suite 2

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Prof rappelait à son amie les horreurs provoquées par Adélard, le père qu'elle avait tant aimé et admiré : « Ta vie sera plus sereine Blanche, tu ne seras plus sur le qui-vive. Rappelle-toi les stratagèmes mis en place par ton père : organiser le rapt de ton fils aîné, faire bruler les champs de maïs et les récolte de foins pour provoquer une disette sur le royaume de Gontran. Ses sujets le craignaient, il est devenu son propre ennemi et l’ennemi de tous en cherchant à t’atteindre.

- Dire que c’était la bonté même avant qu’il ne soit sous l’emprise de cette folle ! Il m’a tenu pour responsable de la mort de ma belle-mère, alors que c’est elle qui ne supportait pas mon bonheur nouveau… et si éphémère. Comme si son fondement reposait sur la beauté. »

Blanche Neige soupirait. Toute cette succession de malheurs subis à cause de cette belle-mère et d’un père sous le charme de cette sorcière !

Malgré les petits soins de son mari, prévenant et à l’écoute du moindre de ses vœux, même les plus insignifiants infimes, la jeune femme s’était recluse au lendemain de leur mariage dans une mélancolie que seule la visite d’un de leurs mis les nains parvenaient à atténuer. Elle dépérissait au fil des jours et des années et ses proches impuissants s’alarmaient de sa grâce naturelle qui se flétrissait à vue d’œil ; les méandres de son moral se répercutaient indéniablement sur son état physique : L’amour et l’affection de son père lui manquaient, l’harmonie de jadis qui existait entre eux était anéantie. Blanche ne parvenait pas à faire son deuil de cette déraison subite ressentie comme une injustice. Et le corps, comme chez beaucoup d’humain refléte l’âme et l’esprit qui le conduit ; or, avec son moral en berne, sa beauté s’altérait en même temps que sa foi dans le bonheur ; seul son cœur indemne et pur avait épargné sa bonté et l’amour pour son époux, ses enfants et ses amis.

Son entrain réduit à néant de jour en jour la confinait dans son château où aucun prétexte ne la stimulait pour en sortir ou à en s’éloigner. Ses seuls amis, les nains lui garantissaient un semblant de  vie sociale, en prenant soin de se relayer auprès d’elle pour lui assurer une compagnie quand Gontran devait s’absenter trop longtemps, absences qui se répétaient souvent, et se prolongeaient de plus en plus.

Les premières années, ses maternités successives avaient réussie à égayer Blanche Neige et lui ont permis de supporter les menaces de son père, mais les enfants grandissant, sa joie s’est peu à peu émoussée. Les enfants devaient assister impuissants au spectacle régulier de crises de larmes inexpliquées d’une Blanche Neige déprimée, insensible à l’efficacité des psychotropes prescrits. Afin les protéger de ces scènes éprouvantes pour des petits en si bas âge, Gontran a décidé de confier leur éducation à son cousin dans une contrée voisine. Cette solution bénéfique pour les enfants, fut tragique pour leur mère convaincue d’être une mauvaise mère et qui redoubla alors de séances auprès de psychologues et tripla la dose de ses traitements.

En parallèle durant ces vingt ans d’épreuve, sa splendeur ravageuse d’antan s’était ternie pour laisser place à une beauté fade, puis anodine pour ne la transformer en personne disgracieuse. Sa dégradation physique, marquée de manière quotidienne, atteignit une telle laideur qu’honteuse, elle se permettait plus de sortir sans un foulard sur la tête, ramener sur le visage afin de le dissimuler lorsqu’elle rencontrait des connaissances à saluer. Et même si la perfection de l’esthétisme de son apparence n’entrait pas dans la catégorie de ses priorités, son miroir l’alarmait et la mortifiait quand par hasard, ou par contrainte elle passait à ses côtés :

 « La plus laide est… disait le miroir dès qu’elle s’en approchait.

- Non tais-toi affreux miroir, je ne veux pas le savoir… implorait Blanche Neige.

- Désolée, blanche Neige, je suis programmé pour établir un ordre dans la beauté ou la laideur, à cette heure, je dois t’informer que tu n’es pas la plus laide, Blanche Neige. La vieille rebouteuse qui habite dans la grotte du Clair-Obscur est aujourd’hui la plus laide du royaume. »

Ces phrases lui laissaient un goût amer à la pensée que l’origine du visage de l’horreur qu’elle exhibait malgré elle, était une faute paternelle. Le chagrin a certes, usé sa beauté, mais la cruauté de son père avait aussi accéléré le processus : celui-ci, si obsédé d’exécuter les vœux de feue son épouse a établi un ignoble stratagème. Il avait dû ruser pour parvenir à son but en utilisant la crédulité d’une pauvre servante nouvellement embauchée et ignorante de la dangerosité potentielle du vieil homme :

- Marie, lui avait-il dit sous forme d’une confidence assortie d’un sourire angélique, cette potion est le fruit d’une recette secrète transmise de génération en génération. Il lui tend alors un petit flacon rose en verre soufflé. Ce sérum garantit jeunesse et pureté, et si vous me rendez le service de le remettre à la fille, je vous en donnerai une fiole également : Subtilisez-la à la crème hydratante que ma chère fille utilise quotidiennement. Votre maitresse gardera ainsi sa beauté légendaire. Attention, prévient le vieil homme, pour garantir le résultat escompté, la personne qui l’utilise doit en ignorer ses vertus, donc faite en sorte de lui en faire la surprise. Vous la mettrez dans une joie sans pareil quand elle apprendra votre initiative. Marie était séduite par cette crème qui garantissait jeunesse et beauté, elle en avait entendu parler… »

Marie, la jeune servante dévouée s’exécuta avec une application consciencieuse, elle échangea le soir même les deux flacons à l’insu de Blanche Neige. Elle avait les joues rosies de son geste preste et du succès de l’opération délicate. Elle alla se coucher satisfaite de la joie qu’elle procurerait le lendemain matin et se réjouissait déjà de la récompense promise car nubile mais sans prétendant en vue, elle rêvait de conserver sa fraicheur.

Le lendemain matin, elle attendait impatiente derrière la porte de la salle d’eau, pour pouvoir enfin révéler la jolie surprise à Blanche Neige qui sans aucun doute saurait la remercier à sa hauteur, de ce qu’elle avait réussi à faire : lui remettre un antidote à la vieillesse. Un cri strident retentit derrière la porte. Glacée par le hurlement, Marie s’immobilisa les yeux grands ouverts. Et quand des pleurs mêlés à des geignements suivirent, elle ouvrit doucement la porte. Adrienne la plus ancienne et respectée des servantes, alertée par les cris arriva au même instant dans la salle d’eau. A leur tour, elles ne purent réprimer un hurlement devant le spectacle qui s’offrait à elles : l’épiderme du visage de Blanche Neige avait changé de couleur. Tous ses pores saignaient sans discontinuer pendant plusieurs minutes. Marie et Adrienne épongeaient avec tous les textiles qu’elles avaient sous la main allant jusqu’à se servir de leur tablier et de leurs propres vêtements qu’elles portaient. La douleur ne laissait pas une minute de répit à la pauvre femme qui ne cessait de pleurer, hurler ou gémir… la perte de sang l’avait physiquement affaiblie, et la prééminence du rouge à outrance l’avait traumatisée. La scène d’effluves de sang dura toute la journée malgré le médecin sollicité. À l’arrivée de Gontran, les appartements du couple étaient dans la nécessité d’être restaurés dans leur totalité car les tapisseries avaient été maculées de taches carmin virant au marron violacé.

 Quand le sang avait fini de perler, le teint laiteux mais néanmoins lumineux de Blanche Neige qui avait fait la renommée de sa beauté par-delà le royaume paternel et celui de son époux était substitué par des croûtes disgracieuses qui laissèrent des cicatrices sur son visage ravagé. On aurait dit qu’elle exhibait un masque digne d’une fête d’Halloween… Sauf que cette journée unique dans l’année se reproduisait quotidiennement pour elle. Des crevasses irrégulières sillonnaient ses joues et son front ; des purulentes pustules colorées parsemaient les abords de son menton, de ses lèvres ; ses yeux demeurés intacts et brillants d’intelligence ne compensaient pas la laideur affichée. L’horreur du résultat provoqua le renvoi de la pauvre servante imprudente, expulsée sur-le-champ du royaume mais elle s’estimait heureuse en échappant à la geôle de justesse après une plaidoirie grandiose de son avocate, une femme hideuse qui sut à force d’arguments exposer une vie réussie sans l’aide d’un physique facile. Les juges avaient alors suivi son raisonnement en refusant de devenir les promoteurs d’une société dont les fondations reposent sur l’esthétisme.

Suite à ce forfait, Blanche Neige devait vivre recluse en attendant de cicatriser et peu encline à effrayer les enfants ou se faire remarquer. Les seules sorties qu’elle se permettait se réduisaient à parcourir à vive allure les quelques lieues pour se rendre chez Prof. Gontran, lui, bien que mari toujours aimant commençât à perdre patience du sort qui s’acharnait sur sa femme, et sa présence au château devenait rare puis bientôt exceptionnelle. Voir sa femme dans cet état de déchéance était au-delà de ses forces.

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