Chapitre 28 - Près du but

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Paris, 15 août 1944.

En ce matin du quinze août 1944, le petit groupe de cinq, dirigé par Mars depuis leur arrivée en Normandie, quitte la ville d'Aubervilliers et prend la direction du dix-neuvième arrondissement de Paris. Les résistants avancent : au milieu des rangs, Kurt ; Mars garde toujours un œil sur l'Allemand, il ne parvient pas à lui faire confiance. Hannah et les autres sont également méfiants mais ils lâchent plus la pression que leur chef de commando. 

Le petit groupe traverse les rues et les avenues, bagages à la main ; ils sont en civil pour ne pas attirer le regard sur eux. Ce qui inquiète Hannah, c'est que Charly se balade avec leurs grosses armes à feu dans son grand sac à dos. S'ils se font contrôler, ils n'ont aucune excuse valable, selon les Allemands, pour justifier le fait que le jeune homme transporte ces armes. C'est l'une des raisons qui a poussé le résistant à endosser ce rôle. Il a prévenu ses camarades que s'il était arrêté, les autres devaient faire semblant de ne pas être au courant de ce que Charly transporte dans son sac ; il prendra alors sur lui, toutes les conséquences de son acte si cela permet de sauver ses amis bien qu'il en doute face à la ténacité des Allemands à défaire la Résistance.

Le panneau indiquant l'entrée de Paris n'est plus qu'à quelques mètres d'eux. Ils y sont enfin. Après tout ce temps, Hannah revient à Paris. Elle pense à la fois à ce moment mais aussi à ce qui s'est passé avant son départ. Le début de la guerre, la défaite du pays, son entrée dans la Résistance, ses missions, sa rencontre avec Friedrich, le jeu qu'elle a mené à son encontre, sa rencontre avec Romain, son travail d'équipe avec le jeune homme, la disparition de Pierre, l'arrestation d'une grande partie du groupe, la mort de Pierre puis celle d'Henry, son internement à Drancy, sa déportation à Auschwitz, ses adieux à Romain avant d'être rapatriée en France, son sentiment d'étouffement à Paris, son départ à Lille puis vers la Normandie, sa participation au débarquement, la libération progressive des villes et villages, l'exécution de l'un de ses geôliers, l'avis de recherche lancé par Friedrich, Kurt ; et la voilà maintenant, après avoir vécu toutes ces choses, de retour là où tout a commencé.

Hannah stoppe ses camarades, elle regarde au loin les avenues de la capitale, nostalgique. Elle se retourne vers ses camardes, intrigués par son arrêt brutal.

- Laissez-moi faire le premier pas s'il vous plaît, leur dit-elle avec une petite voix.

Mars et Charly se regardent avant de se reposer sur la jeune femme.

- Il n'y a aucun souci pour cela. Tu peux marcher devant si tu le souhaites, lui répond le chef du groupe. 

Hannah remercie Mars d'un mouvement de tête. La jeune femme se retourne et commence à faire disparaître les quelques mètres de distance qui la séparent de la capitale. Elle marche, la tête haute et ses épaules franchissent le panneau et la ligne de démarcation entre Paris et Aubervilliers. Ses camarades la suivent juste derrière et tout le groupe entre dans la capitale française. Les voilà donc dans le dix-neuvième arrondissement. La première étape est de trouver un endroit où dormir pour les jours qui vont suivre. Hannah a une ressource, un camarade de l'université dont elle sait qu'il fait partie des rangs de la Résistance. Maintenant, il faut espérer qu'il soit toujours en liberté, non surveillé et surtout en vie. Le jeune homme, ami d'Hannah habite à cheval entre le dix-huitième et le dix-neuvième arrondissement, non loin de l'appartement de Romain. Alors le commando prend la direction du foyer en question qui est tout près de leur position actuelle. Ils y arrivent sans difficultés. Pour s'assurer que le lieu est sécurisé, Hannah décide de se rendre d'abord seule chez son ami. Les autres s'installent dans un petit jardin non loin de là en prenant soin de dissimuler leurs bagages. Hannah arrive devant la grande porte de l'immeuble ; comme avant son départ, cette dernière est toujours cassée et le système de verrouillage ne fonctionne pas. Elle pousse la lourde porte, entre et commence à monter les escaliers. Arrivée au troisième étage, elle sonne à la porte qui ferme l'appartement de Jules. Des bruits de pas se font entendre et la porte s'ouvre sur l'ami de la jeune femme.

- Hannah ? dit-il surpris par la venue de la résistante.

- Bonjour mon ami, tu ne rêves pas, je ne suis pas un fantôme.

- Attends, entre.

Jules s'écarte de la porte pour laisser Hannah pénétrer dans l'appartement. Il referme la porte d'entrée, à double tour puis il se retourne vers son amie.

- On va aller s'assoir dans le salon et tu vas tout me raconter. 

Le jeune homme passe devant Hannah et se dirige vers le salon. La résistante le suit dans la petite salle de séjour parisienne. D'un signe de la main, il lui propose un fauteuil où s'assoir ; Hannah prend place suivie par Jules qui s'installe en face d'elle.

- Où étais-tu ? demande le Français. On m'a rapporté que tu as quitté Paris il y a plus de trois mois.

- Avant de tout te dire, je dois m'assurer que personne ne nous écoute.

- Ne t'inquiètes pas, je suis toujours prudent. A priori, personne ne me soupçonne d'être de la Résistance ; j'ai réussi à faire profil bas.

- Bien, dans ce cas je peux me lancer.

- Je t'écoute.

- Après mon internement à Auschwitz, j'ai été assignée à résidence, je ne pouvais plus sortir comme je le voulais bien que les premiers jours, Friedrich m'avait laissé faire. Je n'en pouvais plus, j'étouffais, ce n'était plus possible pour moi de rester ici et cela, Friedrich l'a bien compris. Alors il m'a permis de partir à Lille chez la mère de Romain : tu te souviens, c'est le résistant avec qui j'ai travaillé pendant quelques mois ; lui est toujours en Pologne. Je suis donc partie mais les choses ne se sont pas vraiment arrangées car un des anciens SS qui servait sous les ordres de Friedrich était aussi à Lille. Arnaud et Nicolas, enfin Vienne m'ont donc fait embarquer pour la Normandie ou j'ai préparé, avec d'autres résistants, le soutien pour les Alliés lors du débarquement. J'ai participé à l'opération Neptune et on a libéré quelques villes ce jour-là ; malheureusement on a subi des pertes aussi, dont celle de Vienne. Après cela, Mars, le chef de mon groupe, a décidé, avec l'accord du gouvernement, d'entamer une descente progressive pour rejoindre Paris afin de pouvoir participer à la libération de la ville.

- Tu as vécu vraiment beaucoup de choses. Et je suis désolé pour tes amis qui sont tombés.

- Oh, comme on dit, si tu tombes, un ami sortira de l'ombre à ta place. Tant qu'il y a des résistants, il y a de l'espoir.

- Je suis entièrement d'accord avec toi. Mais donc tu te déplaces avec un groupe ?

- Oui et d'ailleurs, ils sont dehors, je suis partie en reconnaissance, en quelque sorte. On a besoin que tu nous héberges quelque temps. Je ne sais pas ce que sont devenus l'appartement de Romain et la boutique d'Henry mais je ne préfère pas y retourner. En ce qui concerne mon appartement, je pense que Friedrich y est toujours. Pour celui qu'on occupait avec le réseau, j'imagine aussi qu'il ne vaut mieux pas s'y aventurer.

- Oui tu as raison, cet appartement a été réquisitionné par la Gestapo et ils s'en servent pour espionner la Résistance. En ce qui concerne tes amis et toi, vous pouvez rester ici, il n'y a pas de problème.

- Je dois juste t'avertir de quelque chose.

- Quoi donc ? 

- Nous avons un SS avec nous.

- Un Allemand ?

- Oui, mais on a réussi à le retourner contre son camp et grâce à lui on a obtenu des informations sur certaines actions de l'ennemi notamment sur les défenses de Paris qui sont vulnérables si l'attaque vient de l'intérieur.

- Et tu es sûre qu'il ne vous tend pas un piège ?

- Pour l'instant rien ne semble aller dans ce sens mais au moindre problème il sera exécuté.

- D'accord. Donc il faut une attaque qui provienne de l'intérieur.

- Cela permettra plus facilement aux Alliés de rentrer dans Paris, si les Allemands sont déjà occupés avec une insurrection.

- Et comment on lance ce combat ?

- Il faut transmettre le plus discrètement l'information à tous les Français antiallemands de la ville ; de manière orale de préférence, cela évitera que l'ennemi tombe sur un bout de papier où notre plan est inscrit. Mais il vaut mieux discuter de tout ça avec les autres.

- Oui tout à fait, où sont-ils exactement ?

- Dans un jardin.

- Alors allons les chercher et on organisera tout cela.

Jules se lève suivi par Hannah ; les deux résistants ne perdent pas de temps et quittent l'appartement pour aller chercher le reste du groupe. 

Une fois les présentations faites et le commando revenu dans l'appartement parisien de Jules, Hannah décide de ne perdre aucune minute et fait état de ses idées aux autres.

- Nous devons lancer une insurrection dans Paris dans les jours qui viennent. Vu le climat qui rode dans la capitale, je pense que les autres ont les mêmes idées en tête que nous.

- Quel genre de climat ? demande Charly.

- De nombreuses professions, notamment la police et la gendarmerie se sont mis en grève, les Allemands n'ont plus le soutien de nos forces de l'ordre. 

- Il faut entrer en contact avec les autres résistants, les chefs de groupe de préférence, pour savoir ce qu'il en est, intervient Arnaud. Sachant que l'avancée Alliée est devenue très rapide, il n'y a plus aucun doute sur le fait qu'ils seront bientôt là.

- Il faut détourner l'attention des Allemands alors, ajoute Mars.

- Oui c'est pour ça que je parle d'une insurrection. Leurs forces sur Paris ne sont pas suffisantes pour contenir un problème à l'intérieur et un autre à l'extérieur.

Kurt, assis dans l'un des fauteuils, écoute attentivement le plan des résistants. En face de lui, Jules le regarde, méfiant. Pour le Français, un loup ne devient pas aussi facilement un agneau et il est plus que probable que l'ancien SS les trahisse. 

Le groupe continue de faire des propositions pour contrer les Allemands dans la capitale. Rapidement, Arnaud prend la décision de quitter l'appartement et de se rendre chez d'autres résistants pour connaître les projets des membres du mouvement. 

Le temps passe et les discours antiallemands s'accentuent dans le petit appartement ce qui déplait à Kurt qui grince des dents à l'abri des regards. Le soldat se lève et demande à aller aux toilettes. Jules lui indique le chemin à prendre et l'Allemand disparait du champ de vision des quatre résistants. Persuadé que l'homme ne peut les entendre, Jules se penche vers ses camarades pour leur parler à voix basse.

- Je ne peux pas faire confiance à cet homme, commence-t-il, vous l'avez vu se tortiller dans tous les sens pendant qu'on parlait en mal de son pays. 

- Oui enfin, je réagirais pareil si on parlait de cette manière de la France, répond Charly.

- C'est difficile à dire, ajoute Hannah. Combien de fois Karl a dit du mal des Français devant moi, pourtant je n'ai jamais tiré la grimace alors que quand Friedrich le faisait, je le reprenais. Ce cher Kurt est peut-être juste un bon patriote qui aime son pays. 

- Alors pourquoi l'avoir trahi ? demande Jules.

- La dictature sans doute.

- Quoi qu'il en soit, il n'est pas digne de confiance. Bon voulez-vous boire quelque chose ?

Les camardes d'Hannah répondent d'un oui bref et la jeune femme les suit. Jules se lève et part en direction de la cuisine. Charly se lève à son tour pour récupérer une babiole dans ses affaires posées dans l'une des chambres. Quelque temps après, un bruit de verre qui se casse se fait entendre. Mars et Hannah relèvent la tête en direction de la cuisine. Kurt se tient derrière Jules avec un couteau placé sous la gorge du Français. Il s'avance dans le salon en regardant droit dans les yeux des deux résistants.

- Apparemment, je n'ai pas su être suffisamment convainquant. Mais tant pis, j'ai les informations dont j'ai besoin et le chef de la Gestapo sera très ravi d'entendre vos projets. Laissez-moi partir et je ne ferai aucun mal à ce petit insolent.

Mars regarde Hannah, aucun des deux ne prononce un seul mot. Les deux résistants reculent et se dirigent vers le fond de la pièce pour laisser Kurt atteindre la porte d'entrée. L'Allemand scrute tous les coins à la recherche de Charly mais le jeune homme a déjà rejoint la cuisine discrètement par le couloir. À pas de loup, Charly se place derrière Kurt et le poignarde d'un coup franc dans la nuque. L'Allemand lâche le couteau qu'il tenait sous la gorge de Jules et tombe au sol. Le Français qui avait été pris en otage s'éloigne brusquement du corps et pose son regard sur son sauveur.

- Merci, dit-il à Charly.

- Je savais qu'on ne pouvait pas lui faire confiance. De toute façon, il ne nous servait plus à grand-chose.

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