Chapitre 2 : Le Véritable Père Noël

6 minutes de lecture

- Églantine! dit le vieil homme… Tu as tellement grandi en un an, ma belle. Laisse-moi te regarder.

La fillette leva des yeux pétillants vers le vieil homme. Il lui souriait, mais il se taisait, comme s’il hésitait à dire quelque chose.

­- Tu ne me demandes pas si j’ai été sage ?

­- Tu n’es pas un peu grande pour ça ?

­- Oh s’il te plaît, demande-moi… le supplia la fillette.

-­ Bon, si tu insistes… J’espère que tu as été bien sage, cette année.

­- J’ai fait de mon mieux, Père Noël, je te le jure.

Et Nicolas, le Père Noël, posa une main affectueuse sur sa tête. Puis il se tourna vers Célestine.

­- Célestine, ma chère amie… Je suis tellement content de vous revoir.

­- Et moi donc… Mais que vous arrive-t-il, mon ami ? Vous avez l’air soucieux…

Le vieil homme baissa le regard, et soudain, sa mine s’assombrit. Il prit un sourire gêné.

­- Allons dans mon bureau, nous serons plus tranquilles pour discuter. Églantine ? Ça ne te dérange pas de rester un peu jouer toute seule ? Je te ramène ta maman tout de suite.

La petite fée leva le regard vers Nicolas, alors qu’elle était allongée sur le tapis du salon, en train de commencer un puzzle de 500 pièces.

­- Hum ? Hein ? Non, non… c’est bon…

Et le vieil homme et la fée partirent.

Le bureau de Nicolas était comme on pouvait imaginer le bureau du Père Noël. La tapisserie vert bouteille était ornée de frises plutôt chargées. Au milieu trônait un vieux bureau en chêne richement sculpté. Et derrière se trouvait un fauteuil tapissé. Célestine s’assit sur un fauteuil identique qui lui faisait face. Puis elle lui demanda :

­- Alors, si vous me disiez ce qui ne va pas, Nicolas ?

­- Pour ne rien vous cacher, ma chère, le groupe est en difficultés. Cela fait plusieurs années consécutives que nos bénéfices diminuent.

­- Pourtant, vous semblez aller bien, s’étonna la fée.

-­ Ah… C'est sûr, personnellement, je ne peux pas me plaindre. Mais ça n'est pas satisfaisant pour certains appétits. Ce vautour de Lenoir nous met une pression invraisemblable. J’ai réussi à maintenir les salaires et les primes de mes employés, mais j’ai déjà dû supprimer tout un tas d’avantages. Pour faire des économies... Ce type me reproche d’être trop généreux... Trop Généreux ! Sérieusement !

Célestine réprima un rire, avec une pointe de consternation. Elle saisissait bien l’absurdité de la chose. Nicolas était le Père Noël. Lui reprocher sa générosité, c’était comme si on avait reproché à un éléphant d’être trop gros, ou à un rossignol de trop chanter.

Car Nicolas était bel et bien le Père Noël, le vrai. Il était généreux par nature. Célestine le savait. Pensif, le vieil homme reprit une gorgée de thé, et regarda sa fenêtre. Un traîneau s’envola tandis qu’un autre atterrissait. Il soupira.

­- Vous vous souvenez de la première fois qu’on s’est vus, Célestine ?

­- Oui… J’avais investi les barricades pendant la révolution de 1848. Les gendarmes me recherchaient et je me suis réfugiée à Besançon.

-­ Nous rêvions tous les deux de changer le monde, chacun à notre manière. Au début, c’était difficile de se comprendre. À l’époque, c’était tout juste si je parlais français.

­- De l’eau a coulé sous les ponts. J’ai été heureuse d’avoir été votre première amie en France. À l’époque, je ne m’en rendais pas compte. Mais aujourd’hui, si. C’est vraiment un honneur.

Il y eut un silence. Le Père Noël adressa à la fée un regard reconnaissant.

­- Mais je suppose que vous ne m’avez pas emmenée dans votre bureau juste pour évoquer le bon vieux temps.

­- Non, ma chère. En effet. Cette année, c’est l’an 2000, et je sens que dans les années qui viennent, beaucoup de choses vont basculer pour l’humanité.

­- Vous pensez qu’avec le changement climatique ou le développement d’Internet, les enfants auront moins qu’avant besoin de fêter Noël ?

­- Non, au contraire. Je pense que les gens auront d’autant plus besoin de rêver. Mais je m’inquiète du genre de rêves qu’on va leur offrir. Le groupe est ouvert à la concurrence mondiale. Et on ne va pas se mentir, la magie cède de plus en plus la place au fait d’offrir et recevoir. L’argent a pris le dessus.

­- Mais vous-même, vous êtes content que les gens vous en donnent, de l’argent… non ?

­- Bien sûr ! Il faut bien manger, après tout. Mais l’argent, pour moi, c’est un moyen, pas une fin. Comprenez-vous ? Il y a autre chose derrière, quelque chose de plus grand, même de plus grand que vous ou moi : la joie et l’enchantement dans le cœur de millions d’enfants…

­- Oui, enfin… Ils sont devenus tellement nombreux… ce n’est plus vous qui les livrez.

­- Je voudrais vous y voir, Célestine ! On en reparlera quand vous aurez 1800 ans !

La fée réfléchit un instant. Alors même qu’elle l’avait rencontré quelque cent-cinquante ans plus tôt, elle aussi l’avait toujours connu avec des cheveux blancs. Ils échangèrent un regard et réprimèrent un rire. Puis de nouveau, il y eut un silence. Le Père Noël le rompit.

­- Je suis un vieil homme depuis longtemps, Célestine. Jusqu’ici, ça ne m’avait pas empêché de travailler. Mais là, je fatigue. Je n’y arrive plus vraiment. Et cette vermine de Lenoir, là… qui est en train d’essayer de faire de notre entreprise une multinationale qui exploite des petits Chinois, ou des Srilankais… La place d’un enfant, c’est au pied du sapin à Noël et à l’école le reste du temps…

­- Oui… enfin… Si je me souviens bien, Nicolas, certains de vos amis ne voyaient pas les choses comme ça, à l’époque où vous êtes arrivé.

-­ Vous avez raison. D’ailleurs, ils ne sont pas restés mes amis longtemps. J’ai toujours bien traité mes lutins. Quand ils ont eu des revendications, je leur ai donné ce qu’ils voulaient. Les autres patrons me disaient que j’étais fou. Mais ensuite ils s’y sont tous mis ! J’ai des principes, avec les employés, humains ou lutins. Et j’ai des principes avec les enfants. Vous m’imaginez, moi ? Délocaliser et licencier à tour de bras ? Je passerais pour quoi ?

Célestine resta songeuse. Le Père Noël était inquiet, mais elle ne voyait pas bien comment l’aider.

­- Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire, Nicolas ?

­- Oui, ma chère. Vous l’avez dit, vous êtes ma plus vieille amie dans la région, celle qui a vu l’histoire de cette firme quasiment depuis le début. Autrement dit, vous en êtes un peu ma mémoire.

­- Je vois… Enfin… je ne vous ai connu que sur les cent-cinquante dernières années.

­- Mais vous étiez là au moment où j’ai pris les décisions cruciales pour l’avenir de cette entreprise. Et vous vous rappelez pourquoi.

­- Oui.

­- Après ce Noël, je prends ma retraite. J’aimerais consacrer mes derniers temps à ma famille, à mes petits enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants. Je suis en train d’organiser ma succession. C’est mon fils aîné, Étienne, qui prendra ma suite.

­- C’est vous qui l’avez choisi ?

­- Oui. Entre autres. Je pense qu’il peut faire l’affaire. Mais je vous avoue que je ne fais pas confiance à Lenoir. Il a une mauvaise influence sur lui. C’est pour ça que j’aimerais qu’Étienne puisse avoir un autre son de cloche quand je ne serai plus là.

Célestine resta songeuse.

­- Je vis à Paris, Nicolas.

­- Je ne vous dis pas de venir vivre ici. Mais j’aimerais que vous vous occupiez de remettre mon gars sur les rails, quand vous sentez qu’il est en train de se perdre.

La fée hocha la tête.

-­ Je ne vous promets rien, Nicolas. Mais je vais y réfléchir.

­- Merci, Célestine. Bon… Maintenant, assez parlé affaires. Si nous préparions les festivités ?

La tradition, au manoir Noël voulait qu’à partir de décembre, tout invité pose une décoration, ou plusieurs, s’il le souhaitait, sur le sapin. Célestine et Églantine se prêtèrent au jeu.

Mais c’est le lendemain, le 24 décembre, que les choses sérieuses commencèrent. Dans le manoir Noël, il y avait bien sûr la très nombreuse famille de Nicolas, mais aussi de nombreux représentants de l’ordre des fées. Car vous l’aurez compris, compte tenu de sa très, très longue vie : le Père Noël était un enchanteur.

La fête fut fastueuse. À l’extérieur, tout était recouvert de neige, et sur la terrasse, tout le monde regarda l’envol d’une armée de Pères Noël, chacun à bord d’un traîneau tiré par des rennes. Églantine, emmitouflée dans le manteau de sa mère, contemplait le spectacle avec délectation.

Le ciel était criblé d’étoiles et ce Noël s’annonçait, comme d’habitude, fabuleux. Puis de retour à l’intérieur, il y eut force canapés, soupe chaude, pains surprise, röstis, dinde. La tablée regroupait quelque soixante convives.

Célestine et sa fille étaient assises à table côte à côte. Chez le Père Noël, il était hors de question que les enfants soient à une autre table que leurs parents. Elle se régalait d’une dinde aux marrons accompagnée de röstis, puis entre deux bouchées, elle dit à sa mère :

­- Tu sais ce qui me rend triste ?

­- Non, ma chérie… quoi ?

­- Quand je reviendrai à l’école, une fois de plus, personne ne va me croire…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bastien Hüe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0