Chapitre 4 : la mémoire du Père Noël

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En ce matin de février 2001, le temps s’annonçait maussade à Paris. Il faisait gris et vaguement pluvieux. À l’approche de la Saint-Valentin, Nicolas et Anne-Marie Noël avaient décidé de s’offrir une virée en amoureux dans la capitale de l’amour.

Et Nicolas profitait, pour la première fois depuis très, très longtemps, de l’occasion de célébrer une fête pour laquelle tout le monde ne comptait pas sur lui. Il était désormais incognito. Pendant un temps, il avait même songé à se raser la barbe. Mais devant les vives protestations de la famille, il y renonça rapidement. Il se contenta donc de mettre ses éternels costumes rouges au rancart.

Pour leur excursion à Paris, Nicolas portait un simple costume noir et un pardessus gris clair. Il avait aussi troqué son bonnet rouge pour une casquette de tweed. N’eût été son impressionnante barbe, on l’aurait facilement pris pour un simple grand-père.

Les Noël n’arrivèrent en Gare de Lyon que vers 15h30. Ils n’avaient pas pu descendre du train pour manger, mais leur cuisinière leur avait fait un beau panier-repas. Ils étaient en première classe et avaient un compartiment juste pour eux, ce qui leur assurait des conditions de voyage des plus confortables.

Mais en Gare de Lyon, pour se remettre du voyage, ils firent une petite étape au Train Bleu pour boire un café. Nicolas fut un peu perdu. Paradoxalement, alors que le Père Noël était censé arpenter le monde pour distribuer ses cadeaux, il n’en voyait plus grand-chose depuis qu’il déléguait la distribution. Quand ils passèrent leur commande, l’ancien Père Noël sortit un téléphone portable, un Siemens du dernier cri, avec un écran en couleurs. Un peu perdu devant cette technologie avancée, il tâtonna, mais parvint quand même à se rappeler comment composer un numéro.

Au bout du fil, il entendit sonner, puis une voix répondit :

Célestine la Fée Bonjour, que puis-je faire pour vous ?

­- Bonjour, Célestine, c’est Nicolas.

­- Nicolas… Nicolas… Voyons voir…

­- C’est un peu fort, ça ! dit-il avec un mélange d’amusement et d’indignation. Il suffit que je prenne ma retraite et vous oubliez le Noël que vous avez passé chez nous.

­- Aaaaaaahh ! Ce Nicolas-là !

­- Oui, ce Nicolas-là…

­- Je suis contente de vous entendre, Nicolas. Quel bon vent vous amène ?

­- Un petit vent d’amour dont Anne-Marie et moi avons envie de profiter, tant qu’on est là tous les deux. Dites-moi, Célestine, êtes-vous à Paris en ce moment ?

­- Oui. Ce ne sont pas les vacances ici. Églantine est à l’école. Vous voulez me retrouver chez moi ? Ou à l’extérieur ?

­- Peut-être chez vous, pour commencer. Je dois vous parler de quelque chose. Mais c’est un peu délicat.

­- Parfait. Je suis en rendez-vous en ce moment, mais je vous propose 17h00 chez moi. Vous vous rappelez l’adresse ?

­- Non.

­- 20 rue Daviel. 13e arrondissement. Ça vous laisse le temps de terminer votre café.

­- Mon café ?

­- Oui… Vous êtes au Train Bleu, j’imagine…

Nicolas regarda les deux tasses de café fumant qui arrivaient.

­- Comment avez-vous su ?

­- L’ambiance du café. Et je sais que vous l’avez toujours adoré. Si vous avez un petit creux, je vous recommande leurs profiteroles, une merveille ! D’ici, vous serez vite arrivés chez moi. Alors prenez le temps, profitez !

Célestine disait vrai. Les profiteroles étaient délicieuses (à 85 francs, il valait mieux!), et le service du Train Bleu n’avait pas failli à sa réputation. Mais à 16h30, il était plus que temps de se mettre en route. Et l’heure de pointe approchant, il allait devenir de plus en plus compliqué de circuler dans Paris.

À la sortie de la gare, les Noël trouvèrent un chauffeur de taxi qui les emmena rue Daviel. Dans son rétroviseur, le chauffeur dévisagea un instant le Père Noël.

-­ Un problème, jeune homme ?

­- Non, non… Mais vous me rappelez quelqu’un…

­- Quelqu’un qui distribue des cadeaux ?

­- Euh… Oui… Excusez-moi.

­- Vous êtes tout excusé, mon ami. Et c’est bien moi. Ou du moins, c’était. J’ai pris ma retraite.

Le chauffeur hocha la tête, et ne posa plus de questions. Peu après, ils arrivèrent rue Daviel. Il était 17h00 tout juste. Après avoir laissé un bon pourboire au chauffeur, Nicolas et Anne-Marie sonnèrent. Le nom de Célestine était à l’interphone. En sonnant, ils l’entendirent :

­- Oui ?

­- Célestine ? C’est Nicolas et Anne-Marie.

­- C’est au 4e.

Si vous avez lu Le Fantôme de la Défense, vous reconnaîtrez sûrement l’immeuble à l’ambiance surannée, l’ascenseur aux vieilles tapisseries pourtant impeccables, ainsi que le couloir tapissé parfaitement entretenu, auquel il n’y avait pas un accroc. Mais à l’époque, l’appartement de Célestine était un peu plus en désordre.

En effet, on trouvait souvent, coincé entre deux coussins du canapé, une peluche ou une poupée, ou une pile de Lego au milieu du salon. Et parfois, c’était Églantine elle-même, couchée sur le tapis, qui était en train de lire un livre. À l’époque, la jeune fée n’était encore qu’une enfant.

Mais il en fallait plus pour déranger Nicolas. Comme de juste, Églantine fut ravie, quoiqu’un peu surprise, de voir le Père Noël lui rendre visite en février.

Mais la petite fée fut tout de même priée d’aller jouer dans sa chambre. Célestine lui promit une sortie au cinéma le samedi suivant. Une fois Églantine dans sa chambre, des discussions d’adultes commencèrent.

-­ Célestine, commença Nicolas, je dois être tout à fait clair avec vous… Ce n’est pas seulement un voyage d’agrément.

­- Je m’en doutais un peu. Même si je peux difficilement imaginer plus romantique que Paris pour la Saint-Valentin.

­- Je préférais vous parler de ça seul à seul, parce que je pense que ça va faire de la peine à Églantine…

Et là, Célestine comprit… Elle se rendit compte que le Père Noël était devenu vraiment vieux, encore plus vieux qu’avant.

­- C’est grave ?

­- Oui… J’en ai peur. Enfin… Je ne sais pas si mourir de vieillesse est si grave que ça… surtout à plus de 1800 ans. Mais oui, si on est lucide, il y a peu de chances que je vois le prochain Noël.

Célestine sentit les larmes lui monter aux joues, mais par professionnalisme, elle se contint.

­- Célestine ? Vous saviez que ça finirait par arriver.

­- Oui, dit la fée, avec un peu de tristesse dans la voix. Mais que va devenir Noël, sans vous ?

­- Oh je suis sûr que vous en ferez quelque chose de merveilleux.

­- « Vous ? »

­- Oui. Pas vous toute seule, Célestine. C’est Étienne qui assurera la direction, comme il le fait maintenant. Mais vous, je souhaite que vous soyez à ses côtés. Je voudrais que vous soyez ma mémoire.

Célestine se souvint. C’était leur discussion d’avant Noël, ce Noël si merveilleux, pourtant passé si vite.

­- J’ai un cadeau pour vous, mon amie.

Et le vieil enchanteur tendit un livre à la fée. Elle l’ouvrit et commença à comprendre de quoi il s’agissait. C’étaient ses mémoires. Il l’avait désignée pour en être la gardienne.

-­ J’ai prévu dans mon testament qu’une personne soit payée pour être la conseillère de notre Étienne. Pour qu’il ne perde jamais de vue ce qu’est l’esprit de Noël. Honoraires prévus : 20 000 francs par mois, et vos voyages jusqu’à Besançon seront pris en charge. Est-ce que vous acceptez ?

-­ J’ai besoin de réfléchir. Et puis… qu’est-ce qui me garantit que ça se passera comme ça ?

­- C’est une de mes volontés sur mon testament. Ils ne pourront pas aller contre. Vous serez présente au Conseil d’Administration, mais vous ne pourrez pas participer au vote. En revanche vous pourrez conseiller Étienne, autant que vous le voudrez.

Célestine regarda, songeuse, ce livre, et leva les yeux en l’air. La rémunération était plutôt alléchante. Elle tourna donc le regard vers Nicolas et lui adressa un sourire.

­- D’accord. Je le ferai.

Nicolas et Anne-Marie lui sourirent à leur tour. Le soulagement était palpable sur leurs visages. À l’issue de cet entretien, qui ne dura guère plus d’une demi-heure, Églantine fut autorisée à sortir de sa chambre.

En guise de remerciement, les Noël les invitèrent à dîner. Ce fut une excellente soirée. Pour les Noël, mais aussi pour Célestine et Églantine.

En effet, à ce moment, la petite fée ne savait pas que ce serait la dernière fois qu’elle verrait Nicolas vivant.

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