L’APPROBATION D’UNE DEESSE

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Idrias, pays des vampires, autour de la statue de la déesse

Les lumières des lampions dansaient au rythme de la brise légère qui caressait nos peaux, les étoiles scintillaient de mille feux et les flammes dansantes du bûcher réchauffaient nos corps glacials qui nous caractérisaient.

Les notes d’une chanson lointaine me parvenaient, que seule moi entendais. Cette musique, qui pouvait balayer toute tristesse et réchauffer n’importe quel cœur, me venait d’un royaume bien plus lointain que le nôtre, isolé de toute vie sur terre : l’orchestre de Lilith s’apprêtait à jouer pour nous.

En entendant, mes compagnons, petits ou grands, couchaient sur le papier leurs vœux et les jetaient dans les flammes rougeoyantes du bûcher, qui les élèverait jusqu’à notre déesse. Elizabeth, en fit de même, appuyée contre moi, elle prit sa plus jolie écriture, toute en boucle et en grâce, pour transmettre ses désirs les plus intimes.

Elle me tendit un papier légèrement bleuté, et une plume. Je m’appuyais contre la table en bois devant nous, où nous venions de savourer un magnifique buffet sans distinction de rang. Je trempais la pointe dans l’encre plus noire que la nuit et, comme chaque année, j’inscrivis mon vœu le plus cher : de voir les vœux de tous mes sujets se réaliser.

Je me levais entrainant Elizabeth qui s’était installée sur mes genoux. Je lui pris sa main et la dirigeais vers les flammes mouvantes, bien accrochée à son petit mot. Je tendis la main, elle en fit de même et on lâcha nos souhaits au même instant qui se consumèrent rapidement. Elizabeth s’appuya contre moi en regardant les restes cendreux qui voletaient de nos papiers. Elle semblait perdue dans ses pensées que je ne pouvais pas atteindre.

« Eli ? »

Elle ne me répondit pas.

« Eli ? »

Elle tourna lentement la tête vers moi et me souris.

« Tu es sûr que ça va ? Tu veux peut-être t’asseoir ?

– Non c’est bon, je suis désolée. J’étais perdue dans mes pensées.

– Je vois ça, ma belle. Qu’est-ce qui te tracasse ?

– Ils m’ont tellement bien accueillit que j’ai peur que ce soit faux.

– Tu n’as rien à craindre de cela, chérie. »

Je passais mes bras autour de ses épaules et la serrais contre mon cœur. Je lui déposais un baiser au sommet de son crâne et je la berçais au rythme du feu dansant. Nous sommes restées comme cela un petit moment, dans notre petite bulle de bonheur.

« Tu devrais aller t’asseoir, le rituel va bientôt commencer.

– Tu as raison, j’ai des tiraillements au ventre. Je t’aime, me dit-elle en m’embrassant.

– Je t’aime aussi. »

Elle se retourna et pris place auprès de mes parents, Orisha à ses pieds, alors que j’avançais près du bucher.

Toutes les voix s’étaient tût à mon approche vers les flammes. Les oracles du temple de Lilith, déjà habillé de blanc s’avancèrent à mes côtés et vinrent délacer le corset de ma robe rouge et or qui glissa le long de mes bras découvrant mon corps nu sans aucune imperfection et d’une peau lumineuse.

Les oracles me firent passer ensuite une robe légèrement jaune rappelant l’intensité de la lune de style gréco-romaine. Une légère traine s’étalait à mes pieds.

Puis, j’indiquais à chacune des jeunes oracles de prendre une bougie aux couleurs de la lune dont le symbole de Lilith était incrusté dans la cire. Ces bougies n’étaient pas là que pour la forme, mais pour l’invocation que je m’apprêtais à faire, il me fallait toute la force que je pouvais obtenir.

Au moment où les bougies s’allumèrent, une légère musique s’éleva dans les airs. Prenant les pans de ma robe, je me concentrais et commençais à virevolter aux rythmes des notes limpides. Mes mains dessinaient des gestes gracieux accompagnant chacun de mes pas légers. Ma voix s’éleva au-dessus de tous les autres bruits, mettant des paroles sur les notes lointaines jouées à la lyre. Ce rythme imposé par l’orchestre de Lilith que seule moi entendais jusqu’à présent, fut révélé à mes congénères.

Au milieu de mes pas s’enchainant, je sortis un poignard dont la poignée était fait d’os et incrustée de pierreries. Je m’entaillais d’un geste vif et précis le poignet d’où l’hémoglobine s’échappa par flot.

J’entendis au même moment un petit cri effrayé. Il me parvenait sûrement d’Elizabeth qui n’avait jamais vu de rituel lilithien. Le sang fut projeté tout autour de moi et des oracles pendant ma danse, tachant au passage nos robes pures.

Chaque oracle fut lié à Lilith par les bougies qu’elle tenait. Je puisais dans leur énergie vitale pour créer la passerelle entre nos deux mondes. Je la sentais déjà impatiente.

Je pouvais entendre une mouche volée, aucun son autre que ma voix et la lyre se firent entendre, emportant tout le monde dans une rythmique douce et féérique.

D’un coup, les flammes du brasier s’écartèrent et une silhouette bien distincte apparut en son centre. Les traits de Lilith se dessinaient et on pouvait apercevoir le croissant de lune peint à l’encre de chine sur son front. Ses longs cheveux bouclés argentés aux reflets lunaires flottaient autour d’elle, appuyant le regard d’un rouge chatoyant inexistant sur terre.

Mon cœur et mon esprit s’apaisèrent d’un même coup, sous la chaleur de son sourire. Et je savais que tout le monde autour de moi ressentait cet effet.

Elle ouvrit grand les bras et d’un coup l’assistance esquissa une révérence. Je me rapprochais de Lilith, tout sourire, et lui offrit mon bras ensanglanté. Elle passa le sien légèrement translucide sur mon entaille et je sentis comme un baiser froid sur ma peau. Tout le sang, et la blessure avec, disparus.

Cette offrande marqua plus nettement les traits de notre déesse. Je fus prise d’un léger vertige en reculant pour m’incliner devant Lilith.

« Va donc te nourrir mon enfant, me dit-elle posément, d’une voix cristalline. »

Je me relevais doucement alors que Dimitri s’était matérialisé à mes côtés. Il tendit son poignet et je mordis prestement dedans, tout à coup affamée. Je pris plusieurs longues gorgées avant de relâcher mon étreinte. Dimitri se replaça dans la foule comme si de rien n’était.

Elizabeth parvint à mes côtés lorsque je m’essuyais la bouche du sang qui restait.

« Tu es sûre que ça va ? me questionna-t-elle.

– Ne t’inquiète pas Eli, j’ai l’habitude. Voilà pourquoi j’ai Dimitri comme source rapprochée. »

Lilith qui avait salué ses enfants, se retourna vers nous et posa une question simple à Elizabeth :

« Te plais-tu parmi nous, jeune humaine ? »

Elizabeth s’immobilisa à sa mention, ne sachant pas quoi répondre. Je lui donnais un léger coup de coude pour lui signifier qu’elle manquait de respect à une déesse en ne répondant pas et plaçais ma main sur ses reins pour l’encourager. Elle se reprit rapidement et lui répondis :

« Oui énormément, Lilith.

– Très bien. Mes chers enfants, reprit-elle, votre prophétesse m’a invoqué pour votre bon plaisir et partager cette soirée ensemble. Alors je vous souhaite de bons divertissements. »

Elle leva les bras bien haut devant elle, une musique sombre s’éleva dans les airs, bien haut et fort, accompagnée de son orchestre, serpentant autour de chacun. Un flot d’ombre l’accompagna bientôt.

Chacun représentait un ancêtre perdu, vivant auprès de la déesse dans son jardin des mille et une nuits, rejoignant leur famille encore en vie. Chacun autorisé à revoir les siens disparus grâce au pont que j’avais ouvert. Ce pont qui relierait nos deux mondes pendant quelques instants.

Je sentis Elizabeth s’agripper à ma main, alors que des âmes s’avançaient vers moi. Je distinguais les visages de mes ancêtres, floutées et irréelles. Mais, une joie m’envahit à leur approche. Je sentis Elizabeth me lâcher et reculer comme pour nous laisser en famille. Mes parents me rejoignirent pour saluer leurs prédécesseurs.

Quand j’eus salué comme il se doit mes grands-parents, arrières grands-parents et ceux jusqu’à plusieurs générations, je partis en quête de ma femelle humaine. Je la retrouvais assise au bord de mon trône, en retrait de tout le monde. Orisha rôdait autour d’elle pour la protéger de toute menace. À mon approche, la panthère posa son museau tout poilu sur le ventre rond d’Elizabeth.

« Pourquoi restes-tu en arrière, Eli ?

– Je… Je ne voulais pas déranger. Tout le monde semble attaché à ce moment particulier, avec vos morts, me répondit-elle avec une certaine hésitation.

– Tu n’as rien à craindre de cela, mes ancêtres t’ont accepté dans la famille. Tu aurais pu rester auprès de la déesse au lieu de t’exiler.

– Je ne me sens pas aussi proche d’elle que vous. Je ne suis pas un vampire après tout.

– Et tu ne le seras jamais malheureusement, le vampirisme est un virus qui ne se transmet que par génétique. Ce n’est pas comparable aux fables que vos auteurs écrivent. Et nous n’avons pas non plus de Comte Dracula comme ancêtre, sinon pour sûre je te l’aurais présenté. »

J’étais parvenu à lui arracher un sourire, certes un minuscule sourire, mais un sourire quand même.

Je lui tendis une main en lui montrant les gens derrière-moi d’un signe de tête. Elle l’a pris hésitante, mais me suivit tout de même auprès de Lilith.

« La voici, Lilith, m’exclamais-je.

– Oh magnifique ! J’ai suivi ton parcours avec intérêt jeune humaine ! s’extasia, d’une voix envoutante, notre déesse.

– Me… Merci, déesse.

– Oh ce n’est rien, dit-elle en agitant ses doigts translucides, je tenais personnellement à te remercier. »

Elizabeth n’eut pas le temps de demander quoi que ce soit, la déesse s’était penchée pour lui embrasser le front. Ce geste marquait l’acceptation finale qu’Eli souhaitait ardemment depuis son arrivée parmi nous. Elle tressaillit légèrement au contact des lèvres vaporeuses de Lilith, mais ne bougea pas, se laissant recevoir ce merveilleux cadeau.

« Sache, jeune humaine, que j’accueille toutes les âmes de mes enfants foulant cette terre bénite dans mon jardin éternel. Toi qui m’a fait honneur en portant cette rose (elle désigna sa couronne de fleur de Lilith), je t’accorde en échange de revoir l’être que tu gardes au fond de ton cœur. »

Lilith ouvrit ses bras devant Elizabeth, et une âme penaude approcha, effrayée.

Je ne savais pas qui c’était, mais Eli semblait l’avoir reconnu au premier coup d’œil. Des larmes chaudes et scintillantes coulaient sur ses joues de porcelaine à présent.

« Merci, Lilith. C’est plus que je pouvais espérer. »

Elle se jeta sur la silhouette vaporeuse qui eut juste le temps de la rattraper dans ses bras.

« El ? Ma fille ? Comment je peux te voir ? Je suis mort il y a si longtemps…

– Je… Tu n’as pas besoin de le savoir, l’essentiel c’est qu’on soit réuni. Même pour un court instant.

– J’ai tellement de chose à te dire. Des choses que je n’ai pas pu te dire avant de mourir. »

Je m’éloignais légèrement pour leur laisser l’intimité nécessaire à leur retrouvaille en famille. Je remerciais chaudement Lilith pour son geste, qui me retourna un clin d’œil en souriant.

« Trouves ta voie Freya, ma fille, et tu seras la plus heureuse de toute, me dit-elle mystérieusement. »

Je la remerciai encore avant qu’elle ne disparaisse, emportant toutes les âmes pâles dans son sillage. Un rayon de lune les transpercèrent, puis le bucher repris sa fonction originelle, brulant d’une flamme plus ardente encore teintée de bleu.

Je repris ma place auprès d’Eli qui pleurait toujours, les mains encore tendues vers son père qui avait fini par disparaitre également.

Je passais un bras rassurant autour de ses épaules et la serra contre mon cœur. Mes battements calmes et réguliers apaisèrent la respiration sifflante d’Elizabeth. Elle pleura toutes les larmes de son corps frêle et menu, trempant au passage ma robe blanche mouchetée de sang. On resta ainsi de longues minutes, je la berçais tendrement jusqu’à qu’elle ait expulsé toute tristesse.

Elle releva son visage bouffis aux yeux rouges et gonflés. Elle était à croquer même dans cet état.

« Ma chérie, ça va mieux ? »

Elle hocha plusieurs fois de la tête comme une enfant, je riais de son comportement. Elle essaya de me punir en me frappant de ses petits poings.

« Tu pourras désormais te recueillir au temple de Lilith pour parler à ton père. Tes paroles lui parviendront toujours, tant que tu fais une offrande.

– Faut que ce soit forcément du sang ? me demanda-t-elle, un peu dégoutée.

– Non ! Cela peut être tout et n’importe quoi, tant que ça a de la valeur à tes yeux. Mon sang, repris-je, il n’y a que moi qui peut invoquer physiquement la déesse et mon sang en est la clé. »

Elle acquiesça en signe d’assentiment.

Les festivités continuèrent jusqu’au petit matin. Cependant, Elizabeth étant enceinte, nous nous étions couchées au moment où elle ne pouvait pas faire autrement que fermer les yeux et dormir.

Je l’avais prise alors dans mes bras et je l’avais transportée ainsi jusqu’au château dans l’air frais du soir. Un jais de lumière, provenant de la lune, nous accompagnait au bout de notre chemin.

Je la posais délicatement sur les draps de notre lit et la déshabillait. En voyant son ventre, je passais la main dessus, dessinant du bout des doigts des cercles. Je la sentis frissonner un peu sous mes caresses. Je me penchais vers elle, et lui déposa un baiser sur la tempe avant de rabattre les couvertures.

Je me levais et me déshabillais également avant de la rejoindre sous les couvertures. Eli se retourna vers moi et avança pour venir se coller contre ma peau. Je la calais contre moi et je me laissais endormir par sa respiration calme et apaisante.

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