, mais je pense que la neige n’aide pas.

-­ Non, en effet. Et l’intérieur ?

-­ Je n’ai vu que votre maison, mais Églantine parle pour moi, vous l’entendez, après tout.

Ils se turent un instant, et de nouveau, entendirent les rires des enfants à l’étage. Géraldine eut un sourire.

-­ Votre maison est très belle, dit Célestine, très accueillante.

-­ Merci, répondit l’épouse du lutin. Je m’occupe surtout de la déco, les petites sculptures sur bois, c’est moi. Norbert fait plutôt la partie mécanique. On a passé beaucoup de temps dessus, ces dernières années.

-­ Vous travaillez aussi à l’usine, Géraldine ?

-­ J’y ai travaillé… Maintenant je suis à mon compte, en tant qu’ébéniste.

-­ Nicolas ne vous a pas gardée ?

-­ Oh ! Il aurait bien aimé que je reste. Quand je lui ai expliqué mon projet pro, il était prêt à créer un poste pour que je puisse le faire pour lui.

-­ Et qu’est-ce qui s’est passé ?

-­ Le projet a été refusé en conseil d’administration, dit Norbert, l’air grave.

Célestine eut un air songeur.

-­ Laissez-moi deviner… Lenoir ?

­- Qui d'autre ? renchérit le lutin.

-­ Je suis vraiment désolée pour vous, Géraldine, dit la fée.

­ Ne le soyez pas ! Je fais le travail que j’aime, et je gagne bien ma vie avec. En plus, depuis quelques mois, maintenant, j’ai un site Internet. Je peux vendre mes créations sur toute la France, et même au-delà.

Si Géraldine n’était pas plus lutine que vous ou moi, les lutins avaient clairement déteint sur elle. Dans la chambre d’amis qu’elle et Norbert leur avaient préparée, tout le mobilier avait été retravaillé et personnalisé dans un style champêtre. Les portes de l’armoire avaient une frise représentant des animaux de la forêt, et les lits étaient dans un bois de pin aux entrelacs finement sculptés.

Mais dès le lendemain, la fée s’aperçut que toute la cité était à l’avenant. Passé le blizzard, elle put voir en détails les décorations des différentes maisons. Si celle de Norbert était une des plus belles, chacune d’elles affichait des trésors d’inventivité, de créativité et de fantaisie.

Églantine, à plusieurs reprise, avait pleuré de joie :

­- C’est merveilleux, Maman, disait-elle. C’est comme si Noël était un village.

Célestine comprenait ce que voulait dire sa fille. Par contraste, elle repensa au dernier réveillon de Noël, et à la tristesse latente de ce moment. Dans le manoir Noël, les enchanteurs étaient endeuillés. Mais chez les lutins, l’esprit de Noël semblait plus vivant et vigoureux que jamais.

Non, Noël n’était pas mort, mais il n’était pas hors de danger. Car ces milliers de lutins allaient se retrouver au chômage. À partir de là, allaient-ils seulement pouvoir rester dans cette cité ? Et s’ils se dispersaient, l’esprit de Noël pourrait-il subsister, ou se dissiperait-il avec eux ?

Dans le train qui les emmenait à Pontarlier, Célestine prit une résolution : tout faire pour aider ces lutins dans leur lutte, pour que cette cité continue de vivre.

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