20.Potins et sous-entendus

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Rys.





Amarys remplit la coupe de sa maîtresse avec du vin dilué et lui tendit un bol d’eau chaude pour rincer ses doigts, tout en se tenant près du divan.


Entre un potage aux poireaux et aux champignons, la conversation passa de la politique aux festivals de saison, puis aux affaires. Bien qu’Amarys restât silencieuse, elle écoutait avec beaucoup d’intérêt, tout en veillant à ne pas le montrer.



Les Valerian intriguaient par leurs débats intenses et leurs mésententes évidentes. Ikarus était rigide et enclin à la colère, surtout envers son jeune frère jamais d’accord avec lui. Julia ne cessait de taquiner et de provoquer. Bérène rappelait à Rys sa propre mère, calme, mais dotée d’une force intérieure qui lui permettait de rassembler la famille lorsque les discussions s’envenimaient.


Plus tard dans la soirée, Son Altesse Olympias arriva toute attifée de soieries d’or, de licteurs et d’esclaves à sa suite. Les deux cousines se ressemblaient étrangement, même si la dernière enfant de l’empereur avait les yeux verts et les cheveux noir corbeau.


—Elle est très peu séduisante, remarqua Olympias en dévisageant l’esclave avec dégoût. Pourquoi ta mère l’a-t-elle choisie ?


Julia se sentit blessée dans son orgueil et leva le menton en signe de défi.

—Elle n’est peut-être pas jolie, mais elle raconte des histoires merveilleuses. Viens ici, Rys. Raconte à ma cousine la vie du roi David et de ses valeureux guerriers.


Julia appréciait les récits que sa servante lui relatait pendant son bain. En quelques jours, une routine s’était installée. La princesse s’allongeait contre le marbre et écoutait la voix calme à l’accent épais de son esclave.

—Le roi David était un jeune berger qui…


—Qui était extrêmement beau !


—Heu… Oui, Votre Altesse, mais Dieu l’a choisi…


— Pour tuer un géant !


—Eh bien, je suppose que c’est déjà ça, concéda Olympias.


Les princesses se promenèrent dans les allées d’orangers et finirent par trouver un banc près de la statue d’Ops. Rys se tenait à distance, tandis que les jeunes femmes chuchotaient. L’éblouissante camérière d’Olympias restait elle aussi silencieuse, même si son regard s’attardait parfois sur les maîtresses avec un intense dédain.


La Shulamite se sentait gênée par les propos sans réserve de la fille de l’Empereur. La concentration de Julia et son empressement évident à saisir tous les mots et toutes les idées de sa parente l’affligeaient encore plus.


—Est-ce vrai que l’oncle Kallian va épouser Dame Dione ?

La joie de Julia s’évanouit.

—Hélas. Comment Père a-t-il pu faire ça ? En plus d’être repoussante, elle va attirer le malheur sur nous comme elle l’a fait sur sa mère !


Les Égéens croyaient que tout enfant qui survivait à la naissance, au détriment de sa génitrice, était condamné à l’infortune. Selon la princesse, il s’agissait d’une des raisons pour lesquelles la promise du prince Kallian demeurait vierge à dix-neuf ans. Rys avait pensé halluciner en écoutant cette assertion de sa maîtresse.

—Il est inconcevable qu’oncle Ikarus se permette de mêler notre sang à la maison de Philippos.

Julia hocha la tête en signe d’approbation. La famille de Dione descendait d’une fille illégitime, nul ne l’ignorait. Olympias aimait à souligner que tous les membres de la noblesse ne provenaient pas d’une longue lignée illustre, rappelant subtilement à la petite princesse son privilège.

—Père a déclaré qu’en dépit de l’absence de sang noble, ils sont prospères.

—Ne sois pas si naïve, Julia.

Olympias rit.

—Certes, Nikanor de Philippos a conservé une partie de la richesse de sa famille en évitant de mettre ses pieds dans le Conseil. Au fond, il n’est peut-être pas défavorable d’être marié à sa fille.

— Je m’en fiche ! L’idée même que Kallian puisse toucher cette femme me rend malade !

—Tu es puérile, soupira la cousine en se penchant vers l’avant et en plaçant sa main sur sa joue.

Embarrassée, la maîtresse de Rys changea de sujet.


—Notre Oncle m’a emmenée aux jeux. C’était passionnant. Mon cœur s’est emballé, et à certains moments, j’avais du mal à reprendre mon souffle.

—Céros impressionne, n’est-ce pas ?


— Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’entiche de lui. Il y en a d’autres beaucoup plus esthétiques.


—Je te suggère d’assister au banquet de pré-fermeture. Il sera vraiment magnifique.

— Je ne le trouve pas attirant à cause des nombreuses cicatrices sur son corps.


Rys repéra avec aisance le mensonge dans les paroles de sa maîtresse.

— La base même de son charme, tu veux dire. As-tu une idée de combien de personnes il a tué ? Chaque fois qu’il me regarde, c’est la seule chose à laquelle je pense.


Amarys ouvrit la bouche sous le choc, puis la referma avant que les princesses ne s’aperçoivent de son écart de conduite.

—Combien ? demanda Julia, intéressée.

—Plus d’une centaine !


La petite princesse ne parut pas s’en émouvoir. Elle loua distraitement les prouesses du guerrier, alors qu’elle flânait avec Olympias dans le jardin.
Une orange s’écroula sous le poids de la maturité, que les deux adolescentes s’empressèrent de ramasser en pouffant.

En les entendant professer leur adoration pour le Monomaque , il naquit en Rys l’étrange sentiment que sa maîtresse oublierait ces jeux sanglants en un instant, dès qu’elle aurait rejoint son oncle.

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