17. Dissimulation

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Kallian.

— Sa Grâce Pandore vous mande.

La requête n’avait rien de courtoise. Le Garde Impérial l’avait bloqué sur les allées de marbre, dans les jardins du Théatron que surplombait une immense statue à l’effigie de Neptolemos. À contrecœur, Kallian le suivit.

Quelques pas plus loin, il la trouva assise sur un rebord au pied de la statue.

— Votre Grâce, salua-t-il en s’inclinant avec raideur.

— Tu peux nous laisser, Lysandros. Je suis en sécurité auprès de mon frère.

Son timbre était profond et mélodieux.

— La statue a été réfectionnée, commenta l’Impératrice avant de se lever. Mais Procos en a commandé d’autres. Daignerez-vous les admirer en ma compagnie ?

Kallian ne répondit pas, se contentant de tendre son bras. Il n'était guère ému par l’œuvre. Sa belle-sœur le mena le long du chemin aboutissant aux parcs du fond. Dans un parterre de fleurs près du haut mur se trouvait la sculpture d’une jouvencelle aux longs et fluides cheveux. Sa tête était penchée sur le côté, ses yeux cagoulés, ses lèvres entrouvertes pour essayer de respirer. Derrière, un homme semblait vouloir la saisir.

—Contemplez le visage de cet homme. L’on perçoit son désir et sa frustration. Assez... émouvant, n'est-ce pas ?

Étonné de trouver quelque chose d'aussi magnifique en ce lieu saturé par les clameurs de la foule au loin, Kallian étudia l'objet d’art. Les lignes pures et élégantes du marbre blanc témoignaient de l'évaluation aigüe de son accompagnatrice.

—C'est un peu mieux que d'habitude.

—Tu n'as donc aucun œil, Kallian ?

—Il existe une douzaine identique dans le palais impérial, votre Grâce.

—Mais aucun d’aussi évocateur.

En effet, la donzelle semblait si réaliste qu'il avait l'impression que s'il la touchait, elle aurait chaud.

—Procos affirme qu’il a fait ériger l'homme par souci de censure.

Kallian rit doucement.

—Depuis quand Procos s’inquiète-t-il d’une quelconque indécence ?

—Il ne souhaite pas offenser les traditionalistes à un moment aussi sensible de sa carrière politique.

— Ses artisans ne sculptent que des femmes corpulentes.

— Voluptueuses, pas corpulentes. Tu connais sûrement la différence.

Elle le scruta.

— Eos est corpulente.

Il n’apprécia pas le ton autoritaire. Ainsi, les rumeurs avaient trouvé la voie vers ses augustes oreilles.

—« Courbes généreuses » est une bien meilleure description.

Les prunelles de Sa Grâce tournèrent au vert acide.

—Ces racontars sont donc vrais ?

—Est-ce pour cela que je suis ici, Pandore ? Pour discuter du caquet de bonnes femmes ?

Le menton de la souveraine se leva. Ils avaient presque la même taille, aussi lui suffisait-elle de hisser son chef pour plonger ses pupilles dans les siennes.

—Ne te moque pas de moi, Kallian. Je sais que c'est vrai. Eos en semble plutôt fière, d’ailleurs.

— Raison pour laquelle tu as gentiment soufflé à ton époux l’idée de la marier à un idiot…

— Que veux-tu dire ?

— Le fils de l’Archonte est plus occupé à se gaver de foies d'oie qu’à considérer sa fiancée. C’est la proposition la plus sotte jamais sortie de ta cervelle.

Pandore se raidit.

— Du coup, elle était mûre pour ta cueillette, c'est cela ? Je suppose que tu la rencontrais dans les établissements de Procos pour la consoler de son triste sort !

—Parle moins fort !

Il n'avait fait aucune cueillette. Eos elle-même l'avait approché lors d'un des jeux. Ce n'est que plus tard qu'il l'avait rencontrée chez Procos et qu'ils avaient passé un long et ardent après-midi.

—C'est une truie.

Kallian serra les dents.

—Et toi, ma précieuse Pandore, tu es lassante.

Abasourdie par l'attaque inattendue, elle se figea un bref instant, avant que sa fierté n'éclate et qu'elle tente de le gifler. Kallian bloqua aisément son poignet et ricana de son accès de colère.

— Espèce de chien infidèle !

— Parle pour toi !

L’impératrice recula, le souffle court.

—Que se passe-t-il entre nous, Kallian ? Il fut un temps où tu ne pouvais pas supporter d'être loin de moi.

Et maintenant, c'est toi qui es insatiable.

Kallian décida qu'il valait mieux faire appel à sa vanité.

—Tu es comme la déesse Calanthe. Tu adores la chasse. Tu as su me capturer dans tes filets.

—Mais je ne te possède plus, n'est-ce pas ?

Le prince décela la défaite dans sa voix. Ses yeux se remplirent de larmes qu’elle n’essaya pas d’arrêter. Une méthode pour l'attendrir.

—Je pensais que je signifiais quelque chose pour toi.

—Assurément, dit-il en la prenant dans ses bras.

Il lui releva la tête et l'embrassa. Elle détourna d’abord le visage, toute tremblante. Il l'embrassa à nouveau, la sentant devenir moins résistante.

—Tu es le seul homme que j’aime, Kallian.

La déclaration fut accueillie par un gloussement. Pandore se dégagea de ses bras et le dévisagea, ses larmes oubliées.

—Comment peux-tu rire quand je te dis que je t'aime ?

—Tu es une adorable menteuse. J’en ai presque mal pour mon cher frère.

La bouche courbée, Pandore s'assit sur un banc avant de croiser les jambes.

— Promets-moi que tu ne reverras plus Eos.

—Ce ne sont pas tes affaires.

—Elles le sont. Je refuse que tu m’humilies avec une gamine qui approche l’âge de ma fille. Promets-le-moi, et, en retour, je te garantis qu’il ne lui arrivera rien.

Kallian serra le poing.

—Qu’est-ce que cela signifie ?

—Cela signifie que je suis et demeure l’Impératrice d’Égée.

Voyant son mécontentement, elle se releva puis effleura ses lèvres. L’insensibilité de Kallian le surprit lui-même, face à la sensation de sa peau douce, l'odeur de ses cheveux rappelant la cannelle, le goût sucré et frais de sa bouche.

Il lit la satisfaction dans ses yeux sensuels. Lentement, elle lui caressa la mâchoire avec le bout des ongles.

— Notre histoire ne terminera que lorsque je l’aurais décidé, mon amour.

Sans attendre de réponse, Pandore glissa son bras sous le sien.

—Venez donc, Votre Altesse. Retournons aux jeux. Il serait regrettable que nous rations la prestation des Monomaques.

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