22. Oraison nocturne (2/2)

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Kallian.

Je la terrifie. Est-ce parce que je suis Égéen, un ennemi de son peuple ? Ou est-ce quelque chose de plus basique ? Nous sommes seuls, et moi, à moitié nu.




—Ton nom. Je l’ai oublié.

— Amarys, Votre Altesse.

—Amarys.

Cela sonnait exotique. Et beau, en quelque sorte.

— Pourquoi persistes-tu à adorer un dieu qui t’a abandonnée ?

Surprise par sa question, ses pupilles s’arrondirent.

—Tu devrais en choisir un autre. Va au sanctuaire, il s’y trouve quantité de dieux bien plus affables.

Ses lèvres se séparèrent, mais aucun son n’en sortit.

—Eh bien ? Tu ne peux pas parler ?


—Mon… Mon Dieu ne m’a pas abandonnée, Votre Altesse, balbutia la serve.

Un rire sardonique s’échappa de la gorge du prince.

—Ton pays est en ruine, ton peuple est dispersé à travers le monde, tu es une esclave, et tu dis que ton dieu ne t’a pas abandonnée ?


— Il m’a gardée en vie. J’ai de la nourriture et un abri. Mes propriétaires ne sont rien de moins que la famille de l’empereur.

Kallian demeura stupéfait.

— Selon toi, il s’agit donc d’une généreuse faveur ? Lorsque tu verras mon frère Kastor, le remercieras-tu de t’avoir capturée ?



Son sarcasme piqua. Néanmoins, la gamine répondit avec la même simplicité.

— J’ai été emmenée à Aetherna pour… servir.


— Tu t’imagines que c’est ce que j’attends de toi ?


Elle baissa la tête.

— Regarde-moi, Amarys.

Lorsqu’elle s’exécuta, le prince fut de nouveau frappé par ses prunelles, brillantes dans ce petit visage ovale.

— Avoir perdu ta liberté t’indiffère, c’est ça ? Dis-moi la vérité !

— Nous servons tous quelqu’un ou quelque chose, mon seigneur.


—Une supposition intéressante. Qui penses-tu que je sers ?

Il prit un ton plus amène quand il la sentit se rétracter.

— Parle sans crainte. Allons, qui penses-tu que je sers ?

—Égée.

Kallian ricana.

— Égée, répéta-t-il. Pauvre folle. Si nous servons tous quelque chose, je me sers moi-même. Je sers mes propres désirs et ambitions. Je réponds à mes propres besoins à ma façon sans l’aide d’aucune divinité.

Pourquoi admettait-il cela à une simple esclave, pour qui de telles choses ne pourraient jamais avoir d’importance ? Et pourquoi Amarys semblait-elle si attristée ?


— C’est le but de la vie, n’est-ce pas ? continua le prince, agacé qu’une bonniche le dévisage avec un air proche de la pitié. Poursuivre et saisir le bonheur, quel qu’en soit le prix. Ne partages-tu pas cet avis ?

Elle resta silencieuse, les yeux baissés une fois de plus, et soudain, il voulut la secouer.

—Qu’en penses-tu ?

La question se transformait en ordre.




— Je ne crois pas que le but de la vie soit d’être heureux, mais de servir. Être utile.

— Pour un esclave.


— Mon père avait l’habitude de dire que nous sommes les esclaves de tout ce que nous adorons.

Ces mots lui firent relever le menton, sa face devint rigide, empreinte de dédain. La gamine comprit qu’elle venait d’offenser son seigneur. Effrayée, elle se mordit la lèvre.

—Donc, selon ta conception des choses, puisque je me sers moi-même, je suis esclave de ma personne. Ai-je bien compris ?

Amarys fit un pas en arrière, le sang désertant son visage.

— Je vous demande pardon, Votre Altesse. Je ne suis pas philosophe.

— Ne te retire pas maintenant, fillette. Dis-m’en plus, je te trouve très amusante.


Il n’était pas amusé.

—Qui suis-je pour que vous me demandiez quoi que ce soit ? Ai-je de la sagesse à vous transmettre ? Je ne suis qu’une malheureuse à votre merci.

Un doigt invisible le titillait. Qu’avait échangé cette gamine avec son dieu invisible pour avoir vécu le sac de Tel-Sayaddin et conservé cet air paisible ?

— Ton père, était-il aussi esclave ?

— Oui. Esclave de l’amour.


Certes, le plaisir pouvait perdre. Néanmoins, une fois consommé, l’on se retrouvait encore affamé de quelque chose d’indéfini. Non, l’amour n’était pas la réponse.

Kallian se sentit soudain épuisé et vide, rongé jusqu’à l’os.




—Puis-je retourner à la maison maintenant, maître ?

—Disparais, ordonna-t-il avec raideur.




Amarys s’éclipsa sur-le-champ. Kallian la regarda s’enfuir en longues foulées précipitées. Il entendit encore le vague tambourinement de ses sandales sur les pierres, bien après que son ombre ne fut plus visible.

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