36. La Cité Éternelle

4 minutes de lecture

Oldric.

Oldric n'était pas préparé à la splendeur et à la magnificence d'Aetherna. Dans les forêts d'Estanie, il avait vu des légionnaires aguerris et bien disciplinés dans leurs armures et dans leurs jupes de cuir cloutées. Mais jamais il n'aurait jamais imaginé cette population grouillante, la cacophonie des langues, la masse des citoyens et des étrangers descendant sur la ville comme des fourmis, les colonnes et les bâtiments de marbre étincelants, et la formidable diversité des tours. La ville méritait bien son surnom de cité éternelle.

La route principale de l'Empire, la Voie Kappienne, était encombrée de voyageurs venus d'une douzaine de régions du pays. Chacun attendait, chariots entassés sur la chaussée, l'ouverture des propylées au coucher du soleil.

Bammon dépassa la file en sa qualité de serviteur de l'empereur. Les gardes égéens avaient déjà examiné son orthogone, ses laissez-passer, ainsi que sa cargaison de combattants. Lorsque les portes s'ouvrirent, Oldric sentit l'adrénaline monter.

Le bruit à l'intérieur donnait le tournis. Des Pargues venus de l'ouest, des sauvages du nord, des moustachus des îles du printemps, des paysans des prairies d'Ipathe tirant leur bétail, tous se frayaient un chemin le long de l'artère. Des Xhers libres se pavanaient dans leurs capuches rouge et blanc retenues par des cordons.

Des tavernes pleines à craquer jalonnaient les trottoirs de part et d'autre. Entre chaque édifice, tellement serrés qu'ils semblaient avoir des murs communs, se trouvaient des vendeurs de fruits et des libraires, des parfumeurs et des modistes, des teinturiers et des fleuristes.

Certains vendaient leurs marchandises à la criée. Un souffleur de verre attirait l'attention sur sa boutique en exerçant son art avec une dextérité dramatique, tandis qu'un fabricant de sandales exposait ses chaussures du haut d'une caisse. Une grosse femme en toge rouge, suivie de deux enfants tout aussi grassouillets, entra chez un joaillier pour obtenir plus que ce qui ornait déjà ses cheveux, son cou, ses bras et ses doigts.

De l'autre côté d’une venelle, une foule se rassembla pour regarder deux légionnaires endurcis se disputer avec un maroquinier. L'un s’esclaffait en regardant son congénère pousser le commerçant dans une pile d'articles en cuir.

Le sang battait dans les tempes d'Oldric. Stupéfait, il ne pouvait qu’observer en silence. Dans toutes les directions, il y avait des bâtiments : des petites échoppes côtoyaient les comptoirs, des bâtisses sordides se collaient aux maisons somptueuses, des temples de marbre géants aux colonnes blanches étincelantes gobaient des loggias plus petites, carrelées et dorées, qui abritaient les dévots.

La cité éternelle incarnait une fresque de couleurs. Granit rouge et gris, albâtre, porphyre, pourpre, marbre noir, jaune et cipolin, pierres blanches. Même les statues étaient peintes dans des tons criards, certaines drapées d'étoffes dont la teinte vous piquait les yeux.

Au-delà du choc visuel, le choc olfactif. La puanteur donnait à Oldric des fourmis dans l'estomac. Il se languissait de l'air pur et vivifiant de son pays, de l'odeur piquante des pins. La douceur de la viande en train de cuire se mêlait à la pestilence du fleuve Aether. Une femme jeta le contenu de son pot de chambre par la fenêtre depuis le deuxième étage d'une bâtisse, manquant de peu un esclave qui portait des fagots. Un autre eut moins de chance. Trempé, il se mit à injurier à la femme, qui, avec une indifférence étonnante, posa son baquet de côté et commença à étendre du linge sur une corde.

L'Estanien aspirait à la simplicité de son village et au confort de sa longère en rondins. Il aspirait au silence. Il aspirait à l'intimité.

Les badauds les dévisageaient, lui et les autres dans la carriole. Parce qu'ils progressaient lentement dans la circulation dense, la populace avait tout le temps de s'approcher et de faire des commentaires. Un homme tendit sa main à travers la cage et caressa la cuisse d'Oldric. Ce dernier se redressa, les crocs à l’air, ne voulant rien d'autre que briser le cou de cet impudent. Mais les chaînes l'en empêchèrent.

Lorsque le chariot franchit les portes de la caserne, le serf se sentit étrangement soulagé.

La Grande École ne différait de la caserne de Philippos que par son nom et son étendue, mais se structurait de la même manière, autour d’une grande bâtisse rectangulaire. Une cour s'ouvrait au milieu, où les hommes s'entraînaient. Un passage couvert encerclait la cour et donnait sur les cuisines, l’armurerie, le cabinet des allopathes, les quartiers des instructeurs et des gardes. Une immense herse permettait d’accéder aux cellules des esclaves et aux prisons proprement dites. Oldric remarqua un minuscule cachot d'isolement où un homme n'avait la possibilité ni de s’asseoir, ni d’étendre ses jambes.

Même après la fermeture des portiques, l'on pouvait entendre les bruits de la ville. Il faisait sombre, maintenant que le soleil s'était couché, et des torches éclairaient leur chemin. Oldric lutta contre le désespoir qui l'envahissait tandis qu'on l'emmenait dans ses quartiers. Même s'il parvenait à s'échapper de cet endroit, il devrait se frayer un chemin à travers la cité, passer les propylées et les gardes. Et même s'il parvenait à sortir d’Aetherna, il était si loin de sa patrie qu'il ne savait pas comment y retourner.

Il commença à comprendre pourquoi chaque homme était fouillé avant d'entrer dans sa cellule, et pourquoi les gardes se relayaient toute la nuit pour inspecter les cachots.

Ici, la mort ressemblait à une amie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nono NMZ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0