Chapitre 1 : Le Noël du Millénaire

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- Maman ! Quand est-ce qu’on arrive ? demanda la petite Églantine, fébrile.

­- On vient à peine de quitter Paris, ma puce ! s’étonna Célestine.

Églantine soupira. Résignée, elle se tourna vers la fenêtre légèrement embuée et contempla le paysage de givre qui défilait. Le train sortait tout juste de Fontainebleau et le rail se faisait moins touffu, plus rare. À cet endroit-là, c’était surtout une alternance de bois, de champs et de cités pavillonnaires, sans grand intérêt.

Nous étions en 2000, et Noël devait avoir lieu deux jours plus tard. Toute cette scène serait restée banale, si la fillette n’avait posé la question fatidique :

-­ Pourquoi on n’utilise pas la magie pour aller plus vite ?

­- Parce que la magie ne doit pas être utilisée à tort et à travers, ma chérie !

Quelques regards se tournèrent, mais les gens ne firent pas mine d’être plus étonnés que cela. Il faut dire que la magie, sans être connue de tous, n’était pas non plus secrète. La mère et la fille en savaient quelque chose.

En effet, Célestine et Églantine n’étaient pas n’importe quelle maman et n’importe quelle petite fille.

C’étaient des fées, toutes les deux.

Si la fille n’avait que huit ans, la mère, elle, était déjà vieille de plusieurs siècles, bien qu’elle ne semblât pas avoir beaucoup plus de trente ans.

Ce qui avait le plus étonné les voyageurs, c’était moins les conversations autour de la magie, tenues le plus naturellement du monde, que la tenue vestimentaire de la mère et de la fille. Célestine était apprêtée et maquillée. Ses deux yeux bruns, presque noirs, étaient fardés, dans un mélange de rouge et de vert Sur le haut de son crâne, ses longs cheveux cramoisis étaient liés en deux longues couettes qui semblaient faire près d’un mètre de long. Elle portait un béret en tartan à carreaux verts sur fond rouge. Son châle était assorti et recouvrait une robe noire à col Claudine. Aux mains, elle portait plusieurs bagues, toutes d’un rouge sombre. C’était du grenat. Elle portait une paire de boucles d’oreilles assorties, en grenat, elles aussi, ainsi que des bracelets en bois, d’un brun tirant vers le rouge. C’était du palissandre.

Églantine ressemblait beaucoup à sa mère. Le même nez en trompette et les mêmes grands yeux noirs, le même air candide… Mais contrairement à elle, elle n’était pas rousse, mais brune. Comme pour être assortie à sa mère, elle portait une robe en tartan, dans les mêmes coloris que le châle de Célestine. Comme elle aussi était désireuse de se faire belle, sa mère lui avait concédé une touche de maquillage, avec un peu de fard à paupières et des paillettes qui constellaient ses joues rougies par le froid. Et elle aussi portait des boucles d’oreilles en grenat, de simples clous, contrairement aux pendants que portait sa mère.

Les autres passagers voyaient cette mère et cette petite fille d’un œil tantôt agacé, tantôt attendri. En y regardant de plus près, Églantine ne détonnait pas tant que ça avec d’autres enfants de son âge. Noël approchant, tous étaient excités, impatients. Mais ce qui était plus surprenant, c’était que Célestine l’était à peu près autant que sa fille.

À cette époque, il n’y avait pas de TGV-Est, et le trajet pour rejoindre Besançon était assez long. Nous n’épiloguerons donc pas sur ce voyage plutôt ennuyeux.

C’est en gare de Besançon-Viotte que notre histoire commença vraiment. Quand celui-ci fut à quai, Célestine et Églantine, avec une valise chacune pour tout bagage, descendirent du train. Il venait de neiger, mais le quai était quand même dégagé et salé. Toutes deux mirent manteaux et cache-cols pour se protéger du froid. Car en Franche-Comté, celui-ci était plutôt piquant.

La mère regarda sa montre.

­- Ils ne devraient pas tarder, dit-elle.

­- Maman ?

­- Oui, ma puce ?

­- Plusieurs copains de classe se sont moqués de moi quand je leur ai dit que j’allais voir le vrai Père Noël. Ils m’ont dit « À ton âge, tu crois encore au Père Noël ? ».

Célestine s’esclaffa.

­- Bah ! Laisse-les dire, ces nigauds ! Ce qui compte, c’est que toi, tu saches la vérité. Ah ! Je crois que notre comité d’accueil arrive.

Au bout du quai, vêtu de costumes noirs avec nœuds papillon, deux hommes les attendaient.

Deux choses retenaient l’attention. La première, c’était leur visage à la fois poupin et buriné. Malgré des traits juvéniles, ils avaient aussi de la barbe. Ils ne semblaient pas avoir d’âge. L’autre chose qui retenait l’attention, c’était leur petite taille : Célestine, qui mesurait « presque 1,60m », n’était pas très grande, mais ces messieurs étaient plus petits qu’elle.

Avec un sourire jusqu’aux oreilles, ils saluèrent Célestine et sa fille, et les débarrassèrent de leurs bagages. Devant la gare, une Mercedes vert bouteille les attendait. Les deux hommes se mirent à l’avant. Les deux fées, elles, étaient confortablement assises à l’arrière de la spacieuse voiture allemande, sur une banquette en cuir bordeaux.

­- Est-ce que vous avez fait un bon voyage, Mme Célestine ? Mlle Églantine ?

­- Très bien, répondit Célestine.

­- C’était long, nuança sa fille.

Les deux hommes échangèrent un regard amusé.

­- L’année a été chargée, ça va faire du bien de le voir, reprit la mère. Comment va-t-il, d’ailleurs ?

­- Il est fatigué, dit un des deux hommes.

­- Mais il va être heureux de vous voir… toutes les deux ! Ajouta l’autre en tournant le regard vers Églantine.

Légèrement en retrait de la ville, la Mercedes avançait à vive allure, et progressivement, la fée et sa fille entrèrent dans un autre monde. Sur la place du village, on trouvait un bonhomme de neige, des enfants jouant et riant. Çà et là, on trouvait des statues de glace. Et dans la rue, on croisait des Pères Noël. Parfois un autre homme, petit, au visage poupin, comme ceux qui accompagnaient Célestine et Églantine, s’occupait de donner à manger à un renne.

Car il y avait un petit élevage de rennes dans le secteur.

Enfin, la Mercedes entra dans une grande propriété. Cela semblait un manoir, mais une partie de son architecture était en bois, à l’image de ce qu’on pouvait voir dans les maisons vosgiennes. L’endroit était chaleureux. À l’entrée de la propriété, Célestine et sa fille passèrent devant un immense sapin.

­- Wooouuuaaah ! Il est beau !

­- Oui, dit Célestine. On dirait qu’il a encore poussé depuis l’année dernière.

­- Tu crois qu’ils utilisent la magie pour le décorer jusqu’en haut ?

­- À ton avis ? Évidemment ! Ils ne vont pas faire venir une grue.

En effet, le sapin mesurait dans les dix mètres, ce qui ne l’empêchait pas d’être décoré jusqu’au sommet. Or, l’endroit était totalement inaccessible, sauf peut-être pour un hélicoptère.

Quand la voiture arriva devant la maison, on les fit entrer, puis on les débarrassa de leurs bagages de leurs manteaux. Célestine et sa fille restèrent seules un temps, dans le hall, en attendant qu’on vînt les chercher.

C’était suffisant pour profiter de la décoration. Églantine, contemplant les lieux, observa les oiseaux suspendus au plafond, dont les ailes battaient au moindre courant d’air. Au pied de l’escalier, sillonnant différentes pièces, un train électrique circulait. Dans celui-ci, on trouvait, en guise de wagons, des banettes dans lesquelles étaient posés des papiers en tous genres, et parfois, un petit colis.

À la grande surprise d’Églantine, sur un des deux trains un wagon se détacha. Le train poursuivit sa route sur un autre tronçon, tandis que le petit wagon poursuivait une autre voie à partir de l’aiguillage. Églantine s’installa devant le butoir, avec un enthousiasme non dissimulé.

Elle détailla le colis dans la voiture et vit l’étiquette Célestine et Églantine. Comme de juste, le colis était emballé comme un paquet cadeau. La petite fille resta interdite.

­- Je peux le déballer ? Ou je dois attendre Noël ?

­- À mon avis, s’il l’envoie maintenant, c’est pour déballer tout de suite.

La petite fille ouvrit le paquet. Il était plus lourd qu’il n’y paraissait. Il était rempli de friandises diverses : des clémentines, des nougats blancs, du pain d’épices, du chocolat… Il y avait une petite carte. Célestine la lut :

Je me réjouis de vous accueillir, mes chères amies. Allez donc vous installer dans le salon pendant mon rendez-vous, je vous rejoindrai après. Les jouets sur place sont à la disposition d’Églantine, si elle s’ennuie. Veillez juste à ce qu’elle ne touche pas à l’automate sur le buffet. Je suis en train de le réparer.

À tout de suite.

Nicolas

Installées dans le salon, elles trouvèrent de quoi s’occuper. Églantine, qui était une petite fille astucieuse, assimila rapidement les règles des échecs grâce au plateau disposé sur la table. Un autre petit train vint leur livrer un plateau sur lequel se trouvaient une théière fumante et trois tasses, ainsi qu’un petit sucrier et un pot à lait. Le message était plutôt clair : Nicolas Noël n’allait pas tarder.

Dont acte. Un pas incertain se dirigea vers le salon. C’était un pas lourd, ponctués de poc, poc, poc. L’homme marchait avec une canne. Célestine reconnut cette démarche, et Églantine, de plus en plus agitée, se tourna vers la porte du salon.

Celle-ci s’ouvrit sur un vieil homme, qui semblait avoir dans les quatre-vingts ans (mais qui en avait infiniment plus, comme nous le découvrirons). Ses cheveux étaient parfaitement blancs, et une longue barbe de la même couleur ornait son visage. Derrière ses lunettes carrées, on pouvait apercevoir deux yeux bleus malicieux. Avec son gilet rouge brodé et son nœud papillon, il avait l’air d’un patron d’industrie du XIXe siècle.

Et c’en était un, comme nous allons le voir. Célestine eut un sourire dans lequel une profonde joie s’exprimait. Églantine, elle, débordait. Sans plus attendre, elle cria : « Père Noël ! »

Puis elle se jeta dans les bras du vieil homme.

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