18. Le cadeau

5 minutes de lecture

Rys.

Les quartiers privés du Prince Ikarus s’articulaient autour de deux grands perystiles dont le centre était occupé par un grand bassin. Au milieu du bassin, un temple dédié à Ops, la déesse des foyers, se dressait sur un petit îlot auquel on accédait par un pont de briques.

Au milieu de deux magnifiques jumeaux Xher et de quatre insulaires d'âge mûr, Rys semblait être le cheveu de la soupe. Tous liés par la même corde, ils furent emmenés dans une petite cour carrée construite à un niveau plus bas. La cour était entourée par un portique sur deux étages qui desservait de nombreuses petites pièces et s'ouvrait au sud sur une grande exèdre, qui formait la façade du palais tournée vers un immense jardin.

Un homme au crâne rasé et à la mâchoire coriace les accueillit dans une salle de réception. Il leur donna pour instruction de se tenir droit.

— Vous attendrez ici la maîtresse de maison. Priez qu'elle accepte chacun de vous. Si tel est le cas, vous serez bien traités, car Son Altesse la Princesse Bérène a bon cœur.

La princesse apparut, tournant une marguerite entre ses doigts gracieux, l’air paisible, encadrée par deux camérières. Prenant une profonde inspiration, Rys rassembla son courage lorsqu’elle s’approcha de la file. L’intendant tira la corde d’un coup sec pour leur signaler qu’il fallait s’agenouiller.

— Votre Altesse, commença-t-il une fois que la permission de parler lui fut donnée, je suis revenu avec les esclaves pour inspection. Les cadeaux du Seigneur Procos.

Les présents comprenaient un caisson de pièces d'or, des malles remplies de soieries, des lingots de bronze et des cornes d'ivoire en provenance de Xher, des caisses de myrrhe, une collection de rouleaux historiques pour le vieux prince, deux tonneaux de vin, ainsi que sept serfs.

— Des insulaires ?

—Oui, ma Dame. Mais pas seulement.

L’intendant fit une petite pause.

— Il y a en plus deux Xher et une… qui vient de Shulam.

La bouche de la maîtresse se serra en une ligne dure.

— Mon époux qualifie les Shulamites de race la plus perfide du continent, et Procos m'en apporte chez moi ?

— Une jeune fille, en réalité, ma Dame. Le Seigneur Procos a pensé que… enfin… Il a parlé de Son Altesse Kalliandros…

Une légère ride de colère passa sur le front de la princesse.

— Comment ose-t-il ? Je ne saurais me le figurer dans ma maison !

D’un coup, elle s’avança vers Rys, qui à cet instant souhaita se retrouver six pieds sous terre.

— Qu'en penses-tu ? Sont-ils adaptés aux travaux forcés ?

—Non, ma Dame, répondit sincèrement l'intendant. Les Insulaires sont maladifs et paresseux. Les jumeaux et la Shulamite peut-être, avec l'aide d'une bonne alimentation…

Le regard de la princesse était aussi inconfortable que le collier d'esclave qu'elle portait, et avait le même effet oppressant sur sa respiration. Il y avait une espèce de feu derrière ses prunelles. Rys s’attela à compter les dalles du sol, priant pour qu'aucun de ses gestes ne trahisse sa frayeur.

—La fille, dit doucement la princesse au bout d'interminables secondes. À toi de décider si les autres valent la peine d’être gardés, mais je veux la fille.

Le serviteur fronça les sourcils.

— Si je puis me permettre Votre Altesse, dans quel but ?

— Pour servir Julia.

— Princesse Julia ?

Au même moment, deux individus entrèrent dans la cour, leurs éclats de rire faisant pivoter les pupilles de Rys. L’homme possédait des cheveux noirs de jais retombant négligemment sur son front et ses oreilles. Grand, les épaules larges et la taille étroite, il était vêtu d'une tunique blanche avec une ceinture en cuir finement travaillée. Les lanières de ses sandales coûteuses s'enroulaient solidement autour de mollets musclés. Ses mains semblaient fortes, uniquement agrémentées d’un anneau en or à son index gauche. Celle qui le talonnait, une jouvencelle que Rys supposa être sa sœur, était délicate. Ses cheveux brun-roux s'empilaient en boucles sur sa tête et étaient maintenus par des fils d'or. Elle portait une toge bleue, autour de son cou pendait un lourd plastron de bronze doré.

Les voir rire ainsi lui rappela subitement son frère Dan, ce qui comprima sa poitrine.

La corde se tendit encore, forçant les captifs à s’incliner.

— Mon prince, ma princesse, salua l'intendant.

Le jeune homme dévisagea les sept avec dégoût.

— Encore des esclaves ?

— J’en ai besoin pour le domaine, dit la maîtresse de maison.

— Les avez-vous réellement achetés ? demanda-t-il, abasourdi. Même elle ?

Il jeta un regard moqueur à la jeune captive.

—Je ne t'ai jamais vu gaspiller de l'argent, ma sœur.

—Il s’agit d’un cadeau du Seigneur Procos pour sa nomination au Conseil, répondit Bérène. Oh, et j’ai cru comprendre que la fille t’était particulièrement réservée. Dis-moi, Cher Frère, pourquoi Procos penserait-il qu’une enfant venue tout droit du désert et le potentiel rejeton d’un Fanatique meurtrier, t’intéresserait ?

Le prince se tut.

— La fille servira Julia, reprit la maîtresse, considérant ce silence comme la réponse qu'elle attendait.

La Julia en question regarda sa mère puis Rys et vice-versa.

—Oh, Mère, tu ne peux pas le penser ! Tu m’avais promis une Xher ! Elle n’est pas aussi belle que les Xher ! Je ne veux pas d'une esclave laide ! Je veux une servante comme celle d'Olympias !

—Tu n'auras rien de tel. Glaphyra état moitié Xher, moitié vipère. Les serves d'Olympias sont aussi belles que vaniteuses. On ne peut pas leur faire confiance.

—Alors Bithia ! Pourquoi Bithia ne peut-elle pas me servir ?

—Bithia ne fera pas l'affaire pour toi, objecta la mère.

Le prince sourit ironiquement, mais demeura coi.

Honteuse de la lecture moqueuse de l’Égéen et des protestations pleurnichardes de la jeune fille, la Shulamite voyait sa vie en jeu dans la balance de leur conversation. Elle joignit les mains et garda les yeux baissés, trop consciente que si la maîtresse de maison faiblissait et la renvoyait au marché aux esclaves, elle mourrait.

—Quel est ton nom, enfant ?

—Amarys, Votre Altesse.

— Une Shulamite qui parle égéen et connaît les prédicats honorifiques ? s'étonna la princesse. Sais-tu lire et écrire notre langue ?

Rys hocha la tête.

—Regarde-la, grimaça Julia avec répugnance. Ses cheveux sont coupés comme ceux d'un garçon et elle est si fine !

— Une bonne nourriture lui fera prendre du poids et ses cheveux repousseront.

—Ce n'est pas juste, Mère ! Je devrais pouvoir choisir ma propre servante ! Olympias a choisi les siennes. Elle a un Ifrèque très exotique... dont le père était chef de tribu !

— Cesse donc ces balivernes avec ta cousine. Se jetterait-elle du haut d'une falaise que tu la suivrais aussi ?

— Si je puis me permettre, Votre Altesse, intervint l'intendant, les soldats qui l'ont capturée affirment que cette esclave est la fille d'un grand-prêtre. Elle est née prophétesse pour son dieu invisible et elle peut prédire l'avenir.

Là, le prince laissa échapper un éclat sonore qui retentit dans toute la cour. Amarys jeta un coup d'œil à l’Égéen railleur. Chaque centimètre de lui transpirait l'arrogance.

— Garde-la, finit-il par proposer entre deux gloussements.

—Tu penses vraiment que je devrais le faire ? demanda Julia, surprise.

— Pourquoi pas ? Elle a quelque chose de mystérieux en elle.

Il embrassa Julia et sa mère avant de prendre congé. Alors que ses iris bleus la frôlaient, le cœur de Rys fit un bond. Elle fut soulagée quand il partit.

Finalement, la petite princesse capitula.

—Je vais la garder, dit-elle d’un ton solennel. Viens avec moi, esclave !

—Son nom est Amarys, rectifia doucement Bérène.

— Amarys, alors. Viens !

Et, docilement, la petite esclave suivit sa maîtresse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nono NMZ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0