Chapitre 15 - Sapiens sous les étoiles

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Hannah se lève du lit, toujours le cœur lourd. Elle porte encore dans sa mémoire, les souvenirs d'un lieu vu comme l'enfer sur Terre. Elle tente néanmoins de réapprendre à vivre mais cela n'est pas une tâche facile qu'elle doit accomplir. Elle porte en elle des motivations ; elle doit surmonter ces événements pour Romain qui lui, affronte toujours la souffrance des camps. Elle doit le faire pour la France car elle a une mission ; sauver son pays. Se laisser abattre serait une forme de trahison à la France, elle laisserait l'ennemi prendre son courage, sa volonté, son honneur... S'opposer à ceux qui entravent nos libertés n'est pas la seule forme de résistance. Hannah résiste, à la tristesse, au chagrin mais aussi à l'envie cruelle de mettre un terme définitivement aux hantises qui ont pris possession d'elle, le jour où elle a mis les pieds à Drancy. Sa volonté de se souvenir malgré tout ce qu'elle a vu, laisse marquer sur son front, le mot Sapiens. 

Romain trouve un morceau de papier et un vieux crayon. De sa main tremblante, il écrit, comme Hannah voulait qu'il fasse. Les mots se tracent sur la feuille sale, les vers tombent, la musicalité sonne dans ce sonnet qui souffle les souffrances des Hommes. Romain résiste face à la perte d'un art qui survole au-dessus de sa tête. Il se raccroche un peu plus à cette humanité que l'on tente de lui enlever, par les mots qu'il inscrit, par les pensées, les sentiments et les émotions qu'il grave sur ce si petit bout de papier. Il exprime ce qu'il ressent, même s'il s'agit de fatigue, de douleur et de dépression ; il inscrit ce qu'il ressent au plus profond de son être, pour laisser une trace. Son petit papier risque probablement d'être perdu ou détruit ; mais il l'aura écrit et cela est toujours mieux que de ne rien faire et attendre que le temps passe, sachant que l'issue la plus probable est la mort. Romain résiste à la perte de ce qu'il est. Et sur son front s'inscrit Sapiens.

Notre "ami" a eu une permission, le SS qui a aidé Hannah, revient à Berlin pour quelques jours, voir sa mère souffrante. Il rentre dans son pays natal avec dans ses pensées, les actes qu'il commet chaque jour depuis deux années. La souffrance qu'il répand le ronge, on lui impose de faire du mal, à cet homme qui respire encore comme s'il était un petit garçon. Appelé contre son gré à la guerre il y a cinq ans, il s'est retrouvé gradé dans la Schutzstaffel sans qu'on lui ait demandé son accord car l'élite a besoin de plus d'effectif. Il a été envoyé à Auschwitz, loin de sa famille et de tout ce qu'il connait pour devenir un bourreau que toute l'humanité va haïr par la suite. Il a eu la possibilité d'entrer en résistance comme Hannah l'a fait ; mais la peur s'est emparée de lui. Il a eu le choix entre obéir ou mourir et il a choisi la soumission en ayant parfaitement conscience de ce que cela implique. Il a voulu, il y a plusieurs mois de cela, mettre un terme à tout ceci, s'empêcher lui-même de faire plus de mal ; mais la lâcheté s'est emprise de lui. Il doit maintenant résister à la haine dégagée par ses camarades, qui tente de s'emparer de lui et il doit vivre avec ce qu'il fait sur la conscience.

Hannah sort de la chambre et se dirige vers le salon. Un silence de plomb pèse sur la pièce, la jeune femme est seule, livrée à ses pensées. Elle s'avance vers le piano qui dort depuis des mois sous la fenêtre ; elle relève le pupitre de l'instrument. Hannah fait glisser ses doigts sur les touches du clavier, les caressant doucement. Elle regarde le piano un moment puis elle s'assoit sur le petit tabouret. Elle commence à jouer un morceau que sa mère lui a appris il y a des années de cela. Elle s'immisce dans l'art de la musique, se raccrochant à cette humanité qu'elle préserve. Elle ferme les yeux et laisse la mélodie des cordes l'emporter ailleurs, elle n'est plus sur Terre, elle ne pense plus à autre chose qu'à la musique qu'elle joue et à ce qu'elle représente pour elle. 

Une enfant est assise contre un mur en bois, l'étoile jaune orne son uniforme ; ici tout le monde sait qui elle est. Elle tient une cuillère en bois dans les mains ; cette cuillère est plate et chaque jour, elle peine à manger sa ration de potage. Elle utilise l'ustensile pour dessiner dans la terre ; cela lui permet de s'évader un peu, de faire ce qu'elle faisait à l'école. Rapidement, la réalité la rattrape et un homme lui arrache la cuillère des mains et la reconduit à l'intérieur de la baraque. La petite fille est effrayée, le monde autour d'elle semble inquiété. Le temps passe, alors elle se met dans un coin, seule et elle commence à chantonner tout doucement. Elle est Sapiens par les sons qu'elle émet.

Hannah continue de jouer du piano, mais l'intensité de la mélodie s'accentue. La jeune femme y met de plus en plus d'émotions, rendant la musique plus poignante. Les souvenirs envahissent son esprit, elle pense à tous ceux qu'elle a laissés là-bas, aux personnes qu'elle aime et qu'elle ne reverra jamais. Hannah commence à pleurer, toute sa douleur se libère de son emprise charnelle et se dévoile au grand jour par ses larmes, ses gémissements mais aussi par la mélodie, qui reflète sa détresse émotionnelle. 

Deux SS entrent par l'arrière de la baraque, d'autres par l'avant. Ils font sortir tout le monde avec violence et la petite fille, innocente continue de résister, inconsciemment à cette folie, en chantonnant. Sous ses doigts, les touches du piano accélèrent le rythme, la mélodie jouée par Hannah se veut de plus en plus intense, triste, émouvante, bouleversante. L'ensemble du groupe de la baraque est conduit vers un escalier, la petite fille ne cesse toujours pas de chantonner. Ils descendent les uns après les autres, l'enfant aussi ; et on ne les reverra plus jamais. 

Hannah vide son corps de toute la tristesse qui la prenait. Son chagrin grandit quand elle pense à tous ces visages qu'elle a laissés derrière elle. Elle joue pour eux, elle se souvient pour eux, elle se bat pour eux et elle résiste pour eux. La jeune femme bascule dans des notes moins répétitives et peu à peu, elle change de mélodie. Les sons deviennent plus calmes et la résistante se délaisse de son chagrin. Elle pense à leurs noms et leur permet de résister à l'oubli. Il existe mille manières d'entrer en résistance.

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