Chapitre 25 - Avis de recherche

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Tourny, 18 juillet 1944.

Mars reste collé au mur, il sort discrètement sa tête pour voir la rue. Hannah, Charly et Arnaud sont derrière lui. Dans la rue, aucun SS ne marque sa présence, il n'y a que les habitants. Mars lève le bras à la hauteur de sa tête et de sa main, il fait signe aux autres d'avancer. Les quatre résistants sortent de la petite ruelle et s'avancent dans la grande rue de la commune de Tourny, à quelques kilomètres de la frontière entre la Haute-Normandie et l'Île de France. 

Ils marchent les uns derrière les autres, armes à la main ; les habitants sont surpris de les voir et ils reculent, ne comprenant pas encore la raison de la venue des résistants. Mars s'arrête et regarde les citoyens ; il jette ensuite un regard aux alentours et constate que malgré le début d'agitation des habitants, aucun Allemand ne s'est montré. Un homme arrive vers eux, bien habillé, il ne semble pas être un soldat ennemi en civil. Mars s'approche de l'inconnu ; derrière lui, ses compagnons restent sur le vif, prêts à le défendre.

- Qui êtes-vous ? demande l'homme en s'adressant à Mars.

- Nous sommes de la Résistance, lui répond le chef de groupe en montrant la Croix de Lorraine attachée sur la manche droite de sa veste. Nous ne vous voulons aucun mal.

- Que faites-vous dans notre commune ?

- Nous sommes là pour libérer les habitants si vous êtes encore sous occupation.

- Les Allemands sont partis il y a une semaine de cela sans rien laisser derrière eux, je doute qu'ils reviennent.

- Et bien, on dirait que notre travail a déjà été fait. Accordez-nous cependant de rester un peu dans votre commune. Nous avons fait un long trajet depuis notre dernière étape.

- Vous pouvez aller chez Pierre pour manger un morceau, dit-il en désignant le restaurateur ; si vous souhaitez coucher ici cette nuit, je peux vous offrir les deux chambres d'amis de mon foyer.

- Nous acceptons avec plaisir et nous vous remercions pour votre hospitalité. Vous ne nous avez pas dit qui vous êtes, mais j'en déduis que vous êtes le maire.

- C'est exactement ça.

Mars se rapproche de l'homme et il lui serre la main. Ses compagnons baissent leurs armes face à l'absence de danger. Pierre, le restaurateur, s'approche du groupe tout en affichant un sourire courtois.

- Venez avec moi, mes amis, vous devez avoir faim.

Le groupe suit l'homme, Hannah s'avance à sa hauteur pour lui poser une question.

- Dîtes-moi, Pierre est votre prénom, votre nom ou bien un surnom ? 

- C'est mon prénom ; quand j'ai ouvert mon restaurant, je ne savais pas quel nom lui donner alors mes amis l'ont simplement appelé "chez Pierre".

- D'accord, je vois. Je m'appelle Hannah, enchantée.

- Je suis moi aussi enchanté de faire votre connaissance, la vôtre comme celle de vos amis.

Ils arrivent devant le restaurant, Pierre ouvre la porte principale et laisse entrer ses invités. À l'intérieur, les résistants observent la décoration chaleureuse. Les murs sont tapissés de fleurs de lys sur un fond bleu marine pour certains murs, rouge foncé pour d'autres. Des petits lustres en fer sont accrochés au plafond et fournissent un éclairage lumineux à la grande pièce. Les fenêtres sont ornées de rideaux bordeaux rabattus sur les côtés et tenus par des cordes tressées. Le restaurateur ferme la porte derrière lui, après que ses employés et quelques curieux aient suivi les résistants dans le bâtiment. Pierre s'avance dans la grande pièce où se trouvent toutes les tables puis il se retourne vers le groupe d'Hannah.

- Installez-vous, je vous en prie. 

Après cette invitation, les résistants se dirigent vers l'une des grandes tables afin de pouvoir discuter avec les quelques habitants désireux d'en apprendre plus sur les actions du commando. Hannah et Charly s'assoient dos à la fenêtre alors que Pierre pose le menu sur la table. 

- Prenez votre temps, rien ne presse. Mais si vous restez ici ce soir, évitez de trop manger ou vous n'aurez pas faim pour le dîner de ce soir, commence le propriétaire du restaurant.

- Vous nous invitez aussi ce soir ? demande Hannah.

- Naturellement. Même si vous n'avez rien fait ici, votre travail, votre engagement, ont aidé d'autres Français. Nous nous devons de vous remercier.

- C'est très généreux de votre part.

Pierre sourit à la jeune femme en penchant légèrement la tête puis il se retire et gagne la cuisine de son restaurant. Chaque personne à table consulte le menu, mais au vu de l'horloge murale qui affiche seize heures, tous optent pour quelque chose de léger. Pas de café au menu, depuis le début de la guerre il est difficile d'en avoir ; le restaurant propose des pâtisseries et du thé à la camomille ou au miel. Quelques minutes plus tard, Pierre revient prendre les commandes du petit monde. Il les transmet ensuite aux cuisiniers puis il s'installe à son tour à table, à côté des résistants. 

- Dites-moi, enfin si vous vous en avez le droit, d'où venez-vous, tous ? demande Pierre.

- On vient d'un peu partout, commence Mars. On est tous parti de Normandie après le débarquement mais sinon avant cela : moi je viens de Caen, Charly d'Angleterre, Arnaud de Lyon et Hannah de Paris.

- De Paris ? Il y a des Allemands qui sont venus ici il y a un mois, ils venaient aussi de Paris.

- Quel genre d'Allemands ? demande Hannah.

- Hum... Hauts placés. Ils sont venus chercher un autre SS avant de partir pour Lille.

- Vous connaissez leurs noms ?

- Leur chef s'appelle Bömelburg mais je ne me souviens pas de son prénom ; et pour l'autre qui l'accompagnait, je n'ai ni l'un ni l'autre.

- Bömelburg ? Karl Bömelburg ?

- Oui je crois que c'est cela.

- L'autre qui l'accompagnait, est-ce qu'il s'appelait Friedrich ? Est-ce qu'il était blond / châtain très clair ? C'est un homme très grand.

- Pour son nom, je ne sais pas, mais la description correspond. Vous les connaissez ?

- On a eu quelques différends à Paris. Est-ce que vous savez ce qu'ils comptaient faire à Lille ?

- Je les ai entendus dire qu'ils allaient retrouver quelqu'un de proche mais rien d'autre. 

Arnaud regarde Hannah, Friedrich cherche à la retrouver et il fallait s'y attendre puisque la jeune femme ne lui a pas donné de nouvelles depuis qu'elle est partie de Lille. La résistante s'inquiète ; si Friedrich a débarqué chez la mère de Romain et qu'il n'a pas trouvé Hannah pour apprendre ensuite qu'elle est partie sans le lui dire, il s'est peut-être mis très en colère et il y a un risque pour qu'Henriette en ait payé les frais. Le seul moyen de s'assurer que la mère de Romain se porte bien est de l'appeler. Hannah se lève de sa chaise et s'éloigne de la table.

- Est que vous avez un téléphone que je peux utiliser ? demande la jeune femme.

- Oui il est sur le bureau de la réception. Mais je vous déconseille de passer un appel pour communiquer votre position ou dire ce que vous allez faire ensuite ; on peut vous écouter.

- D'accord merci.

Hannah s'éloigne de ses compagnons et se dirige vers la réception. Elle passe derrière le bureau en bois sur lequel se trouve le téléphone. Elle compose le numéro sur la roulette tout en tenant le téléphone près de son oreille. La sonnerie se fait entendre et rapidement la demoiselle du téléphone décroche. Hannah donne le nom de sa destinataire ainsi que le numéro qui lui est associé. L'opératrice la met en communication et Henriette ne tarde pas à décrocher. La vieille femme est heureuse d'avoir des nouvelles d'Hannah ; après avoir passé quelques instants à écouter Henriette, Hannah prend la parole.

- Je vous appelle parce que je m'inquiétais. J'ai appris que Friedrich s'est déplacé vers Lille pour voir quelqu'un de proche, j'imagine qu'il s'agit de moi. Est-il venu chez vous ?

- Oui c'est bien Friedrich Strauss qui est venu, il y a environ un mois. Il voulait vraiment vous voir.

- Que lui avez-vous répondu ?

- J'ai fait comme vous me l'avez dit. Je lui ai dit qu'être ici ne vous aidait pas vraiment ; alors vous êtes partie avec une de mes connaissances vers le nord-est du pays ; et que depuis ce jour, je n'avais plus de nouvelle de vous mais que l'ami avec qui vous êtes partie est une personne de confiance.

- Comment a-t-il réagi ? 

- Il était un peu énervé mais ça n'a pas débordé. Vous lui manquez vraiment vous savez, il tient énormément à vous, si bien que lorsque je me suis retrouvée seule avec lui, il m'a avoué qu'il a songé à déserter pour vous retrouver.

- Vraiment ?

- Oui, vous comptez plus pour lui que son appartenance à l'Allemagne.

Hannah ne répond pas, elle ne s'attendait pas à de telles révélations. Elle sait que Friedrich est très attaché à elle mais elle ne pensait pas que c'était à ce point. Au bout du fil, Henriette s'interroge sur le silence de son interlocutrice.

- Est-ce que tout va bien ? demande la mère de Romain.

- Oui... C'est juste que je ne suis pas au courant de l'intensité des sentiments qu'il a à mon égard.

- J'ai discuté avec lui, il a bon fond, contrairement à l'homme qui l'accompagnait.

- Qui donc ? Karl ? Oui il est assez dur et surtout très nazi. Friedrich se comporte encore, un peu comme un enfant.

- Si vous le revoyez un jour, soyez gentille avec lui. Il a fait de son mieux pour vous protéger. 

- Il m'a gardé enfermée...

- C'est parce qu'il avait peur que vous soyez à nouveau suspectée d'être résistante, il n'aurait pas supporté que vous subissiez à nouveau tout cela. 

- Il vous a vraiment dit tout ça ?

- Oui, et je suis convaincue que ses paroles étaient honnêtes.

- Merci Henriette.

- Je vous en prie. S'il vous plaît Hannah, appelez-moi plus souvent. Je ne peux pas discuter avec mon autre enfant.

- Je vous le promets.

- Prenez soin de vous mon enfant.

- Vous aussi, je vous embrasse.

- À bientôt.

Hannah raccroche le téléphone, un peu bouleversée par ce qu'elle vient d'apprendre ; elle sort du restaurant et s'assoit sur les marches du bâtiment. Charly, qui l'a vu du coin de l'œil, la rejoint et se place à côté d'elle.

- Est-ce que tout va bien ? Pourquoi es-tu partie subitement ?

- Friedrich est monté sur Lille comme tu l'as entendu. Il est allé chez la mère de Romain pour me voir ; mais comme je n'y suis pas, j'ai eu peur qu'il ne s'en prenne à Henriette par colère.

- Et alors ? Est-ce qu'elle va bien ?

- Oui, il était un peu remonté mais il n'a rien fait. Mais ce n'est pas tout.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Henriette m'a dit que Friedrich lui a confessé qu'il est prêt à déserter son poste pour me retrouver. 

- Vraiment ?

- Oui, je ne sais pas quoi en penser. Pour elle, il est totalement honnête.

- Qu'est-ce que tu ressens pour lui ? Je sais que je t'ai déjà posé la question mais ça a pu évoluer.

- Je ne sais pas. Je suis incapable de te le dire, je ne sais plus du tout. Ce que je sais, et ça je ne pense que ça va changer ; je ne suis pas amoureuse de lui.

- C'est parce qu'il y a Romain ?

- Non, c'est juste que je ne l'aime pas, du moins pas de cette façon. Je ne peux pas lui offrir ce qu'il souhaite et ça, je n'ai pas vraiment envie de le lui dire.

- Mais il le faudra bien un jour.

- Je le sais bien. 

- Si on l'arrête et que tu ne te sens pas capable de le faire, je peux m'en charger ; si cela te permet d'être déchargée d'un fardeau.

- Merci Charly, tu es vraiment un amour.

Hannah prend Charly dans ses bras, soulagée de savoir qu'elle peut compter sur son ami. 

Peu de temps après, les deux résistants retournent à table auprès des autres pour discuter ; un moment qui leur permet de prendre une pause dans cette guerre qui semble sans fin.

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