52. La Cité maudite

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Rys.


Rys détestait les ruelles animées d’Aetherna, où tous les regards semblaient la suivre à la trace. Un esclave solitaire errant dans la ville éveillait les soupçons, et cette attention non désirée lui sapait le moral. Les rues représentaient une menace constante. Si la serve se faisait capturer et interroger par les gardes de la ville, elle n’aurait pas d’autre sauveur que Dieu lui-même. Elle marchait rapidement, la tête baissée et dissimulée sous une grande capuche grise, faisant attention à chacun de ses pas sur le chemin pavé. Tout en avançant, elle ne pouvait s’empêcher de penser à l’audace de sa décision de suivre Julia. C’était un choix précipité et peu judicieux, mais Amarys ne pouvait supporter l’idée qu’il puisse arriver quelque chose à sa maîtresse, pas après l’angoisse qu’elle avait endurée lorsque la petite princesse avait disparu, le jour de la mort de Nikanor.

Julia jubilait à l’idée d’explorer le monde extérieur après avoir été confinée si longtemps entre les imposants murs de la demeure familiale. Bien qu’elle savait que cela provoquerait la colère de son père, elle ne s’en inquiétait en aucun cas. La petite princesse pensait que son géniteur semblait déterminé à ruiner sa vie, trop vieux pour se rappeler les bonheurs de la jeunesse. De son côté, Ikarus Valérian était résolu à garder le contrôle sur sa fille, tout comme il avait essayé de le faire avec son jeune frère Kallian, mais sans succès. Malheureusement pour lui, Julia partageait la même détermination que son oncle et refusait de se laisser dicter une ligne de conduite. Étouffer un esprit aussi indomptable relevait du miracle.

Je ne peux rien faire. Seul Dieu le peut.

En outre, le voyage vers Dusétia avait aggravé la santé du vieux prince, son infirmité le laissant de plus en plus souffrant et facilement fatigué à son retour. Amarys savait que le fardeau des affaires de l’Empire obnubilait sans cesse son esprit, mais récemment, il semblait encore plus préoccupé, comme si la douleur affectait son âme même. Son Altesse puînée avait consacré toute sa vie à reconstruire un empire aux côtés de ses frères, s’efforçant d’instaurer une paix qu’il n’avait pas connu durant son enfance . À première vue, la dynastie des Valérian se couvrait de gloire, mais à force de les côtoyer d’aussi près, Rys commençait à percevoir le vide qui se cachait derrière ce triomphe apparent.

Dans la main du Seigneur, il y a une coupe pleine de vin mêlé d’arômes ; il la verse, et tous les méchants de la terre la boivent jusqu’à la lie.

Julia et Olympias décidèrent de s’arrêter devant un étalage de pendentifs en cristal. Rys se positionna discrètement derrière un mur, s’assurant ainsi de passer inaperçue. Le propriétaire de l’échoppe, un séduisant Ipathe au teint mat, conversait sans difficulté dans la langue égéenne, mais avec un accent captivant qui lui conférait un air mystérieux.

Julia examina un pendentif qui avait attiré son attention. Il représentait un serpent au dessin complexe, entourant le long cristal et laissant de la place pour une chaîne substantielle. La pierre semblait glaciale et lourde. Les princesses firent mine de s’émerveiller devant différents bijoux, avant d’en choisir quatre. Le marchand apporta un morceau de papier, trempa une plume dans de l’encre puis leur remit la note. Pendant que Julia signait, il enveloppa soigneusement les quatre colliers dans de la douce laine blanche et les plaça dans une pochette en cuir. Avec une révérence respectueuse, il la leur tendit. Remplie d’excitation à cause de ses achats, Julia insista pour visiter plusieurs autres étals. Elle acheta un flacon de parfum, une amphore scellée d’huile pour la peau et une boîte de poudre magnifiquement peinte.

Rys remarqua une grimace sur le visage d’Olympias avant qu’elle ne remette rapidement les objets à Julia et ne s’éloigne en se faufilant dans la foule. En riant, Julia talonna sa cousine.

Elles arrivèrent aux jardins publics. Ceux-ci se situaient au pied de la colline surplombée par le palais de l’empereur. L’édifice lui-même ressemblait à une montagne, projetant son ombre sur la grand-place. Des statues de marbre bordaient la voie de part et d’autre, sur plusieurs miles, du bas jusqu’aux portes de la demeure impériale. Tout au bout, en hauteur, l’on pouvait admirer des sculpteurs en train de travailler sur la statue chryséléphantine représentant le souverain assis sur son trône, tenant dans une main la lance et dans l’autre l’épée de Neptolemos. Le bas du trône ferait office de nouvelle entrée principale.

Les genoux de la Shulamite l’élancèrent alors que Julia et Olympias atteignaient le temple du dieu de la guerre. Le temple n’était qu’un nom, car il servait en réalité de quartier général à l’armée. Rys se posta sous un arbre, épiant sa maîtresse qui essayait de se rapprocher autant que possible des soldats qui s’entraînaient. Olympias avait l’air mécontente et Amarys était certaine que la fille de l’Empereur regrettait d’avoir proposé de venir observer les légionnaires. Tout le monde semblait remarquer Julia dans ses robes lavande et ne prêtait aucune attention à sa compagne. De toute évidence, Olympias n’appréciait pas d’être éclipsée. Le regard de la cousine se fixa sur le magnifique collier d’améthyste qui ornait le cou de Julia, tandis que les boucles d’oreilles assorties scintillaient malgré le crépuscule naissant. Un jeune soldat passa à cheval, affichant un sourire charmeur non pas envers Olympias, mais envers Julia, qui rougit comme une jouvencelle, ce qui rehaussa encore sa beauté. L’envie déforma les yeux verts, et, l’espace d’un instant, un mauvais pressentiment vint chatouiller le dos d’Amarys.

Soudain, un second légionnaire repéra la petite servante. La panique l’envahit lorsqu’il commença à s’approcher, la faisant instinctivement reculer d’un pas. Cependant, alors qu’il s’avançait, un officier l’interpella, détournant son attention. Amarys profita de l’occasion pour se fondre dans la foule et s’éloigner du Grand Temple.

À présent, la serve devait se frayer un chemin à travers des ruelles étroites et sombres, en évitant les artères principales. Chaque pas qu’elle faisait transpirait l’inquiétude. Elle se demanda si son frère Dan avait ressenti la même frayeur lorsqu’il sortait pour trouver de la nourriture pendant le siège de Tel-Sayaddin.

Alors qu’elle s’aventurait dans ces venelles inconnues, la peur de se perdre menaçait de la submerger, éclipsant même la crainte de rencontrer un brigand. Il fallait attendre que les princesses quittent le Grand Temple afin de les suivre à nouveau. Mais le temple lui-même était comme un labyrinthe, une ville miniature à l’intérieur d’Aetherna.

Je dois essayer d'anticiper leur prochaine destination. Seigneur, aide-moi.

Amarys se dirigea instinctivement vers l’entrée sud du temple. C’était la seule porte d’accès aux bains publics très prisés, puis aux quartiers résidentiels où résidaient les habitants les plus aisés d’Aetherna, parmi lesquels un certains cadet Valerian qui venait d'y acquérir une nouvelle demeure.

Près des propylées, l’atmosphère se fit de plus en plus oppressante à mesure que le jour faiblissait. Les rires et les conversations assourdissaient les oreilles, des parfums capiteux saturaient l’air, et les couleurs éclatantes des bâtiments aveuglaient plus qu’elles n’émerveillaient.

La petite serve marqua une pause près d’une fontaine, abaissant sa capuche qui libéra ses mèches annelées. Le son de l’eau lui offrait un bref répit dans le chaos de la ville. Elle s'assit sur le rebord.

Une prostituée, parée de soies luxueuses qui laissaient peu de place à l’imagination, ainsi que d’un collier de cuir identique au sien, s'approcha gracieusement, les yeux remplis d'un mélange de curiosité et d'espièglerie.

— J’ai déjà goûté des Shulamites, mais pas d’aussi jolies que toi, minauda-t-elle.

Les joues en feu, Rys sursauta, s'éloigna du bord de la fontaine, les yeux fuyant le regard de la provocatrice. D'un geste maladroit, elle déclina la proposition indécente. À cet instant, elle vit deux silhouettes émerger de la sortie sud du Grand Temple, leurs robes flottant dans la douce brise.

Merci, Seigneur.

Mais lorsque Rys aperçut la grande villa dans laquelle les deux Princesses disparurent, son cœur se serra. La tête à nouveau dissimulée, elle changea de direction en courant presque, le cerveau bouillonnant de pensées sur la façon dont ses actions insensées seraient perçues.

Hésitant à solliciter son assistance, la serve était consciente au plus profond d’elle-même qu’il était le seul vers qui se tourner à cet instant précis. Elle n’avait pas d’autre choix que de lui accorder sa confiance.

La poitrine lourde, elle bifurqua vers sa demeure, ses pas devenant de plus en plus lents à chaque instant. Elle savait que demander son aide signifiait exposer sa propre vulnérabilité, car les i de cobalt la mettaient mal à l’aise. Alors qu’elle approchait de la grande entrée, le doute envahit son esprit, aussitôt repoussé, car la sécurité de sa maîtresse était en jeu.

Prenant une profonde inspiration, Amarys frappa à la porte en bronze, ses poignets tremblant d’un mélange d’anxiété et d’espoir. Un licteur se dressa au-dessus du mur, puis un autre ouvrit la poterne en contrebas.

Voyant le garde s’avancer, la jeune esclave pria pour que Kallian comprenne l’urgence de la situation et lui prête main-forte, afin de sauver Julia des griffes de cette cité maudite.

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