Chapitre 17 - Comme l'oiseau en cage

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Paris, 11 mai 1944.

Voilà maintenant trois semaines qu'Hannah est revenue à Paris et la jeune femme peine à reprendre goût à la vie. Friedrich refuse qu'elle sorte dès que l'envie lui prend et il lui interdit tout contact avec ses amis ; pour lui, c'est en connaissant autant de monde que tout ceci est arrivé. La résistante ne voit plus que les amis et les collègues de l'Allemand. Le temps qui passe lui semble être une éternité et l'absence de Romain crée en elle un vide immense. Chaque jour qui s’écoule, le regard d'Hannah, si joyeux habituellement, se remplit d'un vide profond. Elle se nourrit peu et ne dort presque pas la nuit ; l'envie de vivre l'a quittée et ce n'est pas en restant enfermée ici qu'elle parviendra à la retrouver. Elle n'a plus goût à rien tel un oiseau en cage. Hannah a une mission qu'elle ne peut accomplir, elle a l'impression de manquer à son devoir et cela lui confère un sentiment de culpabilité. Elle a fait une promesse à Romain, à Henry, à Pierre et à tous ses frères mais elle se voit actuellement, dans l'incapacité de la tenir.

Friedrich est conscient de l'état moral d'Hannah, elle lui parle très peu et lorsqu'elle le fait, c'est de manière peu courtoise. Il la voit sombrer et il se sent impuissant. Il craint qu'en la laissant côtoyer ses amis, comme elle le faisait avec Romain, cela lui cause à nouveau des ennuis. Alors, l'Allemand cherche un moyen pour permettre à Hannah de reprendre goût à la vie.

Le militaire monte les escaliers du quartier général de la Gestapo et se dirige vers le bureau de son supérieur pour le saluer. Il arrive au bout du couloir et constate que le bureau de Bömelburg est grand ouvert, ce qui signifie qu'il est disponible à recevoir Friedrich. Le compagnon d'Hannah frappe doucement avec son poing sur la porte en bois ; Karl relève la tête de ses documents et sourit à son suppléant. Il l'invite chaleureusement à venir s'assoir, Friedrich s'avance dans le bureau et ferme la porte de la pièce ; il vient ensuite s'assoir en face du militaire.

- Comment se porte Hannah ? demande Karl.

- Son état ne s'arrange toujours pas, je dirais même qu'il empire un peu plus chaque jour.

- Et vous ne trouvez pas le moyen d'arranger les choses ?

- Non hélas, je ne sais plus quoi faire pour l'aider.

- Et si elle quittait Paris ?

- Pourquoi ? Pour aller où ?

- Tant qu'elle est ici, l'ambassadeur exigera qu'on maintienne une surveillance élevée, mais peut-être qu'en l'éloignant de la capitale, il jugera qu'elle ne sera plus une menace. Alors elle pourra à nouveau sortir, rencontrer de nouvelles personnes...

- Vous voulez qu'on l'envoie où ? À Lyon, chez les résistants de Moulin ? Elle n'a plus personne là-bas de toute manière.

- Nous trouverons une solution, mais rien ne peut s'arranger tant qu'elle reste ici.

- Est-ce que vous pensez une minute à moi ? Je ne veux pas m'éloigner d'elle.

- Ce ne serait que temporaire ; une fois la guerre terminée, vous vous retrouverez.

- Si elle se finit un jour...

Karl Bömelburg ferme les yeux et soupire. Il voit et comprend parfaitement les inquiétudes de son ami. Il pose ses coudes sur le bureau en bois et joint ses mains tout en les frottant, se donnant le temps de réfléchir à une autre solution. Il fixe le mur de l'un des côtés de la pièce et fronce les sourcils.

- Pourquoi ne pas l'envoyer à Lille.

- Que fera-t-elle là-bas ? demande Friedrich dans l'incompréhension de la proposition de son interlocuteur.

- La mère de Romain Brunet vit là-bas si je ne me trompe pas.

- Vous voulez envoyer Hannah dans la famille de Brunet ? Vous plaisantez j'espère.

- Des informations que nous avons obtenues, Henriette Brunet n'a aucune implication dans la Résistance. C'est la mère de Brunet, peut-être qu'elle pourra lui apporter du réconfort.

- C'est déjà ce que je fais et ça ne change rien à son état.

- Vous êtes un soldat allemand, inconsciemment elle vous voit comme responsable de la mort de ceux qu'elle voyait comme des amis.

- C'était justifié.

- Si les résistants tuent votre meilleur ami et qu'Hannah est l'une d'entre eux, vous pourriez la regarder droit dans les yeux sans lui en vouloir, même si ce n'est pas elle qui a appuyé sur la détente ?

Le jeune Allemand relève la tête légèrement. Il aime éperdument Hannah ; alors pour lui, il est évident qu'il ne peut lui en vouloir pour quoi que ce soit un jour ; mais qu'en serait-il s'il était exposé au fait ?

- Je ne sais pas, je ne pense pas pouvoir répondre à cela, affirme finalement Friedrich.

- Laissez-la partir, rien ne vous empêchera de prendre de ses nouvelles.

Friedrich ferme les yeux un moment puis acquiesce, n'ayant pas de meilleure solution à proposer. Se séparer d'Hannah lui sera difficile à surmonter, il ne peut pas la garder enfermée dans leur appartement toute la journée et laisser son état se dégrader. Son cœur se serre à l'idée de quitter Hannah. Pour combien de temps va-t-elle être loin de lui ? Qui peut dire quand la guerre se terminera ?

Il se lève de la chaise et remercie Karl pour le soutien qu'il lui apporte. Le militaire quitte le bureau de son supérieur et se dirige vers le sien. Il pousse la porte de ce dernier, le regard perdu, il est absent de la réalité et il ne pense qu'à Hannah. Il vient s'assoir sur son fauteuil en velours ; il pose ses coudes sur le bois du bureau et joint ses mains. Son regard se pose sur le petit cadre posé sous la lampe du bureau, dans lequel se trouve une photo d'Hannah et Friedrich sur la place du Trocadéro. Cette photographie a été prise en décembre dernier, environ un an après leur rencontre. Il la prend dans ses mains et caresse la photo de son pouce, au niveau du visage d'Hannah. Ce qu'il doit faire, c'est avant tout veiller au bonheur de la femme qu'il aime.

Hannah ferme son livre et le dépose sur la petite table à côté du fauteuil sur lequel elle est assise, elle se lève et d'un pas lourd elle se dirige vers l'une des fenêtres du salon. Elle s'appuie contre le mur et observe la rue et les passants. Son esprit s'échappe dans ses souvenirs et elle se remémore les événements qui ont eu lieu ces dernières années. Cela va bientôt faire quatre ans qu'elle est dans la Résistance, et en quatre années elle a vu un grand nombre de choses dont certaines qu'elle aurait préféré ne pas voir.

Depuis la fenêtre, elle aperçoit un homme se diriger vers le bâtiment. L'homme s'arrête et regarde en direction d'Hannah. Après avoir remarqué la jeune femme, l'inconnu s'avance vers l'entrée de l'immeuble, Hannah n'est plus en mesure de le voir de là où elle est. L'homme se présente à l'officier allemand placé devant la grande porte d'entrée ; Friedrich a placé deux hommes ici pour veiller à ce qu'Hannah ne sorte pas sans qu'il soit au courant. L'inconnu se présente comme un médecin appelé par Hannah qui se sentait mal. Le soldat lui demande ses papier et l'inconnu lui donne sans hésitations. François Maillet, médecin traitant, lit l'Allemand. Il lui redonne ses papiers puis il invite le médecin à le suivre. Arrivé à l'étage de l'appartement et devant la porte de ce dernier, l'officier frappe à la porte. Hannah ne tarde pas ouvrir et adresse un regard interrogateur aux deux hommes.

- Votre médecin est arrivé mademoiselle annonce le militaire.

Hannah observe l'inconnu qui se tient à côté de l'officier ; il la regarde et hoche légèrement la tête vers le bas pour faire comprendre à Hannah qu'elle doit le suivre dans la situation.

- Oui, je vous attendais. Entrez donc, répond Hannah.

Alors que l'officier suit le médecin dans l'appartement, ce dernier s'arrête et se tourne vers le militaire.

- J'ausculte mes patients en privé uniquement. Vous devez rester dehors, merci.

- Mon supérieur exige que mademoiselle Marty ne soit jamais seule avec quelqu'un.

- Je suis médecin et je tiens au secret médical. Que voulez-vous que je lui fasse ?

L'officier ne répond pas et sort de l'appartement. Hannah lui sourit légèrement puis elle ferme la porte. Le médecin lui attrape le bras et il l'entraine dans le salon.

- Nous devons parler à voix basse au cas où le Boche serait tenté de nous écouter, prévient-il.

- D'accord mais qui êtes-vous ?

- Vous pouvez m'appeler Vienne, bien sûr vous comprendrez que je ne suis pas en mesure de vous donner mon véritable nom.

- Bien évidemment je comprends. J'en déduis donc que vous êtes de la Résistance.

- Oui, c'est Arnaud Armier qui m'envoie, il m'a demandé de vous trouver.

- Vous connaissez Arnaud ?

- Je suis l'un de ses informateurs. Il souhaite vous rencontrer mais tant que vous êtes ici, cela est impossible.

- Pourquoi ? Vous êtes bien ici.

- Nous ne pouvons pas tous nous faire passer pour des médecins. Et puis, j'imagine que si je viens souvent, ils feront des recherches sur moi et ils découvriront qu'il n'y a aucun médecin du nom François Maillet à Paris.

- D'accord mais je ne vois pas comment je peux quitter la ville. Friedrich n'acceptera pas, il ne m'autorise pas à sortir, alors quitter la capitale...

- Il faut que nous réfléchissions à une solution. Mais pour l'instant, ce n'est pas le plus important. Comment vous sentez-vous ?

- Je ne sais pas. Je n'ai envie de rien. Je ne supporte plus d'être enfermée et de ne rien faire chaque jour.

- Vous voulez reprendre vos activités dans la Résistance ?

- Oui bien sûr que je le veux. Mais ici, je ne peux rien faire.

- J'ai une bonne nouvelle à vous donner. Le plan Overlord, pour la libération du pays a été fixé au cinq juin. Le général va revenir en France et il amène les Anglais et les Américains avec lui.

- Vraiment ?

- Nous allons gagner cette guerre.

- Et j'y veillerai !

Le résistant sourit devant la détermination d'Hannah. La jeune femme se sent soudainement revivre ; cette nouvelle lui redonne de l'espoir et elle souhaite plus que tout continuer à se battre. Maintenant qu'elle est en contact avec l'ami d'Henry, elle ne se sent plus seule.

- Bien. Je ne vais pas rester plus longtemps ou bien l'autre là-derrière va se poser des questions, commence Vienne. Je vais tenter de venir une fois toutes les deux semaines en prétextant qu'il s'agit d'un suivi médical. De notre côté, nous allons chercher un moyen de vous faire quitter Paris.

- Entendu. Merci d'être venu, j'en avais grand besoin.

- Prenez soin de vous Hannah.

La jeune femme accompagne son nouvel allié vers la porte d'entrée. En l'ouvrant, les deux Français constate que le militaire est toujours positionné juste devant celle-ci et qu'il attend que le médecin s'en aille. Vienne ne fait pas attendre le soldat plus longtemps et il se dirige vers les escaliers, suivi de l'Allemand.

Friedrich rentre plus tard dans l'après-midi. En arrivant, il fait signe aux officiers qu'ils peuvent partir, leur journée étant terminée. Il monte et entre dans l'appartement. Hannah est installée dans l'un des fauteuils, elle lit son livre et ne prête aucune attention au retour de son compagnon. Friedrich dépose son porte document sur son bureau puis il enlève sa veste et l'accroche au porte-manteau. Il s'avance dans le salon et vient s'assoir dans le sofa, proche d'Hannah. La jeune femme relève la tête mais elle ne dit rien et garde une expression neutre, faisant mine d'être toujours dans le même état que ce matin.

- Comment te sens-tu ? demande-t-il

La résistante se contente de ne pas répondre et de soupirer en fermant les yeux après avoir détourné le regard.

- Écoute Hannah, je vois bien que tu ne vas pas bien depuis que tu es rentrée ; et ça me fait du mal de te voir comme ça.

- Oh tu es capable d'éprouver de la compassion, félicitation Monsieur Strauss.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Tu sais exactement pourquoi je ne vais pas bien, mais tu ne fais rien.

- Non je ne comprends pas le problème que tu as, puisque tu refuses de me parler.

- Mes amis, il est là le problème. Tu m'as fait revenir mais Romain est toujours là-bas et je ne sais pas comment il va ou bien s'il est encore en vie !

- Je ne peux rien faire pour lui. Il a été condamné parce qu'il nous a trahis, c'est un criminel !

- Mais c'est mon ami et c'est un humain avant tout. C'est cela votre problème, vous refusez de voir plus loin que le bout de votre nez et vous ne voyez que ce qu'un homme a fait de mal.

- Tu es amoureuse de lui.

- Quoi ? Non, je te l'ai dit, c'est mon ami, il est comme un frère pour moi.

Friedrich se lève et tourne le dos à Hannah, puis l'Allemand repense à la proposition de son supérieur.

- Hannah, est-ce que tu m'aimes ? demande-t-il en étant toujours dos à elle.

- Oui bien sûr, sinon je ne resterais pas ici.

L'Allemand se retourne et s'avance vers Hannah, il lui prend les mains et l'invite à se lever.

- Quand la guerre sera terminée, je veux que toi et moi, on rentre à Berlin et que nous nous marions.

- À Berlin ?

- Oui, je suis sûr que tu t'y plairas. Mais nous pourrons revenir à Paris de temps en temps, je sais que tu aimes cette ville. Alors est-ce que tu le veux ?

- Si c'est ce que tu souhaites, alors c'est oui.

Friedrich sourit et dépose un baiser sur la joue d'Hannah.

- Hannah, je t'ai entendue et je comprends que ton ami te manque mais je ne suis pas en mesure de l'aider, vos cas sont différents. L'ambassadeur veut que nous gardions un œil sur toi car tes amis de Paris sont des traitres, c'est pour cela que je ne veux pas que tu sortes car je ne veux pas que tu sois en contact avec des gens qui, demain peut-être, seront arrêtés ; je ne veux qu'on te mêle à tout cela encore une fois. Karl et moi, nous pensons que si nous t'éloignons de Paris jusqu'à la fin de la guerre, Abetz te laissera tranquille et ainsi, tu pourras avoir une vie tranquille jusqu'à ce que nous partions à Berlin.

- Mais où je vais aller ?

- On pense que tu pourrais aller chez la mère de Brunet. Nous savons qu'elle n'a aucune implication dans une quelconque forme de rébellion. Et puisque c'est la mère de Brunet, peut-être qu'elle sera en mesure de t'apporter du réconfort.

- D'accord. Je pense que c'est la meilleure chose à faire, vu ma situation.

- Je ne sais pas encore à quel moment tu partiras, nous devons en faire part à Abetz et à madame Brunet. Mais nous faisons ça pour toi Hannah.

- Oui je comprends, merci Friedrich, merci vraiment.

La jeune femme sourit à son compagnon. Friedrich y voit une délivrance, il est enfin parvenu à aider sa compagne. Quant à Hannah, elle y voit une opportunité : rencontrer la mère de Romain l'enchante beaucoup ; et s'éloigner de Paris va lui permettre de revenir complètement dans la Résistance.

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