UN ETRE INATTENDU

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Londres, ambassade d’Idrias

L’ambassade semblait morne à notre arrivée. Les lourds rideaux des vitres avaient été tirés et offraient, à la bâtisse, un air lugubre, presque abandonné. Cependant, un filet de lumière chatoyant filtrait à travers l’épaisseur du tissu, dans la chambre que j’occupais pendant mon exil.

D’un signe de doigts furtif, j'indiquais à mes hommes de se mettre en place. Nos mains posées sur la garde de nos armes, on descendait des SUV noirs et se dirigeait discrètement vers les doubles portes de l’entrée.

Ezio, poignard au poing, entrait le premier. Je suivis avec le reste des troupes derrière-moi. Aucun son ne ressortait des murs, juste le vent qui s’engouffrait par la porte encore ouverte. L’ouïe fine, nous marchions en rythme, pour faire le moins de bruit possible, vers la chambre.

À l’approche, une odeur répugnante titilla nos narines. Je levais le bras pour stopper mes hommes. Immobile, nous écoutions, une respiration saccadée et des haut-le-cœur nous parvenaient.

Je m’approchais et ouvrit le battant aussi doucement que possible, la porte grinça aux trois quarts de l’ouverture. Je sentis la personne à l’intérieur sursauter et essayer de se relever mais en vain. Son corps produit un bruit sourd en retombant sur les dalles de marbre de la salle de bain. J’entrai alors, une odeur de rose se mélangea à celle de la sueur et de la vomissure.

« Elizabeth ? »

Je prononçais son prénom d’une voix douce et ténue, bien que, je ne m’attendais pas à ce qu’elle veuille me revoir après la nuit de mon départ.

« Freya… Aide-moi… »

Je me précipitais dans sa direction en attendant son filet de voix où un désespoir sans nom avait transparu. Je la retrouvais adossée contre les toilettes, la tête penchée au-dessus. Elle avait toujours eu un corps frêle mais en bonne santé. Hors, à ce moment-là, on aurait pensé qu’elle souffrait d’anorexie. Ses joues étaient creusées et ses bras étaient menus que même un animal sauvage n’en aurait pas voulu. On ne distinguait plus la cuisse du mollet, et des cernes, enfin des poches, se dessinaient sur son visage autrefois chaleureux.

« Ezio et Dimitri, pas besoin de la chercher, elle est là, dis-je d’une voix normale suffisante pour qu’ils l’entendent. Quadriller la zone et allez me chercher du linge propre. »

J’entendais leurs pas s’éloigner. J’en profitais pour m’approcher d’Elizabeth, complètement désemparée.

« Elizabeth ? Puis-je m’approcher ? demandais-je d’une voix des plus calmes. »

Elle n’avait même pas la force de me répondre, elle me fit un hochement de tête infime en réponse. J’approchais donc d’elle, et la pris pour la porter jusque dans la baignoire. Je fis couler de l’eau tiède et passais un bras sous sa nuque pour ne pas qu’elle se noie sous le manque de force évident.

Elle se laissa faire pendant que je la lavais entièrement, l’eau emportant toute trace de transpiration et de vomis. Je donnais les bouts de tissus qui servaient de vêtements à un Ashes pour qu’il les brule. Je frottais consciencieusement et avec douceur son corps. Je sentais que les os sous sa peau à l’exception de son ventre. Le ventre, déjà arrondit, laissait prévoir une complication substantielle pour la suite.

« Dimitri, ramène-moi Ezio, lui dis-je alors qu’il revenait avec des vêtements. »

Je pris une serviette chauffée sur le chauffe-serviette prévu à cet effet. J’entourais Elizabeth dedans et la portais jusqu’à mon lit, je remontais les couvertures et l’installais dedans. La couette remontée jusqu’au menton, elle s’endormit comme un loir.

Ezio arriva en trombe dans la pièce, légèrement essoufflé. Il demandait ce qui n’allait pas. Je m’avançais à sa hauteur pour que lui seul entende.

« Nous allons devoir trouver une solution, il nous faut au moins quatre mois de sursis avant le mariage. »

Il allait me demander la raison quand il fit vite la lumière en répétant ses paroles.

« La Lune de Sang a altéré son organisme ?

– Pire, cela a créé un dhampir. Je ne savais même pas qu’un sang pur en était capable.

– Elle est enceinte ! cria-t-il incrédule. »

Je lui ordonnais de baisser d’un ton.

« Il va falloir trouver une solution, tant pour le mariage que pour elle. Il est évident que son organisme ne supporte pas l’embryon. Il faudrait trouver un moyen de l’alimenter au plus vite, expliqua-t-il d’une voix plus mesurée.

– Alors il faut qu’on rentre au plus vite !

– Je ne suis pas sûr que cela suffise, Altesse. Elle est trop faible pour voyager. Et si l’Alpha l’apprend elle ne s’en sortira pas en vie.

– Je sais bien cela, mais je ne vais pas la laisser mourir alors que j’ai provoqué cet état. »

Je posais ma main sous mon menton et réfléchissais à une solution en approchant d’elle. Sachant, que c’est ma morsure qui avait provoqué son état, peut-être qu’une nouvelle morsure inverserait les conséquences. J’en fis part à Ezio qui me répondit bien vite que n’étant plus sous l’effet de la lune rouge, ce serait plus qu’une simple morsure.

« On va essayer de l’alimenter par perfusion en attendant de trouver une idée, reprit-il. »

J’acquiesçais et m’installais au chevet d’Elizabeth. Ezio me laissait à mes pensées secrètes.

Le compte-goutte de la perfusion plantée dans le bras d’Elizabeth cassait le silence pesant de la chambre. Peu de temps après la pose de la transfusion, alors que l’horizon brillait des dernières lueurs du crépuscule, Elizabeth s’était éveillée d’un coup. Je n’avais eu le temps que de rapprocher un bol devant sa bouche qu’elle cracha bile et acide citrique. Elle s’était réveillée encore plusieurs fois pour vider entièrement son estomac. Le liquide brunâtre de la perfusion avait à peine le temps de pénétrer dans son organisme qu’il ressortait d’une façon ou d’une autre, laissant son corps plus affaibli encore. La nuit avait été horrible pour elle comme pour moi. Nous dormions entrecoupé par ses crises, bien que celles-ci furent bien plus terrible pour elle. Je ne savais depuis combien de temps elle était retournée à notre ambassade mais de toute évidence ce ne fut pas une partie de plaisir.

L’aube teintait de rouge le ciel matinal quand les crises d’Elizabeth s’estompaient légèrement. Je la laissais se reposer pendant que j’informais mes hommes de la grossesse de l’humaine. Ils furent aussi surprit par ce phénomène rare. Mes hommes furent chargés d’appeler tous les savants d’Idrias, pour rechercher la solution miracle. Le ciel était à l’humeur de tous, triste et orageux.

Après les supplications incessantes d’Ezio, le chef de mission, je contactais leurs Majestés pour leur expliquer la situation. Je m’attendais à recevoir un serment mémorable, ou bien un ordre d’exécution. Au lieu de cela, ils me promirent de gagner du temps auprès du mâle Alpha ennemi. En échange, je devais m’assurer que notre existence resterait secrète aussi longtemps qu’Elizabeth vivrait.

Les savants d’Idrias étaient démunis face à la question. Cependant, la solution vint de mon amant, un soir alors que je me nourrissais à ses veines. Après avoir échangé une étreinte enfiévrée, il me chuchota une idée au creux de l’oreille alors qu’on reprenait notre souffle dans le calme exigu de sa chambre : « Peut-être que ton sang pur stabiliserait son état. Après tout, ton sang contient des phénomènes de pouvoirs inexpliqués. »

Je retournais donc ce soir-là auprès d’Elizabeth qui occupait toujours mon lit. Elle ne semblait pas avoir repris de poids.

Je m’approchais d’elle, elle dormait sur le côté me tournant le dos. Je chuchotais doucement près de son oreille et lui donnais des à-coups sur son épaule pour la réveiller. Elle émergea doucement du sommeil et remonta sur les oreillers.

« Elizabeth, je sais que tu es malade et j’ai un remède pour t’aider. Tu vas me laisser faire, ma puce ? lui demandais-je doucement. »

Elle ne me répondit pas avec des mots, elle était encore trop dans le cirage pour cela. Je m’installais à ses côtés sur le bord du lit et présentais mon bras. Mes canines habituellement enfuient, s’allongèrent laissant paraître leur tranchant. Elizabeth eut un mouvement de recul.

« Du calme, Eli, je ne vais rien te faire. Au contraire, je vais t’aider. »

J’enfonçai mes canines dans mon propre poignet et aspira plusieurs gorgées de sang dans ma bouche. Puis, je me retournai vers Elizabeth qui était restée immobile me fixant d’un regard perçant. J’approchai ma main et lui caressai doucement la joue, je savais qu’elle ne résisterait pas à mes avances. Je savais aussi depuis un moment qu’elle éprouvait bien plus que de l’admiration pour moi.

Elle se détendit à mon contact et ferma les yeux. J’approchais alors mes lèvres des siennes. Je les lui effleurais d’abord doucement, puis appuyais un peu plus durement. Elle les entrouvrit me laissant une entrée suffisante. Je collais ma bouche sur la sienne et lui déversais mon sang. Elle voulut d’abord échapper à ma prise. Mais je la maintenais fermement à la nuque d’une main et de l’autre, à l’épaule. Je jouais avec sa langue pour lui faire avaler les gorgées de sang. Elle finit par s'y résigner, voulant sûrement échapper au goût cuivré du sang.

Je la relâchais enfin et lui tendis un verre d’eau pour faire passer la saveur amère.

« Pourquoi tu m’as forcé à boire ton sang ? demanda-t-elle désemparée.

– Mon sang devrait améliorer ton état, tu ne doutes sûrement pas que je suis loin d’être comme toi.

– Tu m’as mordu y a un mois…

– Oui, je ne suis pas humaine, Eli. Et je ne vis pas dans la principauté de Monaco.

– Tu es quoi ? Tu viens d’où et pourquoi je suis comme ça ?

– Je suis un vampire, Eli, de sang pur. Ma patrie est Idrias, le royaume des vampires. Mais, je ne suis pas n’importe qui. Je fais partie de la royauté de mon pays, je suis la princesse héritière. Mon vrai prénom est Freya Évangeline Lilith d’Idrias. En ce moment, ce sont mes parents qui règnent. »

Je repris mon souffle pour laisser doucement Elizabeth comprendre la réalité de mes paroles. Toutes ses croyances étaient d’un coup ébranlé. Je continuais ensuite sur l’état alarmant de sa santé :

« Quand je t’ai mordu, la Lune rouge apparaissait dans le ciel. Pour les créatures surnaturelles, ce phénomène est synonyme de transformations. La salive contenue dans mes crocs a affecté ton propre métabolisme. Au lieu de te transformer en Dhampir un nouvel être a été créé. Une parthénogenèse a fécondé ton ovule. Tu ne supportes pas l’embryon dhampir qui est en toi. Dans quatre mois tu auras accouché mais pour cela tu devras boire régulièrement mon sang pour ta propre survie. »

Elizabeth fut pendue à mes lèvres pendant toute la durée de mon récit. Elle hochait la tête de temps à temps. Ses joues avaient repris des couleurs, et les creux que formait sa peau se comblaient à vue d’œil. Quand je me tue, un flot de question lui échappa.

Je pris la patience nécessaire de lui répondre. Je lui expliquais que mon sang pur signifiait qu’il ne contenait génétiquement aucune goutte de sang humain dans mon ADN. En ce qui concernait mon apparence physique, mon corps avait arrêté de se flétrir vingt-sept ans après ma naissance.

Elle posa une question beaucoup plus personnelle sur ma propre capacité d’avoir moi-même des enfants. Je lui racontais que la vie d’un sang-pur, membre de la famille royale, était doté d’un seul descendant.

« J’ai une dernière question, me dit-elle.

– Oui, je t’écoute, m’exprimais-je en me rapprochant d’elle.

– Pourquoi, j’ai ressenti du plaisir quand tu m’as pris du sang ?

– Le mordu ressent du plaisir à cause des hormones de plaisir que sécrète ma salive pour que ma victime ne m’échappe pas. »

Elle soupesa mes paroles, les yeux dans le vide.

« Tu devrais te reposer, tu as beaucoup appris aujourd’hui. Tes nausées devraient s’estomper et tu vas pouvoir remanger normalement. Dès que tu auras repris des forces, nous retournerons à Idrias.

– Je dois venir ?

– Oui, je ne peux pas te laisser dans cet état. J’ai des responsabilités à prendre. Je discuterais avec mes parents de ce qu’on fera de toi et du bébé… »

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