Chapitre 26 - Interrogatoire

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Saint-Gervais, 31 juillet 1944.

Hannah se place discrètement à la fenêtre qui donne sur l'avenue principale de la commune de Saint-Gervais en Île de France. Dehors, plusieurs soldats allemands patrouillent à la recherche du SS qui a disparu la nuit dernière. Le groupe commandé par Mars doit redoubler de prudence ; non seulement cette ville abrite un certain nombre d'Allemands, mais en plus de cela, c'est chez eux qu'est détenu le SS. 

La nuit précédente, le petit commando a attendu qu'il n'y ait plus un chat dans les rues pour agir. Le soldat en question est sorti fumer dehors, non loin du domicile qu'il s'est choisi. Alors, Hannah et Charly lui ont sauté dessus pour l'assommer ; une fois l'homme immobile, Arnaud les a aidés à le transporter jusqu'à l'appartement où ils se sont arrêtés.

Leur hôte se nomme Martin. Il est âgé de soixante-quatre ans et est fermement antiallemand. Mars était déjà en contact avec cet homme avant que le groupe n'arrive à Saint-Gervais. Il l'a contacté quelques jours avant pour lui demander de les héberger lorsqu'ils arriveront dans la commune. Il fallait être à l'heure car les deux hommes se sont donné rendez-vous à l'extérieur de la ville pour se retrouver. Tout s’est bien passé et Martin a conduit le groupe chez lui sans aucun problème sur le chemin. 

Charly s'approche du prisonnier, un verre d'eau à la main. Il s'arrête à sa hauteur et le met en garde.

- Si vous faites du bruit, je vous tue immédiatement.

Le SS hoche la tête de haut en bas, Charly lui retire le morceau de tissu qu'il avait dans la bouche pour le faire taire. Il pose le rebord du verre sur les lèvres de l'Allemand puis il lève ce dernier pour inciter l'homme à boire. Le prisonnier se laisse faire, il boit plusieurs gorgées avant que Charly n'enlève le verre. Le jeune homme recule et pose le verre sur la table ; il prend une chaise qu'il tire jusqu'à l'homme. Il place le dossier face au prisonnier puis il s'assoit, à cheval sur la chaise.

- Qu'est-ce que vous prévoyez de faire ? demande Charly.

L'Allemand fixe le résistant mais il ne dit rien, bien décidé à ne rien lâcher. Dans la même pièce, Hannah colle son dos contre le mur qui borde la fenêtre par laquelle elle observait la rue l'instant d'avant. La jeune femme inspecte du regard le prisonnier qui tourne la tête vers elle après avoir senti les yeux de la jeunes femmes posés sur lui. Charly se retourne vers Hannah puis il fait à nouveaux face au SS.

- Ce n'est pas elle qui a les réponses que j'attends, mais vous. Alors, dites-moi, quels sont les projets de votre commando ?

- Nous avons prévus de fêter l'anniversaire de Klauss ce soir. Commence l'Allemand. Mais quel dommage, je crois bien que je ne pourrai pas y être.

- Vous vous moquez de moi ?

- Vous m'avez demandé les projets de mon commando, alors je vous les donne. De plus c'est un anniversaire surprise, le pauvre homme ne s'attend à rien.

- On pourrait aller gâcher la fête, ajoute Hannah pour rentrer dans le jeu du prisonnier.

- Qu'est-ce que tu fais ? lui demande Charly.

- Il ne lâchera rien, du moins pas pour l'instant, alors il faut bien s'occuper en attendant. 

Charly se lève et s'approche d'Hannah.

- Est-ce que je peux te parler seul à seul s'il te plaît ?

- Oui bien sûr.

Hannah suit Charly dans la pièce d'à côté. Le jeune homme s'appuie avec ses mains contre une commode alors que sa compagne reste en plein milieu de la pièce, les bras croisés contre sa poitrine.

- À quoi joues-tu ?

- Je te l'ai dit, il ne va rien lâcher. Je connais bien leur façon d'être ; il faut devenir leur ami pour qu'ils parlent.

- Alors qu'est-ce qu'on fait ? On le détache et on discute avec lui ? Et puis dès qu'on aura le dos tourné il nous sautera dessus pour nous tuer.

- Non, on ne le détache pas, je ne suis pas naïve quand même. Mais oui, on va discuter avec lui, on va apprendre à le connaître, il va en faire de même et tu verras qu'au bout d'un moment, il se trahira sans le vouloir.

- C'est la méthode que tu as utilisée à Paris ?

- Oui et elle a bien marché.

- J'aimerais avoir l'avis de Mars sur la question tout de même.

- Lui et Arnaud sont sortis, et on ne sait pas ce qu'ils font, ni quand ils vont rentrer. Fais-moi confiance.

- D'accord, mais si ça foire, ce sera de ta faute.

- Si tu veux.

Hannah s'éloigne et retourne dans la pièce d'à côté. Elle appelle Martin et le vieil homme ne tarde pas à se montrer. Charly arrive à son tour dans le grand salon, il se place près d'Hannah.

- Martin, est-ce que vous pouvez cuisiner quelque chose pour notre ami ? Il doit avoir faim, demande Hannah.

- Oui bien sûr, je vais voir ce que j'ai.

Le soldat allemand regarde Hannah, intrigué. Charly change de place et revient s'assoir sur la chaise où il était juste avant. Hannah prend à son tour une chaise puis elle vient s'installer près du prisonnier.

- Puisque vous n'allez rien nous dire concernant les opérations de votre commando, commence la jeune femme, et que de toute évidence, nous n'allons pas vous relâcher, il va falloir qu'on fasse passer le temps. Alors on va discuter un peu, de tout et de rien, tant que ça ne concerne pas ce qui se passe actuellement. Charly va commencer.

Le jeune homme regarde sa coéquipière sans vraiment comprendre ce qu'il doit dire.

- Allez Charly, raconte à notre ami d'où tu viens, ce que tu faisais quand tu étais encore enfant.

- Je ne faisais pas de mission de ce genre c'est sûr, commence le résistant. Je viens d'Angleterre.

- Je viens d'Allemagne, enchanté, ajoute l'Allemand qui entre dans le jeu des résistants.

- Et de quelle ville venez-vous ? demande Hannah.

- En quoi cela vous intéresse ?

- On veut seulement en apprendre plus sur notre invité. Nous donner votre ville d'origine ne peut pas vous nuire, on ne va pas aller en Allemagne pour vérifier tout cela.

- Je viens de Werder... C'est proche de Berlin. C'est à vous maintenant.

- Je suis de Lyon et Charly d'Oxford.

- Qu'est-ce qu'un Britannique fait en France ? Loin de ses camarades de combat.

- J'ai refusé de rendre les armes et de rentrer au pays, répond Charly.

- Noble de votre part.

- Et vous, pourquoi êtes-vous venu en France ? demande Hannah. Qu'est-ce que les Français vous ont fait ?

- Rien. Beaucoup ont accepté de venir pour venger l'humiliation de 1918 et ça a été fait en 1940. Mais je n'étais pas né quand on a perdu la dernière guerre. Mon père lui peut se venger mais pas moi.

- Alors pourquoi ?

- J'ai connu les jeunesses hitlériennes comme beaucoup de jeunes Allemands. Quand la guerre a éclaté, il manquait d'effectif ; alors ils nous ont enrôlés sans nous demander notre avis.

- Mais les enrôlements forcés, c'est dans la Wehrmacht, affirme Charly. Chez les SS, il y a une sélection minutieuse.

- Non, répond Hannah. Ça c'était le cas avant 1939. Friedrich me l'a expliqué, ils manquaient d'effectifs, alors ils ont pioché dans l'armée.

- C'est exactement cela, confirme le soldat allemand.

- La question, poursuit Hannah, c'est, êtes-vous d'accord avec les idées de votre gouvernement ?

- Sur quoi ? Les Juifs ? Les communistes ? Je ne les aime pas, après est-ce qu'ils doivent mourir pour autant ? Ce n'est pas à moi d'en décider.

- À qui alors ? demande Charly.

- À Dieu ! répond Martin qui vient d'entrer dans la pièce avec une assiette dans les mains.

Les trois autres se retournent vers l'hôte du groupe. Martin continue de s'avancer dans la pièce puis il s'arrête au niveau d'Hannah pour lui donner l'assiette et les couverts.

- Bon, dit Hannah, est-ce que vous avez faim ?

- Ça dépend, c'est empoisonné ?

- Ce sont des pommes de terre et des carottes cuites à la marmite dans un bouillon, répond Martin. Vous n'aurez que cela, car nous n'avons que cela.

- Je vais faire en sorte de m'en contenter.

Hannah approche un peu plus sa chaise du prisonnier pour l'aider à se nourrir.

- Je vais faire un effort pour vous, commence la jeune femme. Si vous me vomissez dessus, je vous tue immédiatement.

- Je n'oserai pas faire une telle chose à une femme telle que vous.

Hannah ricane légèrement avant de tendre la fourchette sur laquelle il y deux morceaux de carottes et un de pomme de terre, à l'Allemand. L'homme ouvre la bouche pour prendre le tout. 

- On ne connaît pas votre nom, fait savoir Charly.

- Vous en avez besoin ?

- Comment voulez-vous qu'on vous appelle ? demande Hannah.

- Le sale Boche ! propose Charly en se moquant.

- Je m'appelle Kurt.

- Est-ce que c'est un prénom répandu en Allemagne ?

- Je ne sais pas, je n'y ai jamais fait attention. Mais je me souviens que je ne n’étais pas le seul à l'école à me nommer comme cela.

Hannah donne une nouvelle bouchée à Kurt. La porte d'entrée s'ouvre, Mars et Arnaud pénètrent dans l'appartement. Ils déposent plusieurs armes sur la grande table puis Mars se retourne vers le petit groupe qui était resté ici.

- Qu'est-ce que vous faites ? demande-t-il, intrigué par le fait de voir Hannah donner à manger à leur prisonnier.

- On sympathise, répond Charly. Idée d'Hannah.

- Pourquoi ? On est censé tirer des informations sur les actions des Allemands dans le coin, par la torture s'il le faut.

- Cher ami, commence Hannah, nous nous prétendons meilleurs sur le plan moral que nos ennemis. Alors si on veut tenir nos idées, cela commence par ne pas torturer ce brave soldat. On le traite bien, et s'il veut parler, il parlera. 

- Es-tu sûre de ce que tu fais ?

- Affirmatif chef ! Reprenez donc du bouillon, termine Hannah à l'Allemand.

Mars regarde la scène, méfiant ; le petit jeu d'Hannah peut très bien se retourner contre elle. 

- Tu ne vas pas le détacher au moins ? demande le chef de groupe.

- Assurément que non, ils sont fourbes ces Allemands.

Mars souffle, il n'est pas convaincu par la situation malgré le fait qu'Hannah tente de lui faire comprendre que tout est sous contrôle. Hannah et Charly continuent de discuter avec Kurt sous la surveillance de Mars qui ne baisse pas sa garde. Arnaud, lui, étudie le parcours que le groupe va emprunter dans deux jours lorsqu'ils quitteront la ville. 

L'assiette vide, Hannah la donne à Martin qui l'emmène dans la cuisine pour la nettoyer. Hannah hésite un instant sur ce qu'elle a envie de faire puis elle finit par se lancer.

- Vous êtes sûr que vous ne voulez rien nous dire ? demande la jeune femme toujours sous le regard méfiant de son chef.

- Je ne vais pas trahir mon pays.

- Mais ce que vous faites cause la mort d'innocents, votre ténacité prolonge la guerre.

- La vôtre aussi.

- Nous nous battons pour notre liberté, c'est un combat bien plus légitime. Vous en auriez fait tout autant si votre pays avait été envahi ?

- Je ne sais pas vraiment, mais je pense que oui. Du moins si ce n'est pas moi, les autres le feraient.

- Alors comprenez-nous et cherchez à savoir qui sont les véritables criminels. 

- Si je vous dis quoi que ce soit, ils m'exécuteront pour trahison ou alors c'est vous qui le ferez pour que je ne parle pas derrière.

- Vous pouvez aussi rejoindre la Résistance.

- Hannah ! intervient Mars sur un ton ferme.

La jeune femme lève la main pour faire signe qu'elle sait ce qu'elle fait.

- Vous rejoindre ? Vous plaisantez, répond Kurt

- Non. Je vois bien que vous n'êtes pas ici de votre plein gré. Regardez la réalité en face ; votre pays est en train de perdre la guerre, la balle est dans notre camp. Si l'Allemagne s'avoue vaincue, avez-vous la moindre idée de ce que vous allez subir de la part des Français ? Ils ne vous pardonneront pas d'avoir occupé et soumis leur très cher pays. Mais si vous rejoignez nos rangs, que vous nous aidez à libérer notre pays de l'emprise de ce dictateur, alors les Français ne vous verront pas comme un ennemi, mais comme un homme qui a su voir la situation telle qu'elle est, qui a compris qu'il a causé du tort et qui a fait dès lors, de son mieux pour réparer les souffrances qu'il a causés, bien qu'elles soient impardonnables. Lorsque vos compagnons seront sur l'échafaud, vous vous serez à nos côtés, sauvé. 

Kurt fixe Hannah, il ne sait quoi répondre. La jeune femme a raison, si son pays perd la guerre, cette défaite fera office de condamnation à mort pour lui et pour tous les autres soldats de l'armée allemande. Il n'y aura pas d'échappatoire à moins qu'il parvienne à fuir ; mais pour aller où ? Avec quels moyens ? L'officier allemand prend une grande inspiration puis il détourne son regard vers Mars.

- Est-ce que j'ai votre parole que je serais acquitté pour avoir servi chez les SS ?

Mars regarde Hannah, la jeune femme acquiesce.

- Oui, vous avez notre parole. Mais sachez que nous n'allons pas vous lâcher du regard une seule seconde. 

- Je comprends. J'accepte votre proposition.

Hannah acquiesce une nouvelle fois avant de reprendre.

- Très bien, maintenant vous devez nous dire tout ce que vous savez sur les projets des SS et de la Wehrmacht.

- Leur but est de freiner le plus possible l'avancée des Alliés tout en continuant de défaire la Résistance. Je ne suis pas assez bien placé pour savoir quels projets ils ont exactement mais je peux vous dire qu'ils ont prévu de faire couler beaucoup de sang jusqu'au bout, que ce soit celui des soldats, des résistants ou des civils. 

- Que savez-vous de leur position à Paris ?

- Elles sont importantes, mais vulnérables si l'attaque commence à l'intérieur. L'ambassadeur est persuadé que Paris ne craint rien.

- Il ignore simplement le nombre de résistants qu'il y a à Paris, intervient Mars.

- Oui c'est ça.

- Alors il faut déclencher une insurrection quand il ne s'y attend pas, ajoute Charly.

- Il ne s'y attend déjà pas actuellement, plaisante Hannah.

Mars détourne son regard d'Hannah pour le poser sur Kurt. Il va falloir du temps au chef du groupe de quatre résistants pour faire confiance à cet homme ; et ce qui est sûr, c'est qu'il va le surveiller de près. Mars ne peut pas prendre le risque de faire tomber toute l'opération à l'eau parce qu'il aura baissé la garde. Kurt devra faire ses preuves. Si l'Allemand les trahit, aucune échappatoire pour le SS, il devra mourir. Mars place toute sa confiance en Hannah et prie pour que la jeune femme ne fasse pas d'imprudence qui pourrait coûter à tout le groupe.

- Kurt, commence le résistant, vous devez nous jurer, nous donner votre parole que vous ne vous retournerez pas contre nous.

- Je vous le jure au nom de Dieu et au nom de mes parents.

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