53. Cet éclat dans la nuit

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Kallian.

Les colonnes majestueuses qui encadraient l'entrée semblaient se fondre dans l'obscurité de la nuit, ajoutant une touche princière à la demeure. Le paysage se métamorphosait peu à peu. Les arbres, dénudés de leurs feuilles, flétrissaient sous le fardeau de l'hiver qui approchait, bien qu'à Aetherna il ne soit jamais ni impitoyable, ni excessivement long.

Un vent glacial siffla, faisant frissonner Kallian qui hâta le pas pour se réfugier dans la chaleur réconfortante de sa villa. Son intendant, Enoch, s'approcha de lui et lui retira sa cape rouge.

— Votre Altesse, vous avez un visiteur, l'informa Enoch.

— Mon frère et sa femme ? demanda-t-il.

— Non, Votre Altesse. Ils ont envoyé un messager pour s'excuser de leur absence à votre banquet. Le Vieux Prince ne se sent toujours pas bien.

— Nous lui rendrons une petite visite demain. Alors qui est-ce ? Julia ?

— Non, Votre Altesse.

Les sourcils de Kallian se froncèrent.

— Enoch, je pense avoir été très clair au sujet de Pandore et de ses venues impromptues. Si tu l'as laissée entrer ici... avertit le prince en levant un doigt menaçant.

— Il ne s'agit pas de Sa Grâce, mais plutôt d'une esclave, révéla le vieil intendant.

Les yeux de Son Altesse se plissèrent.

— Une esclave ? Quelle esclave ? Vas-tu enfin tout me dire, ou dois-je te tirer les vers du nez ?

— Elle prétend appartenir à la maisonnée de votre frère. Nous avons essayé de la renvoyer, mais elle insiste pour vous parler et prétend que cela concerne la sécurité de votre nièce, la princesse Ju...

Les cheveux à la base de sa nuque se dressèrent d'inquiétude.

— Où est-elle ?

— Elle est assise à l'intérieur du péristyle, répondit Enoch.

Amarys se tenait sur le banc de bois, près du mur, la tête dissimulée sous une capuche grise bien trop grande. Kallian se demanda si elle était captivée par la mélodie de la fontaine avoisinante. Une pointe d'inquiétude se dessinait sur son visage, ses mains fermement serrées sur ses genoux. Il l'observa encore un instant et réalisa qu'elle était à nouveau plongée dans la prière. Par respect pour sa dévotion, il hésita à s'approcher.

Une vague de frustration l'envahit sur-le-champ. Pourquoi s’en souciait-il ? Interrompre la prière d’une serve ne devrait pas le déranger plus que ça. Lorsqu'elle l'aperçut, la Shulamite se leva avant de s'incliner en signe de respect. Leurs pupilles se croisèrent alors qu'elle se redressait, et une sensation inhabituelle piqua dans la poitrine de Son Altesse, ce qui l'irrita.

— Que fais-tu ici ? Pourquoi n'es-tu pas avec Julia ?

Il remarqua la peur dans ses yeux et réalisa soudain à quel point il avait été agressif.

— Elle...est partie... Votre Altesse, bredouilla-t-elle.

— Où ? demanda-t-il, remarquant un léger sillon sur le front de la Shulamite.

Il avait presque l'impression de pouvoir lire dans ses pensées. Elle ne voulait pas trahir Julia, mais quelque chose n'allait pas. Amarys resta silencieuse, baissant la tête.

— Je ne suis pas en colère contre toi. Tu sembles sincèrement préoccupée. Julia est censée être en deuil pendant encore sept mois, et je doute que son père lui ait accordé la permission de quitter le palais. Ai-je raison ?

L'esclave se mordit la lèvre.

— Elle m'a ordonnée de dire qu'elle allait au temple d’Ops avec sa cousine, avoua-t-elle, la voix pleine d'incertitude.

Kallian laissa échapper un rire sec.

— Olympias ne mettrait jamais les pieds dans le temple d’Ops même si on l'y contraignait. Elle vénère Calanthe, ou tout autre dieu ou déesse favorable à sa promiscuité.

Ces paroles lui laissèrent un goût amer dans la bouche, car lui-même était coupable d’une hypocrisie similaire. La colère montait en lui, alimentée par les deux poids, deux mesures qui bataillaient dans son esprit. Une part de lui ne souhaitait pas que Julia le suive dans cette voie.

— Dis-moi où elles sont allées, exigea Kallian. N'est-ce pas pour ça que tu es venu me voir ? Je sais que tu veux la protéger, et je peux t'assurer que lui permettre de faire quelque chose d'imprudent et de stupide n'est pas une protection. Olympias est connue pour les deux. Dis-moi, je trouverai Julia et je la ramènerai à la maison, promis.

Amarys le fixa, ses yeux emplis d'un mélange de crainte et d'espoir.


— Elles voulaient se promener en ville, puis se rendre au temple de Neptolemos, dévoila-t-elle.

— Pour observer les légionnaires, marmonna Kallian avec dégoût. Cela ressemble bien à Olympias, même si ses préférences penchent davantage vers les Monomaques. Et ensuite ?

— La princesse Olympias voulait rendre visite à une connaissance.

— Te souviens-tu de son nom ? demanda Kallian, son esprit évoquant déjà des images d'un prétendant potentiel.

— Je pense qu'elle s'appelait Shiva, répondit Amarys avec hésitation.

— Par les dieux ! explosa Son Altesse.

Shiva Liviclès était bien pire que n'importe quel homme qu'Olympias oserait présenter à Julia. Elle était réputée pour sa vie dissolue, ses amours tumultueux ainsi que ses liaisons dangereuses. Séductrice impitoyable, elle ne reculait devant rien pour obtenir ce qu'elle désirait.

Mais ce qui rendait Shiva encore plus redoutable, c'était son lien étroit avec l'impératrice.

Le prince se mit à tourner sur lui-même, sa main frottant les muscles tendus de sa nuque. Julia n'avait aucune idée dans quoi elle s'embarquait. Il fallait la ramener, et vite.

S'arrêtant devant Amarys, il lui saisit les épaules.

— Écoute-moi attentivement et fais ce que je te dis. Rentre au palais. Quand mon frère et sa femme reviendront, évite-les à tout prix. Cache-toi dans les cuisines, fais tout ce qu'il faut pour rester hors de leur vue. S'ils t'appellent et demandent où se trouve Julia, tu leur diras qu'elle est allée adorer Ops, comme elle te l'a instruit. Ne mentionne ni Olympias, ni le temple de Neptolemos, ni quoi que ce soit d'autre. Est-ce clair ?

Amarys hocha la tête.

— Mais qu'en est-il de la maisonnée ? De Bithia ? Elle s'empressera de raconter à votre frère que Julia a fugué.

Bithia révélerait sans aucun doute tous les détails à Ikarus Valerian. Pas par amour ou par devoir, mais par simple désir de nuire à la petite princesse qui ne fournissait guère d'effort pour gagner le cœur de ses servantes.

Kallian relâcha son emprise sur les épaules de la Shulamite.

— Tu as raison. J'enverrai Enoch avec toi, lui demandant de ramener Bithia. Sachant qui la convoque, elle obéira sans réfléchir.

La domestique ne lui aurait jamais opposé de refus, pour des raisons évidentes qu'il préférait taire en présence d'Amarys.

Le soulagement se lut sur le visage délicat.

— Votre Altesse, vous avez réellement répondu à mes prières, déclara une voix emplie de gratitude.

— Tu as prié pour ma venue ? s'enquit Kallian, les yeux pétillants de curiosité.

Les joues en feu, Amarys détourna le regard et lutta pour formuler une réponse cohérente.

— Je... je priais pour le bien-être de Julia, pour une solution à ses problèmes, pas spécifiquement pour vous… balbutia-t-elle, ses mots à peine audibles.

Les lèvres du prince s'étirèrent en un sourire moqueur.

— Dommage, dit-il en haussant les épaules. Je pensais être l'accomplissement des rêves d'une vierge.

L'embarras de la serve l'amusa, et il releva doucement son menton. La couleur de ses joues devint de plus en plus foncée.

— En quoi suis-je donc la réponse à tes prières, petite Rys ?

— Vous ramènerez ma princesse saine et sauve…

— Heureux de savoir que tu as une telle confiance en moi.

Il effleura légèrement sa pommette avec délicatesse, de la même façon qu'il le faisait avec sa nièce. Amarys trembla, mais ne réagit pas, se contentant d'agripper son manteau gris. Kallian écarta sa main avant de frapper du poing sa poitrine, l'air faussement solennel.

— Moi, Kalliandros Valérian, à la demande d'Amarys de Shulam, jure de trouver un moyen de garantir la sécurité de mon insupportable nièce Son Altesse Impériale Juliatheia Valérian.

La grimace dissipa les traits tendus de la serve, et elle laissa échapper une exhalaison, suivie d'un gloussement, ce qui stupéfia son Altesse.

Kallian n'avait jamais entendu son rire auparavant, et en regardant son visage radieux, il ressentit une envie irrésistible de prendre ses joues et de presser ses lèvres contre les siennes. Son trouble n'était pas motivé par le désir, car il connaissait bien cette émotion. Non, c'était quelque chose de plus profond, quelque chose qui résonnait avec son esprit, ou comme Rys le dirait, son âme.

Il réalisa soudain à quel point il ne la connaissait pas.

— Je ne t'ai jamais vue rire, admit-il, regrettant instantanément ses paroles lorsque son air joyeux s'évanouit.

Elle baissa la tête, reprenant son rôle d'esclave.

— Mille pardons, Votre Altesse. Je...

— Tu devrais le faire plus souvent.

Amarys le contempla avec des yeux ronds comme des soucoupes. D'innombrables questions envahirent l’esprit de Kallian, accompagnées d'une impatience croissante. Sa vie ne nécessitait certainement pas d'autres complications. Amarys n'était pas comme Eos ou Pandore, quelqu’un dont on pouvait facilement se débarrasser.

— Reste cachée de mon vieux frère grincheux et de la femme qu'il ne mérite pas jusqu'à mon retour, ordonna-t-il. S'ils ne peuvent pas te trouver, ils ne pourront pas t'interroger.

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