Chapitre 6 : Saint-Nicolas

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Le Père Noël d’origine n’était plus. C’était Étienne, son fils, qui lui avait succédé. Mais son vrai prénom, Nicolas, était encore dans tous les esprits. Dans les régions de l’est, particulièrement, en Alsace, en Lorraine, et un peu en Franche-Comté, la Saint-Nicolas était une tradition importante.

Les Noël avaient décidé, en hommage à leur défunt patriarche, de continuer de fêter la Saint-Nicolas, à titre commémoratif. Dans l’esprit de l’Alsace voisine, ils avaient distribué des Männele, les petits bonhommes en pain brioché, à tout le monde dans les usines, comme ils l’avaient toujours fait du vivant de Nicolas.

Célestine en profita pour venir les voir. Le 6 décembre étant un jeudi, elle s’était arrangée pour qu’Églantine manque l’école, et vienne avec elle. Elles avaient donc repris le train en direction de Besançon-Viotte, et de nouveau, les lutins les accueillirent. Mais ceux-ci avaient une mine bien sérieuse, bien plus que l’année précédente.

Ce Noël avait des chances d’être beau. Mais Célestine avait l’intuition qu’il allait aussi être triste.

Le manoir des Noël avait une drôle d’allure depuis que Nicolas n’était plus de ce monde. Tout était pourtant comme l’année précédente, les sculptures sur glace, les rennes paissant dans les champs, les Pères Noël en pleine pause café, les lutins affairés à déposer des décorations çà et là. Dans la cour, une immense couronne de l’Avent avait été disposée, construite à partir de l’élagage de l’immense sapin, alors en cours de décoration.

En lieu et place des quatre bougies, représentant les quatre dimanches de l’Avent, il y avait quatre braseros. L’un d’eux était en train de brûler. Ils allumeraient le second dans le week-end.

Levant la tête, Églantine aperçut des boules flottant dans les hauteurs. Elle eut confirmation de ce qu’elle pensait l’année passée. Les lutins utilisaient bien la magie. Elle-même fut tentée de soulever une des énormes boules prévues pour la décoration.

­- Églantine ? Tu veux que je t’aide ? demanda Célestine sur un ton de reproche.

­- Pardon…

­- Laisse-les travailler. Tu décoreras le sapin à l’intérieur, comme l’année dernière.

­- Mais j’avais envie d’essayer la magie.

­- Si ça t’amuse… Mais avec le sapin à l’intérieur.

À l’intérieur, le même petit train les accueillit. Deux wagons se détachèrent. Et Célestine et Églantine virent ces petits bonshommes en pain brioché. Une carte y avait été jointe. La petite fée lut :

­- « Ce sont des Mae…. Maennele (?!) C’est une tradition d’Alsace pour la Saint-Nicolas. Nous en distribuons à tout le monde aujourd’hui. Régalez-vous. Je vous retrouve vers 16h00. » C’est ça, les Maénélé ?

­- On dit « Ménélé », ma puce. Et oui. C’est une référence à Saint-Nicolas.

Intriguée, la petite fille mordit dans un bras du maennele. Elle eut un air satisfait. C’était bon. Elle en reprit une bouchée. Puis la mère et la fille partirent s’asseoir dans le salon. La fillette eut bien vite fini son petit bonhomme brioché, et contemplant l’horloge, elle se laissa aller à plonger dans ses pensées.

Finalement elle demanda :

­- Maman ?

­- Oui ?

­- Est-ce que Nicolas était aussi Saint-Nicolas ?

Célestine lança un regard espiègle à sa fille.

­- Oui. C’était bien lui.

­- Mais il a vécu il y a très, très longtemps, dit Églantine, ébahie.

­- Oui. Environ 1800 ans.

La petite fée en resta bouche bée.

-­ Mais… c’est incroyable ! Un enchanteur vit si longtemps que ça ?

-­ Oh non ! dit Célestine. C’était seulement parce que c’était un homme. Une femme peut vivre plus de 2000 ans.

­- Tu veux dire ?… risqua Églantine. Tu veux dire que je…

-­ Que tu as des chances de vivre aussi longtemps ? Oui, si Dieu le veut. Parce qu’en 2000 ans, on court beaucoup plus longtemps le risque d’une mort accidentelle. Et puis… Va savoir ce qui peut se passer. Moi, en 400 ans d’existence, j’ai déjà survécu à la guerre de 30 ans, à la Révolution Française, à celle de 1848, à la Semaine Sanglante, à deux Guerres Mondiales, à l’Armée Nazie et aux années disco.

Elle échangea un sourire amusé avec sa fille. Puis elle demanda :

­- Tu veux connaître l’histoire de Saint-Nicolas ?

­- Oh oui !

­- OK. Alors commençons. Nicolas raconte souvent qu’il a immigré depuis la Finlande. En réalité, il a d’abord vécu en Turquie. Je ne saurais plus te dire exactement où. Lui-même n’était pas tout à fait sûr. Tu penses, ça fait tellement longtemps ! Les villes ont eu le temps de changer de nom dix fois !

Par contre, je peux te raconter l’histoire du boucher et son saloir. C’est une histoire horrible, mais qui finit bien.

Comme tu le sais, pour les Chrétiens, pour être un saint, il faut faire des miracles. Pour lui qui était enchanteur, ce n’était pas trop un problème. Mais comme il était évêque, on n’allait pas trop l’embêter avec des histoires de sorcellerie, lui !

Donc un jour, trois enfants, partis glaner dans les champs, s’étaient perdus dans le chemin qui les ramenait à la maison. Ils arrivèrent dans la maison d’un boucher, qui leur proposa l’hospitalité pour la nuit. Mais à peine entrés, ils furent tués et dépecés. Et le boucher mit leurs morceaux dans son saloir !

­- Mais c’est horrible ! dit Églantine, horrifiée.

­- Oh oui ! Mais tu vas voir, ça va s’arranger. Plusieurs années se sont écoulées après cette horrible histoire, et un jour, Nicolas est venu rendre visite au boucher. Il lui demanda du petit salé et le boucher prit peur. Nicolas avait découvert son secret. Le boucher avoua donc son crime, et Nicolas, d’un geste au-dessus du saloir, ressuscita les enfants.

-­ On peut vraiment faire ça ? Je croyais qu’on ne pouvait pas ressusciter les morts ?!

­- Bon… Sur ce coup-là, on a peut-être un peu arrangé la vérité, ou bien il y a un autre barbu qui est venu lui donner un coup de main.

­- Un autre barbu ? S’étonna Églantine.

Célestine pointa un doigt vers le ciel, et la fillette comprit.

­- Ah d’accord, ce barbu-là ! fit-elle.

­- Toujours est-il qu’après cette histoire, il y a tout un folklore qui l’accompagne. Le boucher, qu’on appelait Pierre Lenoir, ou Le Noir, a été rebaptisé le Père Fouettard, celui qui serait méchant avec les enfants. Et Nicolas est devenu le Saint-Patron des enfants.

Comme à l’époque il ne faisait pas bon être enchanteur, il s’est fait passer pour mort. On pense que c’était un 6 décembre, d’où le fait qu’on le fête aujourd’hui. Je ne sais pas trop ce qu’il a fait après. Je crois qu’il a continué de s’affairer auprès d’enfants, siècle après siècle. Certains, décidés à le suivre jusqu’à la fin, sont devenus des lutins. Ils ont plus ou moins tourné en vase clos pendant plusieurs siècles. Après la Turquie, je crois qu’il a beaucoup roulé sa bosse en Russie, avant d’arriver en Laponie.

La suite, tu la connais, il est venu s’installer ici à Besançon, au début du Second Empire.

Églantine en resta fascinée.

­- C’est incroyable ! Il a vécu tellement de choses !

­- Oui. Et attends ! Maintenant, la suite à son histoire, c’est nous qui allons l’écrire.

Célestine passa une main sur la joue de sa fille. Puis l’horloge sonna quatre fois. Il était 16h00, Étienne n’allait pas tarder à arriver et à les convier aux festivités.

Chez les Noël, la Saint-Nicolas était une tradition familiale, en mémoire d’un temps, plus ancien, où le doyen de la famille – et à l’époque, son seul représentant – faisait vraiment la tournée des foyers pour offrir force jouets et friandises aux enfants.

Mais depuis que Noël avait pris le pas, la Saint-Nicolas était devenu un moment plus intimiste. Célestine était invitée en tant qu’amie de la famille. Mais tout de même, Noël approchait déjà. Le sapin était en cours de décoration, et conformément à la tradition, Célestine et Églantine posèrent leur décoration dessus.

Et si vous vous posiez la question, Églantine eut effectivement l’autorisation d’utiliser la magie, pour poser une guirlande à 2,50m de haut.

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