13.Philippos (2/2)

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Rys.

Elle fut emmenée, à l'écart des autres esclaves, dans les bains. Une femme robuste la dépouilla grossièrement de sa tunique en lambeaux. Armée d'une paire de cisailles, la femme commença par mettre à nu le crâne de la jeune fille. Rys, assise, resta aussi figée qu'une statue de pierre tandis que cliquetait l'acier. Des volées de cheveux noirs tombèrent sur le sol. Même sale et emmêlée, sa chevelure brillait dès que le soleil la touchait.



— Reste là jusqu'à ce que je te dise de te laver.



La pommade brûlait comme du feu. Après plusieurs minutes atroces, la femme lui donna un petit morceau de savon noir puis lui ordonna de passer dans la pièce voisine, où se trouvait le reste des esclaves.


—Frotte-toi bien ou je le ferai à ta place.



La jeune fille obéit, reconnaissante de se débarrasser de la crasse qui s'était accumulée sur son corps pendant le long voyage. La pommade avait tué la vermine. On l'aspergea d'eau glacée afin qu'elle puisse supporter la chaleur des bains, puis Rys pénétra dans une vaste salle où se trouvait un immense bassin de marbre blanc et vert. Un garde étant présent, elle se précipita dans l'eau pour cacher sa nudité. L'homme la remarqua à peine.


L'eau chaude apaisait la peau brûlante. Elle n'avait jamais été dans un bain égéen auparavant et regarda autour d'elle, émerveillée. Les murs étaient couverts de fresques murales si merveilleusement belles qu'il fallut un moment à Amarys pour réaliser que les scènes représentaient des dieux païens séduisant des femmes terrestres. Ses joues s'enflammèrent et elle tourna son visage sur le côté.

Le garde lui ordonna, ainsi qu'aux autres, de sortir de la piscine et de se rendre dans une autre pièce où on leur donna des serviettes pour se sécher. La femme robuste distribua des vêtements. Rys passa par-dessus sa tête une simple tunique de couleur fauve et une robe de dessus brun foncé. Elle enroula deux fois le tissu rayé rouge et brun autour de sa taille et le noua solidement. Les longues extrémités effilochées pendaient contre sa hanche. Un tissu brun clair servit à draper sa tête nue. Enfin, elle reçut un étroit collier de cuir sombre, d'où pendait un anneau de laiton assez gros pour y faire passer une corde. Le collier de l'esclave.



Le soldat égéen et le propriétaire des lieux entrèrent lorsqu'elles eurent terminé. Arrivant devant Rys, ce dernier la scruta attentivement.

— Celle-ci, je la garde pour Procos, dit le soldat en la désignant.

Silencieux, l'homme souleva une ardoise et y inscrivit quelque chose avant de passer au suivant.

Rassemblée en cordée, la marchandise fut emmenée dans une grande allée couverte de tentes à l'intérieur du marché aux esclaves. Le propriétaire discuta avec un commissaire-priseur et convinrent d'une commission. Un colporteur sortit alors sur le quai pour appeler le premier client.

— Les voici, mon seigneur. Les meilleures captives du prince Kastor aux prix les plus bas !

Le seigneur en question avait des épaules rondes, des jambes fines et un petit ventre bedonnant. Son visage aimable et pensif dégageait une certaine force tranquille, et ses yeux étaient clairs. Il entra, encadré d'un garde et d'un accompagnateur, un homme maigre vêtu de robes délavées.

Le propriétaire détacha Amarys et lui ordonna de se tenir debout sur une immense table ronde en forme de tour de potier. Un esclave à moitié nu se tenait debout, une corde sur sa large épaule, attendant l'ordre de la faire tourner.

— Galen, appela le noble. Nous revoilà donc…

L’interpellé s'inclina avec raideur.

— Comme promis, seigneur Procos. Je suis ici pour rembourser ma dette.

— En me vendant des esclaves ?

— Une esclave de grande valeur, pour l'un de vos établissements.

Le coeur d'Amarys se pinça de déception. Elle s'était persuadée que Dieu avait envoyé le soldat pour la préserver de tout mal. Depuis qu'il lui avait donné les grains à Tel-Sayaddin, il l'avait personnellement prise sous son aile, l'avait défendue contre ceux, trop nombreux, qui tentèrent de briser son innocence. Au port de Qhurat, jusqu'à Philippos, elle dormait près des cabines des Égéens. Tout l'équipage, elle y compris, semblait avoir convenu qu’elle appartenait à Galen, et à lui seul. Aussi priait-elle, puisqu'il fallait choisir un moindre mal, qu'il ne la revende pas après avoir usé d'elle, mais la garde dans sa maisonnée. Elle comprit avec amertume que toute cette attention ne remplissait qu'un but spécifique.

Maudit soit l'homme qui met sa confiance en l'homme.



Procos détailla Rys telle la marchandise qu'elle était, mais ne la toucha pas. Son accompagnateur s'en chargea, palpant les bras, les joues, le ventre, les épaules, inspectant les dents. Elle ne provoqua aucun émoi sur le visage du seigneur.

— Elle est petite et maigre, argumenta Galen, mais elle a fait la marche depuis Tel-Sayaddin jusqu'à Qhurat, alors elle est forte... Au moins, elle fera une bonne esclave domestique ! Elle vaut quarante aigles d'argent.

— Les Shulamites ne sont pas des esclaves de grandes valeurs.

La voix du soldat sembla s'enrouer.

— Celle-ci est vierge ! Certains de vos illustres clients se l’arracheront !

— Et donc tu espères l'échanger contre ta femme ?

Rys se tint droite, les yeux fixés devant elle tandis que la roue était tournée de manière à ce que le seigneur puisse voir toutes les facettes de l'article.

— Qu'on m'apporte un œuf, exigea-t-il.

Le propriétaire disparut un moment puis revint avec un œuf de poule logé dans une assiette de bois. Il le présenta avec déférence. Le garde qui le secondait s'en saisit puis se dirigea vers Rys.
Brusquement, et avant qu'elle n’eût le temps de comprendre, il écarta d'une main ferme ses cuisses et introduisit l'œuf à l'intérieur. Le propriétaire vint par derrière lui saisir les mains pour empêcher toute tentative de recul. Amarys laissa échapper un hurlement d'effroi. L'œuf forçait l'entrée de son hymen sans parvenir à le faire céder. La jeune fille gesticula, pleura, essaya de toute la faible force qu'elle possédait de se dégager de la prise, de replier son autre cuisse, sans résultat.

Au bout de ce qui parût une éternité, le garde retira son instrument de torture. L'homme maigre, qui avait observé la scène avec minutie, se retourna vers le seigneur et esquissa un signe de tête affirmatif.

— Vingt-cinq, dit Procos.

— Elle vaut bien plus que cela ! s'indigna Galen. C'est largement en dessous de ce que je vous dois !

— Vingt-cinq, répéta le seigneur. Considère ceci comme étant de la miséricorde de ma part. Tu t'es moqué de moi, en me faisant voyager d'Aetherna à Philippos pour une Shulamite mal nourrie.

Le ton, pourtant calme, renfermait quelque chose de menaçant. Rys, à bout de souffle, le corps agité de spasmes de terreur, observa le soldat planté là sans mot dire, le visage froncé par la contrariété.

L'homme maigre la prit. Elle descendit de la roue et se tint devant lui, toute tremblante. Lorsqu'il lui retira le tissu de la tête, elle leva les yeux juste assez longtemps pour le regarder dans ses prunelles consternées.

— Quel dommage qu'ils lui aient rasé la tête...

— Par respect pour ton père et les liens qui nous unissent, reprit Procos à l'adresse de Galen, je réduis ta dette de ces vingt-cinq aigles d'argent. Il te reste soixante jours. Dans soixante jours, si tu ne rembourses pas la totalité de ce que tu me dois, ta femme sera la plus grande prostituée qu'Aetherna n'ait jamais vue.

Sur ce, Procos tourna les talons. L’acolyte grommela quelque chose en prenant la corde qui liait les poignets de l’esclave, et rejoignit le noble d'un pas vif, suivi du garde, le long du quai. Rys faisait deux pas lorsqu'ils avançaient d'un seul. Son flanc lancinait. Elle voulut prier, mais les pleurs la submergèrent.

— Cesse donc cela, intima l'homme maigre. Si tu irrites le Seigneur Procos, ta vie sera bien plus courte que tu ne l'imagines.

— Si Dieu veut que je meure, alors je mourrai. Aucun pouvoir sur terre ne peut changer cela.

Des mots simples, prononcés en sanglots, mais qui eurent pour effet de cloîtrer l'homme maigre dans un étrange silence. Ses lèvres se serrèrent.

— Il n'y a qu'un seul vrai pouvoir sur cette terre, ma fille, et c'est le pouvoir d'Égée.

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