Chapitre 7 : Tout est pareil, mais tout est différent

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Quelques jours plus tard, ce fut de nouveau Noël. Le 24 décembre au soir, ce fut le même faste. Célestine et Églantine, qui étaient reparties à Paris avant de revenir, étaient de nouveau à la fête. C’est que l’ordre des enchanteurs se voyait lui-même comme une grande famille.

Cette fois, Célestine et Églantine portaient des robes avec des motifs sobres, noires avec des galons de couleur. Celui de Célestine était rouge, et celui d’Églantine, bleu. Pour évoquer Noël, Célestine avait épinglé une feuille de houx sur sa poitrine.

Le sapin était tout aussi beau que l’année précédente, et de nouveau, à 20h00, on vit l’envol des traîneaux. Bien sûr, les Pères Noël n’étaient pas des enchanteurs, mais leurs traîneaux, eux, étaient encore magiques, et les conduiraient à bon port.

Il faisait déjà nuit noire, et cette fois, le ciel était voilé, mais sur leur passage, il se dégagea, créant comme une lueur dans la nuit avant que le ciel retrouve sa couleur d’anthracite. Tout le monde était, comme à son habitude, débordant d’enthousiasme. Le champagne coulait à flots, la réception était fastueuse, les petits fours délicieux. Tout ce qui émerveillait Célestine et sa fille était resté là.

Tout, sauf Nicolas lui-même. Le Père Noël, celui qu’elles avaient toujours connu, brillait par son absence. Étienne tentait bien de prendre le relais. Il avait revêtu un costume rouge, se laissait pousser la barbe. Mais il était nettement plus jeune. En tant qu’enchanteur, bien qu’il eût déjà cent-trente ans, il n’en paraissait guère plus de vingt-cinq. On était donc loin de l’image du vieillard replet et barbu de son père. Et selon toute vraisemblance, il lui faudrait sans doute quelques siècles avant que ce soit le cas.

À 23h00, Étienne avait revêtu le manteau rouge. Celui-ci était trop grand pour lui, et sa démarche était incertaine. Mais le regard de son père, la forme de son visage, son sourire étaient reconnaissables. Il prit la parole, une flûte de champagne à la main :

- « Chers amis, c’est ma première allocution en tant que Père Noël. Aussi, je compte sur votre indulgence si je ne vous fais pas rêver comme mon père l’aurait fait. Je suis sûr qu’il vous manque à tous et à toutes. Et croyez-moi, à nous, ses enfants et son épouse, il nous manque aussi, plus qu’à n’importe qui.

Mais il n’aurait pas voulu que l’œuvre de sa vie disparaisse avec lui. C’est pourquoi j’espère bien que Noël restera un moment de fête, de partage, d’émerveillement. Il incarnait quelque chose, et j’espère en être à la hauteur.

Je sais bien que je ne suis ni aussi vieux, ni aussi barbu, ni aussi gros que lui. Je ne suis pas LE Père Noël… du moins, je ne le suis pas encore. Mais je m’emploie à le devenir, et j’espère bien qu’avec moi, la magie de Noël continue de vivre et de réchauffer les cœurs, même au plus profond de l’hiver.

Joyeux Noël à tous ! »

Puis Étienne leva sa flûte de champagne. Célestine en fit autant avec la sienne et lui transmit un regard d’approbation. Mais le temps de boire une gorgée, Églantine avait disparu. Tout le monde était massé dans la grande salle de réception, mais la fillette, elle, était introuvable.

Loin de s’inquiéter, la fée eut l’intuition d’où elle pouvait être : dans le salon où étaient entreposés des centaines de jouets. Le même où, l’année passée, Nicolas les avait fait attendre, avec des friandises et des jouets. Et un train électrique qui allait et venait, livrant qui un message, qui un petit colis, qui des jouets.

Quand Célestine arriva dans la pièce, sans surprise, elle était dans la pénombre. Elle ne voyait rien, mais elle repéra sa petite Églantine, qui s’était trahie par un sanglot.

-­ Églantine ?

La petite fée ne pipa mot. Elle laissa juste échapper un soupir de tristesse.

­- Ça ne va pas, ma puce ?

­- Non… dit la fillette dans un sanglot.

­- Il te manque… pas vrai ?

­- Oui…

La fillette regarda sa mère de ses deux grands yeux tristes. Cette dernière lui caressa les cheveux, lui passa la frange derrière les oreilles. Églantine se passa le dos de la main sous le nez. Puis Célestine lui tendit un mouchoir en papier.

­- C’est plus propre. En plus, on n’a pas encore servi la bûche.

­- J’en veux pas…

­- Qu’est-ce que tu racontes, ma puce ? Tu as toujours adoré ça…

­- Noël, sans lui, ça marche pas…

Célestine, désormais assise par terre, derrière le canapé, sa fille à côté d’elle, laissa échapper un soupir. Mais elle sourit.

­- Tu sais, ma chérie, à moi aussi il me manque. Plus que je ne saurais le dire. On se connaissait depuis tellement longtemps. Cent-cinquante ans ! Un jour, tu sauras ce que ça représente, mais c’est vraiment long.

­- Et tu ne pleures pas ?

­- Si, bien sûr. Moi aussi, j’ai pleuré quand il est mort. C’était un ami pour moi. Mais n’oublie pas une chose : même si le Père Noël est mort, Noël n’est pas mort avec lui.

-­ Tu crois ?

­- Oui… Je l’espère.

Sans crier gare, la petite fille vint se serrer dans les bras de sa mère, qui lui posa une main affectueuse sur la tête.

­- Ils vont bientôt servir la bûche. On y va ?

­- Ah… Je sais pas… hésita Églantine…

Les yeux encore humide, elle n’osait pas trop retourner dans la grande salle. Puis un petit train arriva. Une fois de plus, un wagon s’en détacha et s’arrêta sur la table basse. Célestine ramassa la lettre, puis alluma le lampadaire à côté du canapé. Elle leva un sourcil circonspect. Puis elle tendit l’enveloppe à sa fille avec un sourire satisfait.

­- C’est pour toi, dit-elle.

­- Pour moi ? S’étonna la petite fée.

­- Oui.

Églantine ouvrit l’enveloppe. Il en tomba une clé, qui semblait actionner un automate. Elle contenait aussi une lettre. La filette commença à lire :

­- « Chère Églantine, cette clé t’ouvrira la voie vers un trésor caché. Papa pensait que tu serais heureuse de le récupérer. Je te laisserai le soin de le trouver. Mais d’ici là, un autre cadeau t’attend, que j’aimerais te remettre en mains propres.

S’il te plaît : reviens. »

C’est signé : Étienne.

-­ Je crois que c’est suffisamment clair. Il veut nous voir. Allez viens, on y retourne !

-­ Mais… et le trésor, c'est quoi ?

-­ À mon avis, tu auras d'autres indices là-bas. Allez viens ! Sinon on ne va plus avoir de bûche.

Les deux fées retournèrent donc dans la salle de réception, au moment où Étienne Noël distribuait les cadeaux à tout le monde. Célestine et sa fille faisaient partie des dernières. En les voyant, il leur sourit :

- Ah ! Vous voilà, toutes les deux !

La mère et la fille s’approchèrent de ce tout jeune Père Noël. Tout sourire, il avait des paquets entre les mains. Il en tendit un à Églantine :

- Papa était encore en train de le réparer l’année dernière. Il avait remarqué que tu le regardais avec beaucoup de curiosité.

La fillette comprit, et déchira l’emballage avec enthousiasme. C’était un automate. Effectivement, elle se souvint de la lettre, lui demandant expressément de ne pas y toucher. Elle sentit l’émotion lui serrer la gorge. Un an plus tôt, c’était de la mécanique apparente (et un peu rouillée). Elle ne pensait pas que le Père Noël avait eu le temps de s’en occuper avant de mourir. Désormais, il était rutilant. Il avait les traits d’une jeune fille.

Églantine était intriguée : l’automate avait déjà une clé. Celle de l’enveloppe l’intriguait. À quoi pourrait-elle bien servir ? Dans le doute, elle avait décidé de la garder aussi. Elle la remit dans l’enveloppe, et mit celle-ci dans la boîte.

Puis sans plus attendre, elle remonta la jeune fille automate. Vêtue d’une robe raffinée, avec des traits délicats, elle se déplaçait, sous les yeux ébahis de sa nouvelle propriétaire. Les autres enfants d’enchanteurs se massèrent autour d’elle, avec fascination.

Le Père Noël avait bien des enfants dans ses connaissances proches, et pourtant, il l’avait choisie, elle, pour hériter de cette poupée animée. Son cœur s’emballait. Elle affichait un sourire radieux, mais ne semblait pas se rendre compte des larmes qui coulaient le long de ses joues.

Elle était émue.

- Églantine, dit un enfant. Il y a une enveloppe dans la boîte.

La petite fée prit l’enveloppe et l’ouvrit. Elle la lut, pour elle-même :

Pour une petite fille au même esprit rebelle et au même cœur d’or que sa mère.

À l’origine, c’était un petit soldat, mais je n’ai jamais pu retrouver les bonnes pièces. J’ai donc décidé d’en faire autre chose. Et le résultat final m’a beaucoup plu. C’est toi qui me l’as inspiré.

Grâce à toi, ça m’est revenu que parfois, il ne faut pas chercher à toute force à réparer ce qui est cassé. Parfois, pour que les choses redeviennent comme avant, il faut qu’elles changent.

Je te souhaite un joyeux Noël,

Nicolas.

C’en était trop pour la fillette de neuf ans. Elle vint se blottir dans les bras de sa mère et se remit à pleurer. Célestine, avec douceur, lui caressa les cheveux. Un silence s’était installé dans la salle. Parmi les invités, bon nombre se remémoraient un vieil ami, un homme qui avait bercé leur enfance. Étienne lui-même ne pensait pas que le cadeau d’Églantine la bouleverserait à ce point.

Le cadeau qu’il réservait à sa mère paraissait presque en demi-teinte, alors même qu’il s’agissait d’un très beau service à thé. C’était parfait pour elle, qui en buvait des quantités.

Ce réveillon de Noël était merveilleux, mais il était triste. Jusqu’à la distribution des cadeaux, l’illusion perdurait, mais le cadeau offert à Églantine obligea tout le monde à se rendre à l’évidence : plus rien ne serait jamais comme avant.

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