Chapitre 20 - Annexe - Romain

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Auschwitz Birkenau Monowitz, 4 juin 1944.

Dans l'air triste et sombre du complexe concentrationnaire, Romain tente de survivre. Voilà deux mois qu'il est là et son état commence sérieusement à se détériorer à cause de la faim et de la fatigue. Mais le jeune homme ne se plaint pas car parmi ses camarades, certains sont dans un état critique. Romain se trouvait à Auschwitz lorsqu'il est arrivé ; mais il y a trois semaines, lui et de nombreux résistants de toutes nationalités ont été transférés à Monowitz. Romain est maintenant dans une baraque avec, majoritairement des Français, mais aussi des Polonais et quelques Italiens.

Romain fait partie de ceux qui sont en meilleure forme. Avec lui, il y a un jeune garçon de dix-sept ans qui est arrivé il y a une semaine dans la baraque. Il y a aussi trois hommes qui sont arrivés un peu après Romain à Auschwitz et qui ont, eux aussi été transférés dans la troisième partie du complexe. Romain n'a pas vraiment cherché à faire connaissance avec ceux-là ; il reste plutôt proche des résistants français qui sont avec lui, il sait qu'il peut compter sur eux pour l'entraide. Avec lui, sept autres résistants français luttent pour la survie dans le camp. Ils s'entraident entre eux, bien que parfois, le courant ne passe pas car un tel refuse de lâcher un gramme de sa portion de nourriture pour la donner à un autre dont la totalité de ses os sont visibles. Renaud, le plus malin de la bande a mis une technique en place : jouer au "pierre, feuille, ciseaux" avec les Polonais ou les Italiens ; celui qui perd donne sa ration à celui qui gagne. Et Renaud est très fort car il n'a jamais perdu une seule fois, si bien qu'il a fini par aller jouer avec les autres prisonniers car ceux de la baraque ont compris qu'il gagne à chaque coup. Il donne à ses compagnons un peu de la ration qu'il gagne à chaque fois, mais c'est lui qui en prend le plus la plupart du temps.

Le soleil descend dans le ciel en cette soirée de juin. Romain est assis contre l'un des murs en bois de la baraque, il attend le retour de Paul qui revient toujours assez tard de l'usine. L'ami montre enfin le bout de son nez et il vient s'assoir à côté du résistant, gamelle de soupe à la main. Il tend un paquet de feuilles et un crayon à Romain.

- Cette fois, ça n'a pas été facile de convaincre le petit SS de me laisser partir avec les feuilles commence Paul. Ça te fera un quignon de pain pour aujourd'hui.

- Un quignon ? Mais tu es de plus en plus cher !

- Eh ! Écoute l'ami, je mets ma vie en danger pour que tu puisses écrire des lettres à ta femme.

- Ce n'est pas ma femme.

- Alors tu espères qu'elle le devienne, aucun homme ne lâcherait ce qui le maintient en vie pour une simple amie.

- Tu es quand même cher.

- Ah ! Tu ne me contredis pas, donc j'ai raison !

- Tais-toi et prends ton morceau de pain.

Romain lui tend l'aliment en question et Paul s'en saisit en ricanant. Le résistant pose le paquet de feuilles sur ses cuisses qu'il utilise en guise de table.

- Qu'est-ce que tu vas lui écrire aujourd'hui à ta demoiselle ? demande Paul en arrachant un bout du pain avec ses dents.

- Le blabla habituel, ce qu'on a fait entre la dernière lettre et celle-ci, puis des choses plus intimes que je souhaite lui dire.

- Comme ?

- Tu es sûr de savoir ce que "intime" veut dire ?

- Avec tout ce que je fais pour toi, je pourrais en savoir plus quand même. Tu penses qu'elle t'écrit aussi des lettres ?

- Oui elle le fait, on se l'est promis avant qu'elle parte.

- Tu penses savoir ce qu'elle raconte dedans ?

- Non, je ne suis pas dans sa tête, je ne sais pas où elle est et ce qu'elle fait.

- Elle batifole sûrement avec cet Allemand, comment il s'appelle déjà ? Heinrich ?

- Friedrich. Elle n'est pas amoureuse de lui. 

- Mais rien ne l'empêche de s'amuser avec lui. 

Romain soupire, exaspéré par le manque de délicatesse de son interlocuteur.

- Écoute, j'aimerais que tu évites de parler d'elle comme ça, tu ne la connais pas.

- C'est pour relâcher la pression l'ami, je plaisante.

- Je préfère que tu ne lui manques pas de respect, ni à moi aussi, même pour plaisanter.

- Très bien... Je te laisse à ta solitude dans ce cas.

Paul se lève d'un coup sans laisser à Romain la possibilité de répondre. Il abandonne le résistant et part retrouver d'autres hommes de la baraque. Romain baisse la tête vers sa lettre et réfléchit à ce qu'il peut raconter à Hannah. Il cherche ses mots pendant un moment pour essayer de ne pas répéter les mêmes choses que dans ses autres lettres ; mais ce n'est pas chose facile car le jeune homme fait tous les jours la même chose sans qu'il y ait de nouveauté. 

Jean, l'un des résistants vient s'assoir à côté de lui. Romain relève la tête et regarde l'homme, intrigué.

- Le petit Alsacien t'embête à ce que je vois, commence l'homme d'une cinquantaine d'années.

- Rien de bien méchant, il est seulement... Intrusif.

- Je vois, j'espère que je ne le suis pas trop moi.

- Non ne vous inquiétez pas. À vrai dire, je préfère discuter avec vous qu'avec cet imbécile.

- Je suis flatté. Tu lui écris n'est-ce pas ?

- Oui mais je ne sais pas quoi lui dire. Le quotidien tourne en rond.

- Est-ce que tu lui as déjà parlé de ce que tu aimerais faire quand tu seras rentré au pays ?

- Je ne pense pas que je vais revenir en France.

- Ce qui est sûr, c'est qui si tu abandonnes maintenant, tu ne rentreras pas.

- Vous pensez qu'il y a encore de l'espoir ? 

- Tant que tu vis, il y en a mon garçon. Alors écris à ton amie ce que tu souhaites faire une fois revenu à Paris.

- Je pense que je...

- Non ne me dis rien, c'est pour Hannah et seulement pour Hannah.

Romain sourit au vieil homme alors que celui-ci se lève. Il lui donne une petite tape sur la tête puis s'en va gagner sa couchette. Romain pose la mine du crayon sur la feuille de papier ; il transcrit le fond de sa pensée dans le désir de faire connaître à Hannah sa vision de l'après-guerre.

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