21. Oraison nocturne (1/2)

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                                   Kallian.




Agité, Kallian se leva de son lit. Écoutant le bruit des grillons au clair de lune, il passa sa main sur sa poitrine nue et contempla le péristyle. Le sommeil ne le visitait pas, alors que rien en apparence ne semblait le troubler. Le projet de construction de dromons pour la flotte impériale se déroulait sans encombre. Pandore avait quitté la capitale pour quelques semaines, le débarrassant de sa présence et de sa jalousie. Il avait passé une soirée avec ses amis, puis avec sa famille, à se délecter des grognements d’Ikarus.


L’air était frais en dessous de la triple arche voûtée au nord de la cour, vers les jardins. Le prince erra dans les allées, son esprit divaguant d’une chose à l’autre, des troncs à acheminer depuis la forêt d’Estanie, à l’impératrice et sa possessivité irritante, jusqu’à Ikarus et sa désapprobation de tout.


Le treillis recouvert de roses embaumait l’air de son doux parfum. Peut-être était-ce Julia qui l’inquiétait. Sa nièce contestait avec virulence son mariage. Elle avait fondu en larmes, criant qu’elle le détesterait à jamais s’il acceptait d’épouser Dione. Puis elle s’était cloîtrée dans sa chambre en compagnie de son étrange servante.


Un mouvement attira son attention. Une silhouette sortait de la porte du péristyle, furtive, marchant le long du sentier non loin du grillage. Kallian reconnut la petite esclave Shulamite.

Que faisait-elle à l’extérieur à cette heure tardive ?

Inaperçu, il la regarda remonter l’allée. Cela ne ressemblait pas à une tentative d’évasion, car la jeune fille se dirigeait à l’opposé de la porte du mur occidental. Elle s’arrêta à la large jonction de deux chemins pavés puis tira son châle au-dessus de sa tête, s’agenouilla sur les pierres, avant de joindre ses mains et de s'incliner. 

  Les yeux de Kallian s’écarquillèrent.


Elle prie son dieu invisible.




Curieux, le prince se rapprocha. La gamine se tenait immobile, les paupières closes, son profil visible au clair de lune.




Soudain, avec un doux gémissement, la petite esclave s’étendit face contre terre sur les pierres, les bras tendus, et il l’entendit alors, murmurant des mots dans une langue qu’il ne comprenait pas.




Kallian avait souvent vu Bérène invoquer les divinités de la maison, dans le sanctuaire, mais elle ne s’était jamais prosternée. Dévouée, elle allait chaque matin déposer des gâteaux de sel en offrande et demander la protection de sa famille. Ikarus, lui, avait cessé de prier depuis que la fièvre d'été avait emporté ses deux fils.




La serve se leva.



Petite et mince, son apparence jurait avec celle de Bithia, toute en courbes, avec une bouche pleine et des yeux sensuels.







— Tu ne devrais pas être dans le jardin à cette heure de la nuit.

Elle sursauta au son de sa voix pour se figer la seconde d’après. Kallian s’avança. Le corps tendu, les doigts de la jeune fille se replièrent sur le voile descendu autour de ses épaules.




—Est-ce ta pratique habituelle ? Prier ton dieu tous les soirs quand la maison dort ?




Il pencha la tête d’un côté, essayant de lire l’expression de son visage.




— Son Altesse me l’a autorisé.




Sa voix tremblait ostensiblement.


—Ma belle-sœur ou Julia ?

Elle leva les yeux vers lui puis les baissa aussitôt.

—Son Altesse Bérène, maître.

— Tant que cela n’interfère pas avec tes devoirs envers ma nièce.

— Princesse Julia dormait quand je suis partie, maître. Je ne l’aurais pas quittée autrement.


Kallian l’étudia pendant un moment. Qu’y avait-il chez ces Shulamites pour qu’ils se prosternent devant une déité ? Cela n’avait aucun sens.

Il n'était pas sûr de faire confiance à cette fille ou de la vouloir dans le palais. Elle était un produit de la destruction de Tel-Sayaddin et avait donc des raisons, sinon le droit, d’haïr l’empire.

— Je tolère toutes les religions, sauf celles qui prêchent la rébellion. La soif de Shulam pour le sang égéen ne s’est jamais cachée. En conséquence, votre ville sainte se trouve détruite aujourd’hui.




La servante ne répondit pas. Il ne vit que de la consternation sur ses traits. Se rapprochant pour mieux l’observer, elle recula d’un bond prompt et soudain.


Ma nudité la dérange, se rendit-il compte.

Le prince ne portait qu’une simple tunique de lin. Depuis combien de temps n’avait-il pas vu une jouvencelle gênée par quoi que ce soit ?




Une vierge, en effet, comme l’a affirmé Procos.




— N’aie pas peur, fillette. Je n’ai pas le moindre désir de te toucher.

La pensée récurrente des menaces de Pandore veillait effectivement à tuer toute envie en lui.


La gamine cligna des paupières, quelque peu hébétée, et Kallian s’émerveilla de la chaleur de ses yeux bruns dorés. Elle avait pris du poids au cours des dernières semaines. De petites boucles brunes retombaient à présent sur son front.




— Puis-je retourner à la maison, maître ?

— Pas encore.

Ses paroles étaient sorties plus durement que prévu. La shulamite semblait prête à fuir. Mais, pour ce faire, elle devrait le contourner, et Kallian doutait qu’elle ait le courage d’essayer

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