Chapitre 5 : Étienne

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Si Églantine ne s’était doutée de rien, Célestine, elle, l’avait bien pressenti : c’était la dernière fois qu’elle voyait Nicolas vivant. Après des siècles de bons et loyaux services, le vieil enchanteur avait mérité une fin paisible.

Nonobstant les inquiétudes qui planaient sur l’avenir de l’empire, l’heure était au recueillement. Étienne, Odile, Alice et David, ainsi que leur mère, Anne-Marie, se retrouvèrent et pleurèrent abondamment.

Ils avaient envisagé des funérailles dans la plus stricte intimité, mais c’était sans compter sur les lutins, qui avaient profité de son patronage pendant des siècles. Étienne, désormais à la barre, avait octroyé une semaine de congé (avec maintien de salaire) pour tout le monde. Conscient de qui était son père pour beaucoup d’entre eux, il souhaitait qu’eux aussi puissent rendre hommage, mais aussi s’octroyer un peu de repos, pour expliquer à leur famille ce qui s’était passé.

Dans la presse, l’information ne tarda pas à fuiter. On pouvait lire « Le « Père Noël » est mort ». L’opinion publique était plutôt mitigée face à cette situation. Parmi les adultes, beaucoup avaient tourné le dos à ce fameux « esprit de Noël ». Mais d’autres semblaient fortement affectés, ceux qui avaient déjà eu affaire aux enchanteurs, et comprenaient que le Père Noël était beaucoup moins faux qu’on ne voulait bien le dire.

Dans la presse, c’était un sobriquet qu’on lui avait donné. Nicolas Noël, géant du jouet, ami des enfants, enchanteur pour les milieux initiés, était surtout considéré comme un patron d’industrie à l’ancienne. Un homme qui menait son affaire d’une main de fer, tout en restant attaché à un certain nombre de principes.

S’il avait un côté paternaliste qui pouvait agacer, il avait toujours eu à cœur que les « lutins » soient bien traités. Les journaux mettaient souvent le mot entre guillemets, ne sachant jamais qui, parmi les employés, étaient vraiment des lutins ou non. Par habitude, le terme était resté, et certains « lutins » étaient en fait de simples humains.

En ce funeste jour de juillet 2001, Célestine regarda la télévision, un peu machinalement, et d’une chaîne à une autre, c’était à peu près la même chose.

Puis entre deux documentaires commémoratifs, à 20h00, elle aperçut une vidéo d’une conférence de presse. C’était Étienne, qui tenait son discours en tant que nouveau P.-D.G. du groupe Noël. Il était encore blême, comme un homme qui venait de perdre son père, mais ne mesurait pas encore l’ampleur de la responsabilité dont il venait d’hériter.

« Le Père Noël est mort, dit-il. Un nouveau Père Noël est appelé à lui succéder. Ce nouveau Père Noël, c’est moi. Et j’espère bien entretenir la flamme à laquelle il a donné vie. »

En le regardant, alors que Célestine était en train de mélanger la salade, la petite Églantine pleura à chaudes larmes.

­- Alors c’est vrai, Maman ? Le Père Noël est vraiment mort ?

­- Oui, ma puce.

Célestine elle-même avait du mal à retenir ses larmes. L’humanité avait perdu le Père Noël. Mais elle-même avait perdu un ami, un très vieil ami.

­- Toi aussi, tu es triste, Maman ?

­- Oui… C’était mon ami.

La petite fée regarda sa mère avec les yeux humides. Ses larmes repartirent de plus belle. Célestine, toujours occupée à touiller la salade, s’arrêta, et serra sa fille dans ses bras.

­- Je ne croyais pas que ce serait le dernier Noël, celui de 2000.

­- Ce ne sera pas le dernier, ma chérie. Il y a un nouveau Père Noël.

­- Tu me le promets, Maman ? Tu me le promets qu’on aura de nouveau des Noëls aussi beaux qu’avant ?

­- Oui, ma chérie. Aussi beaux, et peut-être encore plus.

Puis la fée regarda sa fille dans les yeux, lui passa une main dans les cheveux, puis lui essuya les larmes avec les pouces.

-­ Je suis la mémoire de Nicolas, j’y veillerai personnellement. L’esprit de Noël continuera de vivre. Il ne sera plus tout à fait celui qu’on connaissait, mais il sera toujours là. Je te le promets.

Puis Églantine serra sa mère dans ses bras de plus belle. Dans le même temps, cette dernière avait en tête le fameux journal que Nicolas lui avait donné. Ses mémoires. Il allait être temps qu’elle se plonge dedans.

En effet, si Étienne avait hérité de la charge du Père Noël et de sa fortune, Célestine, elle, avait hérité de sa mémoire.

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