37. En terrain familier

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Oldric.

Bammon s'avéra être un homme différent de l'autre instructeur qu'Oldric avait rencontré au cours de sa servitude. Plus dur que Tharacus, le Xher n'avait jamais recours à la moquerie, à l'humiliation ou à des sévices inutiles pour obtenir ce qu'il voulait de ses apprentis. Oldric éprouvait pour lui un respect mitigé, qu'il justifiait en se disant que l'Empire ne l'avait pas vu naître, ce qui était donc acceptable. En écoutant les bruits de couloir, il apprit qu'il avait des points communs avec l'instructeur. Bammon avait été chef de tribu et fils aîné d'un chef qui avait été tué au combat par une légion égéenne.

À cause de son auriculaire manquant, l'instructeur obligea Oldric à être aussi habile avec sa main gauche qu'avec sa droite. Pour développer ses muscles, L'Estanien devait manier des armes deux fois plus lourdes que celles réellement utilisées dans l'arène. À deux reprises, il se blessa lors des entraînements, toujours pairé avec des combattants plus expérimentés.

Oldric s'efforça à la docilité, se remémorant les paroles de Zäben et son pendentif en ivoire, gage de liberté. Silencieux, il écoutait et observait, étudiant attentivement chaque homme, sachant que la mort se tenait prête à bondir sur lui si jamais il ne tirait aucune leçon dans cet endroit immonde.

Parfois, des nobles venaient à la caserne, parmi lesquels des Égéennes qui trouvaient divertissant de se prêter aux exercices d'un monomaque. Sous l'œil attentif de plusieurs gardes, elles s'entraînaient avec les apprentis, vêtues comme eux de tuniques courtes dévoilant les jambes. Même si ces femmes lui inspiraient un profond dédain, les pires étaient celles qui se délectaient du spectacle depuis l'exèdre. Bammon le permettait, car certains combattants, tels des coqs de basse-cour, travaillaient plus dur sous les yeux de jolies poules.

Au cours de ces affreuses sessions, le souvenir de Filavendra revenait parfois avec amertume. Pourquoi les dieux de la forêt avaient enlevé son amour quand ces vipères impériales jouissaient du souffle de vie ? Oldric repensait alors à sa mère, au mensonge de sa prophétie, et son cœur en était comprimé.

Ce matin-là, un jeune aristocrate qui se considérait talentueux le repéra et informa Bammon qu'il voulait s'entraîner avec le barbare. Le maître essaya de l'en dissuader, en vain. Le noble descendait d’une illustre lignée de légionnaires et comptait bien le prouver entre les murs de la Grande École.

L'apprenti, qui avait observé toute la scène depuis un coin, fut convoqué.

—Donne-lui un bon combat, mais gare à toi si tu fais couler son sang, avertit l'instructeur.

Oldric regarda l'hurluberlu qui se dandinait avec son glaive, puis sourit à Bammon.

— Il n'y aura pas de sang, les Égéens n'ont que de l'eau dans les veines.

Gardant une distance mesurée, l'apprenti permit au jeune homme d'avancer et de montrer son habileté. Hélas, malgré toute la vigilance et le semblant de bonne volonté de l’Estanien, quelques minutes suffirent pour que l'écart de niveau se dévoile et que l'insensé comprenne qu'il était dominé.

—Recule, Oldric, ordonna l'instructeur.

Souriant, Oldric fit un mouvement rapide et entailla le visage de l'Égéen. Le garçon haleta puis s'affala brusquement, laissant tomber son glaive, à la grande joie de son adversaire qui ajouta une incision sur la noble poitrine. La vue du rouge eut l'effet de sons de cloches dans le cerveau du barbare, et il poussa un cri en levant son épée.

Qui résonna contre l'acier du maître.

Saisissant le bras armé de son apprenti avec des doigts aussi forts qu'un étau, l'instructeur plongea ses yeux noirs dans les bleus du monomaque. Oldric tenta de soutenir son regard, jusqu'à ce qu'il vît la lueur sombre qui sous-entendait avec clarté que L'Estanien n'avait pas affaire à un autre Tharacus.

— Un autre jour, murmura doucement le maître.

—Un autre jour, acquiesça Oldric entre ses dents, avant d’abandonner son arme.

—Tu vas regretter de m'avoir coupé ! vociféra le noble une fois qu’il eut récupéré son souffle et sa dignité.

Puis, au lieu d'exécuter sa menace, il tourna les talons.

Le silence s'abattit sur la cour. Le visage du maître devint dur comme de la pierre. Oldric se prépara à la rétribution, fouet ou isolement, mais les gardes se contentèrent de l’escorter jusqu’à ses quartiers sans dire mot.

Les jours se suivirent et se ressemblèrent jusqu’à ce que l’instructeur l’attende un matin à l’extérieur, une caisse en bois à ses pieds.

—Il semble que les dieux t'aient souri. L'empereur tient à rentabiliser le temps et l'argent qu'il a investi sur toi. Tu seras programmé pour les jeux de la semaine prochaine.

Bammon posa sa main sur son épaule.

—Voilà ton entraînement achevé et ton souhait à portée de main : mourir l’épée au poing.

La caisse contenait une armure dorée très élaborée, une cape rouge ainsi qu’un casque doré à plumes d'autruche. Oldric examina l'attirail avant de renverser le coffre d’un coup de pied.

—Je ne me pavanerai pas avec des plumes tel un vulgaire coq de basse-cour.

— Tu ne porteras pas cette armure pour le combat, répliqua Bammon avec agacement. C'est pour la cérémonie d'ouverture. Tu dois retirer la cape devant la foule, cela fait partie du spectacle.

L’instructeur posa son index sur le menton.

—Les plumes te déplaisent, soit. Une peau d'ours te conviendrait mieux. À moins que tu ne portes rien du tout. La foule aimera beaucoup cela.

Un esclave vint retirer la caisse.

—Demain, tu seras emmené dans les quartiers du Grand Théatron, déclara Bammon. Un festin est toujours organisé avant les jeux. Il ne ressemblera à aucun de ceux que tu as déjà vus, Oldric, aussi serait-il sage de suivre mon conseil : Mange et bois modérément. Renonce aux femmes. Concentre-toi et garde tes forces. Si les dieux sont cléments, tu survivras. Si ce n'est pas le cas, au moins, tu te battras bien. Tu ne feras pas honte à ton peuple.

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