Chapitre 5

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Cet ultimatum ne me quitta pas de la journée entière du jeudi, même si la présence de Chloé, de nouveau à mes côtés, me donna la possibilité de ne plus y penser. Nos anciens amis ne cherchèrent pas à comprendre ce revirement et nous esquivaient désormais toutes les deux. J'eus cependant droit à des salutations polies lorsque je croisais deux anciennes amies. Je leur répondis, mais je ne cherchais pas à reprendre nos relations, tout comme elles. Seul William, un apprenti d'un diplôme plus élevé que le mien et aussi bien plus âgé, me saluait avec un peu trop de chaleur lorsque nous nous croisâmes dans la queue pour le self.

— Vous avez fini par vous réconcilier, c'est bien ! me dit-il en lorgnant sur Chloé à mes côtés, qui ne me lâchait pas d'une semelle.

À ce regard, elle agrippa mon bras, comme si j'étais sa possession tout en fusillant le garçon des yeux.

— Oui, répondis-je, mal à l'aise. Elle est comme ma sœur, après tout.

William chassa soudain une mouche d'un geste vif de la main en pestant, et je me crispai sensiblement, plissant les yeux. Chloé me serra le bras un peu plus fort et chercha à croiser mon regard que j'esquivai volontairement. Elle avait ingéré assez de choses. Inutile de lui avouer également que les gestes un peu brusques près de moi avaient tendance à déclencher des réflexes inconscients de défense.

— On va pouvoir recommencer à sortir ensemble comme avant, alors ? lança joyeusement William, passant complètement à côté de ce qu'il venait de se passer.

— Pas dans l'immédiat, répondit sèchement Chloé. Va donc voir un peu plus loin, que je puisse discuter avec ma meilleure amie.

Le jeune homme leva les yeux au ciel sans se départir de sa bonne humeur et nous salua avant de quitter notre compagnie. Chloé siffla entre ses dents.

— Si je n'étais pas aussi préoccupée par toi, je l'enverrai valser avec moins d'élégance.

Un ricanement nerveux s'échappa de ma gorge.

— Depuis quand fais-tu dans la dentelle ?

Chloé me jeta un regard en biais.

— Laisse tomber, question rhétorique, ajoutai-je. Que t'as donc fait ce William pour que tu lui sois si hostile ?

Elle sembla réfléchir un instant, le regard fixé au mien, ignorant superbement les autres apprentis qui nous passaient devant dans la file d'attente pour le réfectoire. Elle finit par lâcher un soupir à fendre l'âme.

— Il te colle trop.

Je comprenais sa réaction, ainsi que son attitude offensive. J'aurais eu la même, si j'avais eu des contacts masculins dans mon entourage si tôt après les premiers agissements de Laurent. J'avais cependant eu le temps de relativiser sur les hommes en général. Ils n'étaient pas tous des ordures comme mon ancien maître d'apprentissage, mais je me méfiais tout de même de leurs attitudes, de leurs réactions. Si j'avais banni les vêtements un peu trop flatteurs, j'avais également du mal à les regarder dans les yeux désormais.

Je ne croisais pas une seule fois mon professeur de la journée, si bien que j'étais réellement nerveuse le vendredi matin, au lever, quand je savais qu'il ne me restait plus que quelques heures avant que nous nous retrouvions avec mon prof et mon père dans la même salle. Chloé n'eut de cesse de me rassurer, me répétant qu'au moins, je ne serais pas seule face aux réactions de mon père. Baillet serait là, lui aussi.

À la récréation, elle me promit de m'attendre sur le parking afin de juger de mon état et de me réconforter si j'en avais besoin. Bref, elle serait là pour moi. Je me sentis comme une enfant attendant le réconfort de sa maman et finalement, c'était presque exactement la relation que nous avions. Elle était ma seule référence maternelle.

*****

L'heure fatidique arriva bien trop tôt à mon goût et, lorsque la sonnerie retentit, je me précipitai dehors, mes gestes rendus gauches par l'appréhension, afin de trouver mon père parmi le flot de voitures déjà sur place, attendant les apprentis pour les ramener chez eux. Je le trouvai rapidement : plus grand que tous les autres, je n'avais, malheureusement, pas hérité de sa taille, ne mesurant qu'un mètre cinquante-cinq, j'arrivais tout juste au niveau de son torse. Il m'enlaça rapidement.

— Bonjour papa.

— Salut, Evangeline, laissa-t-il tomber, solennel. Tu vas bien ? Sais-tu ce que me veut M. Baillet ?

Droit au but, comme d'habitude. L'estomac au bord des lèvres, je secouai la tête et le guidai jusqu'à la salle de classe où le prof nous attendait. Arrivée devant la porte close, j'hésitai soudain, en proie à un pressentiment effroyable. Ma tête tournait légèrement, mes mains se mirent à trembler et ma gorge se serra. J'étais en train de paniquer. Qu'étais-je en train de faire ? Mon père, me voyant soudain figée, pris les devants et toqua trois coups.

— Entrez, entrez !

Mon père s'exécuta, pénétrant dans la classe le premier, suivi par ma petite personne. Il tendit la main et serra celle de M. Baillet qui nous accueilli avec gravité.

— Bonjour, M. Vasan, merci d'être venu. Salut Eva.

Je lui rendis son salut d'un simple signe de tête, je ne parvenais pas à reprendre contenance, mon souffle commençait à manquer. Baillet, remarquant sans doute mon état, hocha le menton d'un air encourageant et nous invita à nous asseoir, ce que nous fîmes ensembles, sur deux chaises face à son bureau. Je nouai mes mains, glacées.

— Bon. Monsieur, ce que j'ai à vous dire est très délicat et je compte sur votre fille pour m'aider au mieux à vous expliquer la situation... Enfin, si elle le veut bien, ajouta-t-il rapidement en me voyant secouer énergiquement la tête.

— Venons-en aux faits, s'il vous plaît, exigea sévèrement mon père.

— Soit.

Baillet s'éclaircit la gorge et croisa ses mains sur le bureau avant de prendre un visage sérieux, quoi qu'un peu mal à l'aise. J'attendis, l'estomac au bord des lèvres. J'aurais aimé qu'il me lance un regard, lire son assurance dans ses yeux, que celle-ci déteigne sur moi. Mais il semblait esquiver mes prunelles et ma confiance se fissura légèrement.

— Eva ne doit plus jamais remettre les pieds à « La Paille Dorée ».

Après un court silence, mon père me jeta un regard interrogateur, que j'ignorai, le mien rivé aux prunelles de mon professeur, attendant un signe, un geste.

— Puis-je en connaître la raison ? demanda mon père d'un ton lourd.

— Eva ?

Quand Baillet se tourna enfin vers moi et m'implora des yeux, mon cœur se serra de désespoir. Son regard si caressant, si pénétrant... Il m'envoûta littéralement. Je m'éclaircis la gorge et détournai le regard, fixant soudain mes mains nouées.

— C'est... C'est à cause de Laurent..., hésitai-je.

— Quoi ? Je pensais que vous étiez bons amis tous les deux.

— C'est... Ce n'est pas si simple...

Je fermai les yeux, tâchant de calmer mon souffle devenu plus rapide, et M. Baillet vint à ma rescousse.

— Mardi après-midi, après la récréation pendant les cours de pratique que je donne, elle était en retard, raconta-t-il avec application. Un fait exceptionnel, pour ne pas dire rarissime. Je sais que la pratique est le seul cours où elle se montre la plus assidue, la plus intéressée. Quand j'ai vu qu'elle n'arrivait pas, je suis allée voir si elle n'était pas malade, si elle n'avait pas eu un problème. Je l'ai trouvée rapidement, dans le vestiaire des filles, l'étage juste en dessous du laboratoire. Elle était allongée sur le sol, inconsciente.

Il s'interrompit. Mon père s'était redressé et était pendu à ses lèvres tandis que je ne pouvais me détacher du visage de Baillet. Je ne me rappelai encore que peu de cette journée, à chaque fois que j'essayais de me replonger dans mes souvenirs, déroulant les étapes m'ayant amenée aux vestiaires, j'avais l'impression de plonger dans un épais brouillard et rien ne ressortait de cette journée. Elle ne semblait avoir réellement commencée que lorsque mon prof m'avait sauvée. Entendre raconter cette histoire de son point de vue donnait à celle-ci une dimension bien plus atroce et, une nouvelle fois, une bouffée de culpabilité m'envahit.

— Une bouteille d'alcool cassée gisait à côté d'elle ainsi qu'une tablette de pilules presque vide, continua-t-il, implacablement. J'ai aussitôt deviné ce qu'elle avait fait et j'ai couru chercher du café salé afin de lui faire recracher ce qu'elle avait avalé. J'ignorais depuis combien de temps elle gisait là, mais je devais essayer, je n'avais pas de temps à perdre. Le résultat fut immédiat. Elle a vomit tous les cachets et reprit connaissance. Puis elle m'a raconté.

Mon père se tourna vers moi, le regard un peu fou, il m'agrippa le bras et je vis son teint changer de couleur.

— Eva, est-il en train de me dire que tu as tenté de te suicider ?

Baillet croisa mon regard et hocha imperceptiblement la tête. Malgré la douleur amenée par cette trahison, je ne pus lui en vouloir. Je savais qu'il fallait en passer par là, je savais que mon père méritait de savoir. Je me mordis la lèvre, résignée.

— Oui, articulai-je péniblement.

Il secoua la tête et ses yeux brillèrent étrangement tandis que sa main me serrait un peu plus fort, me faisant mal. Je m'empressai de le rassurer du mieux que je pus.

— Je suis en vie, pas de panique, soufflai-je maladroitement.

— Pourquoi ? s'exclama-t-il d'une voix si forte que je sursautai. Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, nom d'un chien !

Je ne lui répondis pas, il me lâcha alors enfin le bras tandis qu'il faisait le lien tout seul.

— C'est donc Laurent ? Parle ! Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

— Il... Il...

— Monsieur Vasan...

Baillet essayait d'intervenir, sans succès. Mon père, comprenant la gravité de la situation semblait devenir fou.

— Il t'a harcelé ? s'écria-t-il ensuite, de plus en plus pâle.

Mon estomac se contracta et je reniflai, ma vision de plus en plus noyée par des larmes qui menaçaient de déborder.

— Pire, chuchotai-je d'une voix à peine plus élevée qu'un murmure.

Ses sourcils se froncèrent tandis que diverses idées, sans doute plus sordides les unes que les autres, devaient se former dans sa tête. Je baissai à nouveau les yeux sur mes mains, croisées sur mes genoux, le cœur battant bien trop vite. M. Baillet décida cette fois encore de prendre la suite. Il prit une profonde inspiration et lâcha tout de go :

— Monsieur Vasan, Laurent Siffret abuse sexuellement d'Eva presque quotidiennement depuis plusieurs mois.

La suspicion de mon père fit place à l'horreur et il sembla assommé pendant un long moment. Mon cœur s'arrêta soudain de battre et un puissant sentiment de honte me submergea, prêt à me terrasser. Je secouai la tête en essuyant mes yeux de ma manche, refusant de pleurer, mais je gardai les yeux rivés sur mes genoux, incapable de rencontrer le regard de l'un ou de l'autre et d'y lire de la déception.

Une sourde angoisse grimpait sournoisement le long de ma colonne vertébrale et je me sentis frémir sur ma chaise. Je fermai les yeux, luttant pour ne pas me laisser envahir par la détresse, concentrant mes pensées sur une seule chose, les mains de mon prof qui m'avaient caressé le visage, le regard attendrie de ma meilleure amie, la veille au soir, quand je lui avais parlé de mon manque de confiance en moi. Ces deux-là tenaient à moi. J'en avais la certitude, et alors, mon souffle devint moins court.

Ni Baillet, ni moi-même ne prîmes la parole, laissant mon pauvre paternel digérer l'information.

— Je... quoi ? bégaya-t-il avec un temps de retard.

J'ouvris les yeux et, après une hésitation, je lorgnai vers lui. Il était d'une pâleur extrême, et semblait terrassé, comme si le monde s'écroulait autour de lui, mais qu'il ne pouvait rien y faire.

— Vous comprenez à présent pourquoi il ne faut plus qu'elle y retourne, reprit Baillet d'un ton peiné.

Les couleurs revinrent sur le visage de mon père et celui-ci se crispa soudain avant abattre le plat de sa main sur le bureau, faisant sursauter tout le monde.

— Ce que je comprends c'est que je vais lui faire bouffer sa queue à ce détraqué ! Comment a t'il osé toucher à ma fille, le sale fils de... !

Je n'avais jamais entendu mon père jurer de la sorte et quand il se tourna vivement vers moi, je levai mes mains au-dessus de mon visage en un geste défensif.

— Et toi ! Comment as-tu pu ne rien me dire ! Je suis ton père, bon sang !

— Il menaçait de s'en prendre à Victoria ! me défendis-je en haussant le ton à mon tour, ignorant les trémolos dans la voix et mes yeux qui s'humidifiaient à nouveau. Comment voulais-tu que je te le dise alors qu'il était si facile pour lui de m'atteindre en entraînant ma petite sœur chez lui ! Il l'a déjà fait pour me faire peur, tu sais ? Toutes les fois où Victoria va chez Julien, je sais que Laurent est là aussi, exprès pour que Victoria me le raconte que j'aie encore plus peur pour elle à chaque minute qu'elle passera loin de ma surveillance !

Ce fut un nouveau coup rude pour mon père, assommé, il resta un instant à me fixer, hagard, avant de se reprendre, les joues écarlates de colère.

— Quel enfant de... Je vais... Je vais le tuer de mes mains... Toucher à mes filles...

Les mains moites, les joues roses et les yeux brûlants, je me tournai vers mon prof, en quête de soutien. J'eus soudain une pensée pour ses bras, forts et puissants, qui m'avaient enlacés récemment, et mon cœur saigna à ce doux souvenir.

— Eva a déjà rédigé sa lettre de démission, lança calmement mon prof avant de s'adresser à moi. Tu devras l'envoyer en recommandé, avec accusé de réception dès cet après-midi. Il la recevra lundi, ainsi il ne sera pas surpris longtemps par ton absence. M. Vasan ? Il va falloir faire en sorte que votre benjamine ne soit plus entraînée par le frère de cet homme. Eva, je compte sur toi pour porter plainte dès que possible auprès des autorités. Je pense que Chloé sera disposée à t'accompagner.

— Chloé était au courant ?! s'indigna mon père.

— Elle ne l'est que depuis mercredi soir, soupirai-je, lasse.

— Je vais utiliser quelques contacts, enchaîna mon prof en fronçant les sourcils. Je vais donner à Eva toutes les coordonnées des patrons susceptibles de l'embaucher pour la suite de son apprentissage, où elle serait entre de très bonnes mains.

— Elle ne peut pas rester à l'école sans patron, c'est cela ?

— C'est ça, acquiesça Baillet. Et je vous déconseille fortement de l'encourager à passer son diplôme en candidat libre. Elle a un énorme potentiel, mais nous avons encore beaucoup de choses à lui apprendre ici.

Tandis que mon père baissait les yeux vers mon visage, je fixai M. Baillet, qui me lança un sourire doux et mon cœur se mit à fondre. Venait-il de convaincre mon père de me faire rester pour que je puisse toujours venir le voir ? L'avait-il fait pour moi ?

— Moi, que puis-je faire ? demanda alors mon paternel.

— Rien, marmonnai-je.

— C'est à elle de voir, mais restez présent pour elle, asséna-t-il, comme une évidence. Je sais bien que ce n'est pas évident, mais soutenez la du mieux que vous pouvez, encouragez la à tenir bon. Soyez indulgent. Elle va devoir revivre ça lors de son dépôt de plainte, ce qui va constituer une épreuve difficile.

Mon père pouffa un faible soupir.

— Mon Dieu... Si seulement...

Il s'interrompit et je fronçai les sourcils, la colère remplaçant doucement mon angoisse. Je sentais qu'il allait me reprocher de ne pas avoir poursuivi études, de m'être jetée dans cette voie, de m'être attiré moi-même des ennuis.

Avant qu'il ne puisse parler cependant, des coups retentirent contre la porte, nous surprenant tous.

— Un instant ! s'écria Baillet, alarmé.

Il nous jeta un regard d'excuse et mon père se secoua soudain.

— Nous y allons, de toute façon, grommela-t-il. Sauf si vous avez encore quelque chose à me révéler ?

M. Baillet secoua la tête d'un air repentant. Mon père se leva alors, et nous l'imitâmes. Il serra la main tendue de mon prof avec une vigueur un peu exagérée.

— Merci, souffla-t-il avec émotion. Merci infiniment.

Il y eu un silence pendant lequel M. Baillet me lança un regard furtif et il adressa un faible sourire à mon père.

— Il n'y a pas de quoi, dit-il avec chaleur. Prenez soin d'elle. À dans deux semaines Eva.

Je lui fis un signe de la main, le cœur serré à l'idée que je ne le reverrais pas plus tôt. J'aurai aimé rester avec lui plus longtemps. Au-delà de mes sentiments pour lui, il me traitait si bien que je sentais que j'avais besoin de lui, comme d'un ami, un confident, quelqu'un qui me soutenait sans me juger. Il me lança un sourire teinté... de tristesse semblait-il ? Je me ressaisis en pensant que j'allais avoir du pain sur la planche ces deux prochaines semaines. En quittant la classe, nous croisâmes Pascali qui nous regarda passer sans un mot, et nous partîmes.

Comme promis, Chloé m'avait attendue sur le parking et nous suivit, mon père et moi, jusqu'à la maison où elle resta pour le déjeuner. Elle ne me lâcha pas d'une semelle, assistant même à la dispute entre mon père et Victoria, une dispute liée à une punition que cette dernière ne comprenait pas, n'ayant rien fait du tout, qui lui interdisait de sortir de la maison pendant au moins un mois.

Je rédigeai ma lettre de démission au propre et Chloé m'accompagna au bureau de poste pour l'envoyer. Puis elle me proposa de m'emmener à la gendarmerie. Une pensée pour mon professeur de pratique me poussa à accepter et je m'y laissai entraîner. L'absence de mon père facilita grandement les choses.

Je passai près de quatre heures avec les gendarmes, racontant, sans rentrer dans les détails pour commencer, ce que Laurent avait fait de moi, montrant même les marques autour de mon cou. Ils avaient été assez prévenants pour me confier à une femme. La gendarme me pressa malgré tout pour que je sois plus claire dans mes déclarations, me poussant à raconter le plus de détails possibles, si sordides soient-ils, me demandant ce que j'avais ressenti : les douleurs, les émotions. J'obtempérais non sans mal et passais la moitié de la déposition à pleurer.

La gendarme et un collègue masculin m'emmenèrent ensuite chez une gynécologue spécialisée pour qu'on m'ausculte, pour confirmer les violences, et qu'on me prenne en photo, habillée, comme déshabillée. On nota chaque parcelle de mon corps qui comportait des traces de coups. On m'examina sous toutes les coutures et, en sortant de chez le gynécologue, je me sentais si vidée, si humiliée que je fondis en larmes dans les bras de la gendarme qui m'avait escortée.

En retrouvant Chloé qui avait patiemment attendu à la gendarmerie, j'explosais de nouveau en sanglots. Celle-ci avait pu entendre tout ce que j'avais subis et elle était d'autant plus protectrice, exigeant, sans se démonter, soit plus doux avec moi. On m'encouragea à prendre rapidement rendez-vous avec un avocat et un psychologue, voire des associations de femmes, puis Chloé me ramena enfin à la maison, me tenant par la main.

Ce fut mon père, installé à la cuisine, qui nous accueillit en m'enlaçant. J'enfouis mon visage dans son pull avec un soupir qui resta à moité coincé dans ma gorge tandis qu'ils parlaient de moi comme si je n'étais pas là.

— Est-ce que ça va ? nous demanda-t-il.

— Elle est épuisée, répondit Chloé à ma place.

— Qu'ont dit les gendarmes ?

— Ils vont s'en occuper dès aujourd'hui, dit mon amie avec un sourire carnassier. Ça ne m'étonnerait pas qu'ils soient déjà devant chez lui.

— Ils m'enverront une assignation chez le juge d'instruction dès que le Procureur aura reçu les éléments de ma plainte, précisai-je d'une petite voix en me détachant de mon père. Ils devront me convoquer régulièrement, pour apporter plus de précisions.

— Parfait, soupira-t-il. Tu seras vite tranquille maintenant.

— Et Victoria ? demandai-je timidement.

— Elle s'en remettra, grogna-t-il.

— Hors de question qu'elle sache... Elle est... Trop jeune pour être confrontée à ça.

— Eva, je pense qu'elle devrait le savoir, dit Chloé. Elle pourrait être un jour dans la même situation. Je ne lui souhaite pas, bien sûr, mais imagine, si elle ne sait pas de quoi les hommes sont capables... Tu ne pourras pas la protéger éternellement de tout, surtout pas d'eux.

— Elle n'a que treize ans ! m'écriai-je, la voix tremblante.

— Et elle est assez grande pour se faire embarquer par n'importe quel type qu'elle trouvera à son goût et qui la séduira en lui offrant une glace, répliqua très justement mon amie. Sois un peu réaliste, c'est si simple d'embobiner les jeunes filles, surtout avec les réseaux sociaux !

Elle avait raison, bien entendu. Je refusai néanmoins d'être la personne qui lui parlerait de tout ça. Je n'avais pas envie qu'elle me regarde d'un autre œil, qu'elle ait pitié de moi.

— Pas maintenant., accordai-je contre mon gré. Plus tard. Peut-être que je le ferais, mais pas maintenant.

Ils acquiescèrent et je ne me préoccupai plus de cela pour le moment. Je reçus la convocation chez le juge d'instruction pendant la semaine, me donnant rendez-vous deux mois plus tard, ainsi qu'une lettre de M. Baillet, m'écrivant tous les noms et numéros des embaucheurs potentiels pour ma fin d'apprentissage.

Mon père me trouva un avocat et en attendant le rendez-vous prévu pour la fin de la semaine, je passais mon temps dans ma chambre, à lire et relire le simple mot de Baillet. Il avait signé de son nom, non pas de son prénom, ne m'apportant aucun indice concernant le symbolisme de cette lettre. Sans doute Laurent avait reçu l'interdiction de m'appeler car mes craintes qu'il ne le fasse se révélèrent injustifiées.

Pendant tout ce temps, je ne pensais qu'à une chose : retourner enfin à l'école pour revoir mon charmant professeur. J'avais beau avoir conscience que ce besoin de lui était malsain, que cette relation à sens unique ne me ferait aucun bien, je ne parvenais pas à me faire une raison. Il était mon sauveur. Mon soleil dans la nuit noire.

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