Chapitre 29 - Libération

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Paris, 19 au 25 août 1944.

19 août, huit heures dix.

Hannah se tire de son sommeil. C'est aujourd'hui. C'est aujourd'hui que commence le dernier combat de la Résistance, un combat pour la liberté, un combat pour Paris, un combat pour la France. C'est aujourd'hui que commence la libération de Paris. Les forces alliées sont encore loin mais les Français sont bien présents dans la capitale, prêts à la délivrer de l'emprise nazie qu'elle subit depuis quatre ans. 

Hannah est arrivée discrètement il y a quelques jours dans la ville et a rejoint Jules, son contact chez lui. Le groupe d'Hannah s'est installé chez le Parisien et après la mort de Kurt, ils ne sont plus que cinq en comptant leur nouvel ami. Le résistant de vingt-six ans les a briefés sur le plan général qui s'est organisé à la hâte quand les réseaux ont appris l'arrivée dans les prochains jours des Alliés. Hannah n'avait pas revu la capitale depuis le mois de mai et elle y revient enfin pour la sauver. Sa motivation est pleine et personne ne peut changer cela. Elle se bat depuis bien trop longtemps pour laisser tomber maintenant. Elle est prête à sacrifier sa vie depuis le début. La seule chose qu'elle désire est de voir sa France, son cher pays lui être rendu. Hannah se prépare alors à mener sa dernière bataille dans cette guerre pour la liberté.

Malgré son faible équipement militaire, la Résistance a pu s'emparer de la préfecture de police, les bannières nazies sont brûlées, le drapeau tricolore est hissé, triomphant, sur la préfecture et sur Notre-Dame. Mais le combat n'est pas terminé.

Aux côtés de Charly et de Jules, la jeune femme parcourt les rues de la capitale. Devant eux, Mars et Arnaud marchent au trot, armes à la main, les résistants abattent leurs ennemis les uns après les autres. Ils sont proches de Montmartre, le groupe rejoint d'autres résistants puis ils se séparent à nouveau. Hannah a un but, récupérer l'appartement de Romain. Le lendemain de son arrivée dans la capitale, elle a appris que l'un des SS qui est sous les ordres de Bömelburg occupe l'appartement.

Le groupe approche de la Basilique du Sacré Cœur. Tous s'arrêtent ; Mars se retourne vers les trois jeunes et leur fait signe d'aller s'occuper du domicile de Romain. Hannah acquiesce d'un mouvement de tête franc, déterminée à reprendre le foyer de son ami. Elle se retourne et avance en direction du bâtiment en question, suivie par ses deux compatriotes, Charly et Jules.

Ils arrivent au pied de l'immeuble ; avant de partir, Hannah a pris soin de prendre un double des clés que Romain lui a donné peu de temps après leur rencontre. La jeune femme ouvre la grande porte du bâtiment et les trois résistants entrent. Ils montent à l'étage puis ils pénètrent dans l'appartement. Personne. Couverte par ses compagnons, Hannah fait le tour de l'habitation ; elle arrive dans la chambre de Romain. Retranché dans un coin, le SS que l'équipe cherche. Charly passe devant Hannah et avance jusqu'à l'homme. Il l'attrape par le col de sa chemise et le force à se relever. Charly le traine violemment hors de la chambre ; dans le salon, Jules tire une chaise et son camarade force le soldat allemand à s'assoir dessus. Hannah s'arrête devant le militaire qui la regarde avec un regard de mépris. 

- Voyez mes amis, cet homme est celui qui a torturé Romain il y a plusieurs mois, dit-Hannah en fixant le SS.

Charly lui tend un revolver que la jeune femme s'empresse de prendre dans sa main. Elle pointe le canon de l'arme vers la tête de l'Allemand et sans un instant d'hésitation, elle appuie sur la détente. Le coup part et la balle se loge dans le front de l'ennemi qui tombe en arrière, sur le sol. Le parterre s'inonde de sang sous le regard d'Hannah. La guerre a fait d'elle une meurtrière au-delà de la justice qu'elle tente de rendre et du pays qu'elle espère libérer.

20 août.

Sous l'impulsion de Léo Hamon, la Résistance s'empare de l'hôtel de Ville. Ils dressent des barricades pour entraver les véhicules allemands les empêchant ainsi de bouger. 

Hannah se bat dans les rues, elle s'est emparée d'un fusil Mauser G41 et d'un Kurz StG 44 et encore d'un pistolet p38 volé à des Allemands après qu'ils aient été abattus. Comme les autres Français qui se battent, elle ne lâche rien et tire sur quiconque portant un uniforme ennemi.

La jeune femme est avec Jules dans le deuxième arrondissement non loin du Palais Garnier. Hannah craint de croiser Friedrich ; dans une telle atmosphère, elle espère ne pas être confrontée à lui. Mais ce matin, Mars l’a rassurée en lui disant qu'un fonctionnaire d'État tel que lui ne serait pas envoyé dans les rues et qu'il est très probablement retranché dans le quartier général de la Gestapo avec son chef.

Charly n'est pas avec ses deux amis, Mars l'a envoyé aux abords du Louvre afin d'éviter que des Allemands ne s'emparent des œuvres d'art du musée avant de quitter la capitale, conscients de leur défaite. 

Hannah et Jules progressent dans le deuxième arrondissement ; la rues dans laquelle ils sont est en partie déserte. Quelques cadavres bordent les trottoirs. Hannah a baissé sa garde en pensant qu'ici, ils ne risquent rien ; mais son imprudence se retourne vite contre elle. Jules la plaque violemment contre un mur avant d'abattre un Allemand. La Française qui n'a pas vu l'ennemi approcher est un peu déboussolée. Son ami la lâche et s'éloigne d'elle, tenant fermement son propre bras. Hannah réalise qu'il est blessé ; elle s'approche de lui, inquiète.

- Tu as pris une balle ? demande-t-elle en posant sa main sur le bras indemne de son ami.

- Oui mais je ne crois pas qu'elle soit allée bien loin. Il faut juste que je bande mon bras.

- On devrait retourner chez toi pour te soigner. 

- Non Hannah, on doit avancer. Ne t'inquiète pas pour moi, je ne vais pas mourir et je m'occuperai de cela ce soir.

- D'accord mais si tu sens que tu ne peux pas continuer, promets-moi que nous ferons demi-tour.

- Je te le promets.

Les rues se gorgent de sang et le chaos prend place atteignant sa puissance le 22 août où la violence est à son maximum. Jamais Hannah n'a pensé une seule fois dans sa vie qu'elle tuerait autant. Mais c'est nécessaire, c'est nécessaire pour la France ; et les gens à qui elle prend la vie sont des criminels. Contrairement à certains, Hannah ne s'en prend qu'aux Allemands en service et épargne les civils. Dans une guerre, ce sont les soldats qui meurent, pas les civils, pas les enfants. Hannah n'est pas les nazis, elle n'est pas les Alliés. 

Les combats se poursuivent, et le 24 août, à vingt-et-une heures, la deuxième Division de Blindés commandée par le général Leclerc entre dans Paris par la porte d'Italie et par la porte d'Orléans. La capitale, déjà bien libérée par elle-même, avec l'arrivée des Alliés, voit la fin de sa domination arriver.

25 août, treize heures.

Les combats se poursuivent dans la capitale. Yvon Morandat s'empare de l'hôtel Matignon. Henri Karcher fait prisonnier l'état-major allemand, la capitulation des forces allemandes est signée dans la gare Montparnasse. Malgré cela, les violences se poursuivent encore dans les rues de la capitale ; les Français ont pour but de délivrer entièrement la ville de la présence allemande. Hannah a pris en chasse un soldat allemand ; cachée derrière un mur de pierre, au coin de l'avenue des Portugais et de l'avenue Kébler, elle échange des tirs avec le soldat qui ne semble pas vouloir abandonner. Une première balle se loge dans le mur juste au-dessus de sa tête. Puis une seconde vient se loger dans le bas de son torse. Hannah recule immédiatement mais riposte en tirant un nouveau coup de feu vers le soldat qui s'est mis plus à découvert ; la balle le touche en pleine tête et l'homme tombe sur le sol. Hannah est blessée et elle doit se mettre à l'abri. Sa seule issue, l'appartement que Friedrich occupait avant qu'ils s'installent ensemble dans celui d'Hannah. Une chance pour elle qu'il soit dans cette avenue. 

Elle arrive devant le bâtiment et pousse la porte d'entrée. Elle monte les escaliers avec difficulté et arrive devant l'appartement de l'Allemand. Elle constate avec étonnement que la porte n'est pas fermée. Elle entre et s'effondre sur un fauteuil. Elle regarde autour d'elle et constate que Friedrich est revenu vivre ici il y a très peu de temps. Où peut-il bien être en ce moment ?

Une bonne heure s'écoule quand quelqu'un entre dans l'appartement. Friedrich regarde dans le salon et y trouve Hannah, les mains et les vêtements pleins de sang. Il court vers elle.

- Nom de Dieu, je ne pensais pas te revoir ici.

- Tu ne pensais quand même pas que j'allais abandonner ma ville comme ça.

- Comment ça ? Tu m'as promis de rester à Lille jusqu'à la fin de la guerre.

Hannah rit légèrement avant de se mettre à tousser.

- Friedrich, ne me dis pas qu'après tout ce temps, tu n'as toujours pas compris ?

- J'ai toujours eu un léger doute au fond de moi depuis ton arrestation, seulement je ne voulais pas y croire parce que j'avais peur pour toi. Mais aujourd'hui vu la situation... Enfin, bon Dieu, Hannah tu dois faire soigner ta blessure.

- Si tu remets les pieds dehors, ils vont te tuer.

- Alors je vais te soigner.

- Non, laisse-moi.

- Je t'en prie, tu risques de mourir !

- Non, ça va aller, ne t'inquiète pas. Je veux seulement savoir.

- Comment ça ?

- Henriette m'a dit que tu étais prêt à déserter pour me retrouver malgré les conséquences. Est-ce vrai ?

- Oui. Je suis prêt à tout donner pour toi. Et tout cela ne rime plus à rien de toute façon.

- Que veux-tu dire par là ?

- C'est mon père qui a fait en sorte que j'obtienne ce poste ; je l'ai accepté parce que je pensais que c'était une bonne chose de l'occuper, je n'avais aucune idée de ce en quoi il consistait. Je l'ai découvert et ça a tout de suite été difficile. Depuis mon enfance, on me répète que les Juifs sont mauvais, qu'il ne faut pas faire confiance aux communistes, que les homosexuels sont des monstres ; mais je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à y croire. Je sais que j'ai pu être mauvais avec toi, surtout quand je disais du mal de ta Nation mais je pense que j'étais aveuglé par la propagande de mon gouvernement. C'est ton départ qui m'a ouvert les yeux. Je ne veux plus être la personne que je suis devenu.

Hannah se lève malgré sa blessure, elle pose l'arme qu'elle tenait sur la petite table. La jeune femme s'approche de l'Allemand et le prend dans ses bras.

- Hannah s'il te plaît, reste avec moi.

- Je ne peux pas.

- Pourquoi, tu sais que je t'aime.

- Oui mais... Ce n'est pas mon cas. 

Hannah s'éloigne de Friedrich, de petites larmes commencent à s'échapper de ses yeux.

- Je suis désolée mais ces deux dernières années n’étaient pas réelles. Je devais me rapprocher de l'un d'entre vous pour récupérer des informations ; et c'est sur toi que c'est tombé. Si je n'avais aucun sentiment sur cela avant, crois-moi qu’aujourd'hui je m'en veux de t'avoir menti et surtout manipulé. Tu n'es pas comme les autres.

L'Allemand reste figé, il regarde le sol et ne dit rien.

- S'il te plaît, dis-moi quelque chose.

- Quoi que tu aies pu faire, cela ne change rien à ce que je ressens. Je t'en prie Hannah, je ne peux pas vivre loin de toi.

- Je ne peux pas t'offrir ce que tu me demandes je suis désolée. Friedrich, tu ne peux pas rester ici, ils vont vouloir te tuer.

- Où veux-tu que j'aille ?

- Je sais que Karl est parti, tu sais où il est allé ?

- Il m'a dit où il comptait se rendre.

- Alors rejoins-le et quittez le territoire. Allez dans un pays neutre où personne ne vous cherchera.

- Je ne veux pas partir loin de toi.

- Je t'en prie, tu ne peux pas rester ici, ils voudront t'exécuter. Je te promets de ne pas couper le contact.

Hannah se rapproche à nouveau de lui et dépose un baiser au coin des lèvres de l'Allemand.

- D'accord je vais partir, finit-il par répondre.

Hannah soupire de soulagement. Elle recule et réfléchit au meilleur moyen de faire quitter la ville à Friedrich.

- Il faut que tu te changes, tu ne peux pas rester habillé comme ça.

Elle tourne les talons et part en direction de la chambre du militaire pour y prendre des vêtements de civil. Elle revient avec une tenue complète qu'elle donne à Friedrich.

- Est-ce que tu as de la cire pour les chaussures ?

- Pour quoi faire ?

- Tu es trop... blond.

- Dans le tiroir derrière toi.

Elle se retourne vers le meuble en question et récupère l'objet dont elle a besoin. Après que Friedrich ait terminé de se changer, il s'assoit sur l'une des chaises et Hannah commence à lui teindre les cheveux en faisant attention à ne pas salir ses habits.

- Maintenant, il te faut des papiers d'identité.

- Comment veux-tu obtenir cela ?

- Romain risque de m'en vouloir mais bon, il n'est pas là pour s'y opposer.

- Que veux-tu dire par là.

- J'ai récupéré dans son appartement certains de ses effets personnels dont sa carte d'identité ; je garde son portefeuille sur moi depuis.

- Mais il y avait un officier chez lui.

- Je l'ai exécuté.

Hannah prend dans la poche intérieure de sa veste le portefeuille de Romain dans lequel elle récupère sa pièce d'identité. Elle se retourne et dépose le document sur la table.

- Il faut changer la photo, est-ce que tu en as une où tu n'es pas en uniforme.

- Oui attends.

Il se lève et part en direction du bureau, il ouvre un tiroir et y prend une petite boîte en métal. 

- J'ai quelques photos au bon format là-dedans, laquelle fera l'affaire ?

Hannah regarde attentivement chaque photographie puis elle s'arrête sur l'une d'elles.

- Celle-ci, on voit très bien ton visage et ta casquette cache tes cheveux blonds.

La jeune femme prend la photo ; sur la carte d'identité, elle décolle celle de Romain pour la remplacer par Friedrich.

- Et voilà, les gens n'y verront que du feu.

- Merci pour tout Hannah. Que fait-on maintenant ?

- Tu vas rester ici et attendre que les choses se tassent, moi je vais repartir. Je vais essayer d'être chez-moi ce soir. D'ailleurs, si tu pouvais me rendre mes clés. Et tu pourras me joindre par téléphone.

- D'accord, promets-moi de faire soigner ta blessure.

- C'est promis. Il faut que je parte maintenant.

La résistante récupère sa veste sur le fauteuil. Elle prend Friedrich dans ses bras puis elle se dirige vers la porte d'entrée. 

- Prends soin de toi, dit-elle à son ami avant de le quitter.

Une main sur sa blessure, le pistolet dans l'autre, elle descend dans l'avenue. Elle se retourne et voit le drapeau tricolore hissé au sommet de la Tour Eiffel. Elle se tourne à nouveau et marche vers la place de l'Étoile. Elle croise plusieurs cadavres, des Allemands, des Français... Elle continue de marcher et elle commence à entendre les chants et les cris résonner dans les rues de la capitale. La Marseillaise, le chant des partisans, la victoire sonne de plus belle. Les cloches de Notre-Dame sonnent la capitulation allemande. "Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même !"

Elle continue de marcher, la bannière nazie s'effondre, arrachée de l'Arc de Triomphe et le drapeau tricolore est hissé marquant le triomphe d'une nation sous son monument emblématique.

Il est quinze heures trente, Paris est libéré.

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