14. La marque d'Égée

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Oldric.

Les chaînes claquant et les menottes s’enfonçant dans ses chevilles, Oldric fut forcé de descendre du chariot à l’intérieur des portes de la caserne. Il bougeait lentement, souffrant des coups qu’il avait reçus après sa dernière tentative d’évasion.

Malcenas avait acheté neuf autres hommes sur la route vers le sud, dont plusieurs uniquement pour leur taille. Oldric apprit rapidement qu’ils n'avaient pas le cœur pour le sang, ni l’esprit pour le bon combat. Comme des bêtes de somme, ils suivaient tous les ordres donnés. Le guerrier estanien les méprisait.

— Faites la queue, somma un garde en balançant son fouet.

Le dos du guerrier était lacé de picotements. Maugréant, il se mit en rangs.

— Tenez-vous droits !

Malcenas longea la file d’hommes enchaînés. Les autres captifs gardaient les yeux baissés en signe de soumission, à l’exception d’Oldric, qui écarta les jambes et regarda ouvertement le marchand, montrant toute la haine qu’il ressentait en lui. Le garde lui posa son fouet sur les épaules. Hormis un sursaut, le jeune homme ne modifia pas son comportement.

—Assez, dit Malcenas avant que le fouet ne soit à nouveau utilisé. Je ne veux pas qu’il soit marqué plus qu’il ne l’est déjà.

Consumé par la douleur, l’estanien plissa les paupières à cause de la lumière du soleil, essayant d’étudier son environnement et de juger toute possibilité de fuite. De hauts et épais murs de pierre entouraient la forteresse. Des barres de fer, des portes lourdes et des cerbères armés auguraient l’avenir de servitude forcée envers son ennemi. Devant lui, des hommes s’entraînaient pour l’arène.

Alors, ils espèrent faire de moi un Monomaque, c’est cela ?

L’instructeur était facile à repérer, car il était grand, puissamment bâti, portait une tunique en cuir lourdement blindée et était le seul à porter un glaive, qui restait dans le fourreau à sa ceinture. C’était plus pour l’apparence qu’autre chose. Il n’en avait pas besoin pour se protéger ou pour faire respecter ses ordres.

Malcenas remarqua où était fixé le regard du jeune estanien et sourit avec malice.

—C’est Tharacus. Ennuie-le comme tu m’as ennuyé ces dernières semaines et il t’en cuira. Il est connu pour avoir tranché la gorge d’un esclave uniquement pour donner l’exemple.

Oldric avait appris un peu d’égéen au cours de ses quelques semaines de captivité, mais il ne se soucia pas de la menace de Malcenas. Il fit un mouvement brusque comme pour attaquer le marchand et se moqua de sa retraite rapide. C’était le seul plaisir qui lui restait : voir un homme qui se disait « maître » reculer de peur devant lui.

—Je te noierais volontiers dans une tourbière, ricana-t-il en estanien.

Le visage rouge de rage, Malcenas attrapa le fouet et frappa Oldric à la poitrine, lui arrachant la peau. Le guerrier ne bougea pas. Il toisa l'esclavagiste puis cracha à ses pieds.

—Skorpio arrive, annonça l’un des cerbères lorsque le marchand voulut multiplier les coups.

Oldric regarda un homme flanqué de deux gardes. Il avait l’air d’un soldat, mais était habillé comme un aristocrate. Après une brève lecture, Oldric reporta son attention sur les hommes qui s’entraînaient derrière un mur grillagé. Il s’agissait d’un lot mélangé, importé des confins de l’Empire. Des Nordiens tatoués de la Borée, des insulaires au teint olivâtre, des Shulamites à la peau foncée, tous bougeaient à chaque ordre crié. Équipés d’épées en bois, ils effectuaient leurs exercices, chacun se déplaçant à l’unisson au son de la voix grave de Tharacus.

—Poussez, parez, balancez haut et rond, bloquez, tournez, poussez. Encore une fois !

Plus il étudiait l’enceinte, cherchant à nouveau des moyens de s’échapper, plus ses espoirs s’amenuisaient. Il n’avait jamais vu de place aussi fortifiée. Il y avait des reîtres partout, certains le regardant comme s’ils pouvaient voir son esprit et étaient prêts à le lui arracher.

Le rire de Malcenas grinça.

—Eh bien, Skorpio ? minauda-t-il. En voyez-vous un qui correspond à vos besoins ?

Conscient que le riche propriétaire avait fixé son attention sur l’estanien, il ajouta en se frottant les mains :

—Il est avenant, n’est-ce pas ?

—La beauté ne m’intéresse pas, rétorqua Skorpio. L’endurance est bien plus rentable.

—Il la possède.

—Où l’as-tu obtenu ?

—À la frontière au nord-est. Il était le chef d’une des tribus des Montagnes et a tué plus de vingt soldats dans une seule bataille.

—Une exagération typique. Il est trop jeune pour commander.

Skorpio scruta la file. Oldric perçut la nervosité du marchand, la sueur perlant sur son front et sa lèvre supérieure, son regard revenant fréquemment vers ses cicatrices. De toute évidence, il avait hâte de se débarrasser de lui.

—Il a reçu plusieurs coups, observa l’aristocrate quand il revint vers l’estanien. Pourquoi ? S’est-il opposé à tes avances ?

Malcenas ne fut pas amusé.

—Il a tenté de s’enfuir. Quatre fois.

Les sourcils de Skorpio se levèrent.

—Quatre tentatives ?

Il resta silencieux un instant.

— Le barbare a un certain air, je te l’accorde. On dirait qu’il se damnerait rien que pour boire ton sang. Je vais le retirer de tes mains pour trois cents aigles.

—Parfait, accepta Malcenas sans hésitation. Et les autres ?

—Juste lui.

Le front plissé, le négociant recula d’un pas et ordonna à ses gardes de retirer les chaînes des jambes d’Oldric.

—Assurez-vous que ses mains soient solidement liées derrière lui avant de retirer les attaches aux chevilles.

Skorpio rit avec dérision, mais le marchand s’en ficha comme d’une guigne.

Sa respiration s’accélérant, Oldric se tint placidement alors que les serrures étaient libérées et que les chaînes passaient à travers les anneaux des autres esclaves. Une chance, c’est tout ce qu’il aurait. Une seule. Ingvar le verrait mourir en guerrier. Un garde fit glisser les liens, libérant quatre autres esclaves avant de l’atteindre.

Un deuxième souffla dans son cou :

—Tu essaies n’importe quoi, et je te matraque comme le chien que tu es.

Il tira violemment les attaches autour des poignets d’Oldric pour s’assurer qu’elles étaient bien fixées.

Alors que ses menottes se déliaient, le sang d’Oldric s’enflamma. Enfonçant tout le poids de son corps contre le garde derrière lui, il leva sa jambe et frappa avec son pied l’aine de celui qui le précédait. Il repoussa un autre qui tentait de l’abattre puis se rua vers Malcenas, qui hurla des ordres frénétiques alors qu’il s’enfuyait pour se mettre à l’abri.

Hilare, Skorpio regarda les reîtres du marchand tenter de reprendre le contrôle de l’Estanien. Lorsqu’il devint clair que l'esclavagiste était à deux doigts de tremper son sous-vêtement, Skorpio claqua des doigts.

Deux cerbères se déployèrent de part et d’autre du guerrier, tandis qu’un troisième lui enroula une épaisse corde autour du cou. Avec ses mains enchaînées derrière lui, Oldric ne put briser l’emprise. L’arrivée d’air fut coupée, le sang n’afflua plus vers son cerveau. Le cordon se resserra. Sursautant violemment alors qu’il s’étouffait, il tomba à genoux. Sa vision se brouilla et il tomba en avant alors qu’un genou pesant et dur s’enfonçait au milieu de son dos. La corde fut desserrée, mais pas retirée, et Oldric fut autorisé à alimenter ses poumons brûlants, en avalant au passage une bonne quantité de poussière.

—Relevez-le, ordonna indolemment Skorpio. Sabin, je veux que tu traduises exactement ce que je dis.

Le garde hocha la tête.

—Je m’appelle Skorpio Karpophoros et je te possède. Tu me jureras allégeance, tu me serviras en tant que Monomaque. Si tu me désobéis, je te ferai brûler, ou passer au fil de l’épée. Est-ce que tu comprends ?

Oldric expectora un glaviot sur ses pieds.

Les prunelles de Skorpio se plissèrent.

— Ton empressement à le vendre t’a aveuglé, cher Malcenas. Il vaut bien plus que trois cents aigles d’argent.

Au signal, Oldric fut brutalement battu, mais il dévisageait toujours Karpophoros en silence, refusant de prêter serment. Les coups reprirent de plus belle. Malcenas s’approcha, circonspect, le visage pâle strié de sueur.

—Vous feriez bien de prendre des précautions supplémentaires en cas de problème. S’il ne prête pas serment maintenant, il pensera qu’il vous a vaincu.

Skorpio arrêta les coups avec un petit geste de la main.

—Il y a d’autres moyens de le faire capituler. Je ne souhaite pas briser son esprit, seulement sa volonté.

Le maître jeta un coup d’œil à Sabin.

—Marquez-le et jetez-le dans le trou.

En entendant l'ordre, Oldric poussa un cri de rage, se débattant violemment tandis que les gardes le traînaient vers une porte grillagée. lI fut poussé jusqu’à la forge, où un fer, avec un emblème représentant une épée et une lance croisée au bout, reposait dans des charbons rouges. Il redoubla de violence, indifférent lorsque la corde se resserra. Mieux valait être mort que porter la marque d’Egée.

Le guerrier parvint à écraser un homme contre une table. Celui derrière poussa un juron et ordonna aux deux autres d’affermir la prise. Oldric se retrouva une fois de plus au sol. En l’espace de quelques battements de cils, un fer chaud transperça les couches de peau de son talon. Il hurla à s’en fendre la gorge, alors que la puanteur douce et nauséabonde de sa chair brûlante remplissait l’air.

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