Chapitre 10 - Drancy

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Drancy, 26 mars 1944

Malgré les efforts de Friedrich, il n'a pas réussi à empêcher l'internement d'Hannah à Drancy. Il se fiche bien de ce qui peut arriver à Romain ou bien aux autres résistants. Mais pour Hannah, la savoir enfermée est une idée qui lui est insupportable. Il est convaincu de son innocence et a réussi à convaincre Bömelburg même si l'officier a toujours quelques doutes. L'ambassadeur n'a rien voulu entendre et préfère croire Brunner ; pour lui, au moins de cette façon, ils ne prennent plus de risque à engager quelqu'un soupçonné de faire partie de la Résistance.

Hannah pleure encore la mort de Pierre. Mais ce n'est pas la seule mort que les deux Français ont dû pleurer. Après avoir été arrêté et transféré à Drancy, les nazis ont exécuté Henry pour en faire un exemple de plus, pour montrer à toutes personnes voulant s'opposer à eux que le sort à payer est la mort. Ils ne se sont pas gênés de le faire devant les camarades d'Henry, un groupe qui ne comprend pas uniquement Hannah et Romain, mais aussi d'autres résistants que l'ambassadeur à fait, sur les conseils de Brunner, transférer à Drancy avant d'être déportés dans les camps nazis à l'Est. Brunner a vivement conseillé à l'ambassade de tenir à l'écart quelque temps, la branche de la Gestapo dans laquelle Friedrich et Bömelburg sont affectés. Alois ne veut pas que les deux hommes viennent mettre leur nez dans les déportations qui vont prochainement se faire, car il sait parfaitement que la compagne du jeune officier en fera partie.

Hannah et Romain sont là depuis quelques jours, dans ce lieu où la souffrance et le désespoir sont présents dans les moindres recoins du camp. Ils sont entourés de Juifs et font face à leurs conditions de vie épouvantables. Ce qu'ils ignorent, c'est que là où on se prépare à les emmener, nul ne connaît la tranquillité et le repos. 

Ici à Drancy, ils sont traités comme les autres prisonniers, pas comme des sous-hommes ou comme des animaux, non moins que ça encore. On les a installés dans un petit appartement déjà occupé par une faille juive de six personnes. La famille leur a donné un lit pour tous les deux, mais un petit lit de fortune sur lequel une personne tient déjà difficilement, alors deux... Pendant les journées, Hannah s'occupe de la maison avec la mère de famille et les deux filles ; Romain, lui, donne un coup de main au père et aux garçons qui réparent des chaussures toute la journée. Les deux résistants n'ont pas le choix, ils doivent se mettre à la tâche s'ils veulent manger le soir.

Pour la jeune femme, c'est un nouveau mode de vie très difficile, elle qui a toujours été habituée à un confort important dans son quotidien. Et elle avait pris l'habitude de ne manquer de rien depuis qu'elle vivait avec Friedrich. Pour Romain c'est un peu différent, il n'a jamais vécu avec de l'abondance et s'est très souvent contenté de ce qu'on lui donnait.

Heureusement, les deux Français n'ont pas été séparés et peuvent toujours compter l'un sur l'autre. À vrai dire, ils se voient difficilement surmonter cette épreuve l’un sans l'autre. Il est vrai que les deux résistants ne se connaissent que depuis quelques mois ; mais lorsqu'on vous embarque dans une telle aventure, quand vous passez tant de temps avec une même personne, que vous placez une immense confiance en elle, forcément, les liens se tissent rapidement. Ils se sont énormément attachés l'un à l'autre mais aucun des deux n'a pour l'instant tenu à parler de la forme de cet attachement. Leur attachement fait néanmoins leur force ; en ayant besoin l'un de l'autre, ils tiendront aussi longtemps que nécessaire. Et si l'un meurt, alors l'autre se battra pour l'autre ; celui qui tombe verra Paris être libéré à travers le cœur et l'amour pour la Nation de l'autre. Hannah et Romain forment une équipe soudée, ce sont deux partenaires qui ont su se connaitre et se comprendre.

D'un jour à l'autre, l'espoir de revoir à nouveau la liberté disparait puis réapparaît lorsque les deux Français pensent à la libération. Ils gardent foi en l'idée de délivrer le pays de la domination allemande.

Les deux partenaires sont assis sur le lit qu'ils partagent.

- Henry connaissait des personnes dans le Sud, commence Hannah.

- Quel genre de personnes ?

- Des résistants, c'est la seule chose que je sache d'eux.

- Il t'a donné le moyen de les contacter ?

- Il m'a dit de trouver Arnaud Armier qui, aux dernières nouvelles, vit à Lyon.

- Tu ne le connais pas ?

- Je ne connais pas toutes les personnes qui vivent à Lyon, c'est une grande ville.

- Sais-tu s'il y a quelqu'un là-bas qui pourrait le trouver ?

- Je connais bien quelqu'un. Un homme qui vivait non loin de chez moi, il doit y être toujours. Je sais peu de choses de lui ; mais pour ce que j'en sais, il déteste les Allemands. Il nous aidera sûrement.

- Alors quand on sera sorti d'ici, il faudra le contacter pour savoir s'il peut trouver cet Arnaud Armier.

Hannah acquiesce d'un mouvement de tête.

- Si j'arrive à contacter Friedrich, je peux peut-être nous faire sortir d'ici.

- Toi oui, il remuera ciel et terre pour toi. Mais pour mon cas, je doute fort que mon sort l'inquiète.

- Je trouverai un moyen je te le promets.

- Sache que quoi qu'il puisse arriver, je serai toujours avec toi et je serai toujours là pour toi. 

- Pour Pierre et Henry, dit la jeune femme en prenant la main de son ami.

- Pour Pierre, Henry et tous nos compagnons. 

Lorsqu' Hannah était enfant, on lui racontait souvent comment son père s'était battu pour son pays. Il était un héros pour elle. Son père chérissait la France et a toujours été prêt à donner sa vie pour les autres. Hannah l'admirait et le prend aujourd'hui encore pour modèle. D'un certain côté, parmi toutes ses raisons, c'est pour lui qu'elle est entrée dans la Résistance. Lui, il n'aurait pas hésité une seconde à s'opposer aux Allemands et à se battre pour libérer le pays. Elle marche dans ses pas et comme lui, elle donnera sa vie pour son pays s'il le faut.

Dans le camp, il y avait quelques autres résistants. Hannah et Romain en connaissent certains, pour d'autres, ils les connaissaient déjà auparavant sans savoir s'ils avaient un lien avec la Résistance ; et il y a aussi de parfaits inconnus. Certains d'entre eux avaient, tout comme Hannah et Romain, Pierre pour ami. Et sa mort les attriste tout autant.

Nos deux compagnons ont pu discuter avec quelques résistants. Il y en a qui ont lâché l'affaire, d'autre qui veulent toujours se battre, provoquant parfois les SS du camp ; et il y en a qui espèrent simplement pouvoir rentrer chez eux et qu'on les laisse tranquille pour toujours.

Ce qu'ils ignorent, c'est ce qu'il va leur tomber dessus. Pendant que Romain et Hannah tentent d'oublier les jours difficiles qu'ils traversent, Friedrich cherche un moyen de faire libérer sa compagne du camp de transit. Il est installé dans son bureau avec tous les documents la concernent devant lui. Aucun des documents existants ne peut montrer clairement la culpabilité d'Hannah dans les "crimes" pour lesquels elle est accusée. Il y a le fait que depuis qu'elle fréquente son Allemand, des documents disparaissent ; mais pour Karl et Friedrich c'est plus une coïncidence qu'une preuve. 

- Êtes-vous certain de ne pas pouvoir faire quelque chose pour Hannah ? demande Friedrich en entrant dans le bureau de son supérieur, Karl Bömelburg.

- Hélas, l'ambassadeur a une meilleure position que moi et Brunner ne semble pas voir Hannah comme innocente. À ce stade, je ne peux rien faire. 

Le jeune Allemand soupire désespéré puis il quitte le bureau de son supérieur. Ce que Karl ne lui a pas dit, c'est que la situation de son amie n'allait pas s'améliorer.

De son côté, Romain lui aussi cherche un moyen de sauver Hannah. Ce n'est pas son sort personnel qui le préoccupe mais celui de la jeune femme. Il doit tenter le tout pour le tout et le mensonge est de rigueur. Mentir, inventer des faits est le seul moyen qu'il possède pour aider Hannah. Il récupère une feuille de papier et un stylo et écrit ses aveux. Il avoue absolument toute son implication dans la Résistance ; mais il ne dénonce pas ses camarades. Il avoue avoir participé à des missions d'espionnage et de sabotage mais ne précise pas où, quand et avec qui. Puis il finit par parler d'Hannah. Il explique que la Résistance s'est servie d'elle à son insu, qu'ils l'ont poussé, sans qu'elle s'en rende compte, dans les bras de Friedrich ; et après qu'elle eût obtenu la pleine confiance des Allemands, ils ont fait entrer Romain dans sa vie pour qu'elle l'infiltre, sans le savoir, dans la vie privée des deux hommes.

Par cette lettre d'aveux, Romain montre, malgré le fait que ce soit un mensonge, l'innocence d'Hannah dans cette histoire. Il doit maintenant faire parvenir cette lettre à Friedrich et espérer qu'elle suffira à démontrer l'innocence d'Hannah et à la libérer d'ici.

Malheureusement, le jeune Français s'y est pris trop tard pour faire sortir sa compagne de Drancy. Les SS réunissent tous les prisonniers dans la cour du camp. L'un des SS tient une liste dans ses mains.

- À l'appel de votre nom, retournez dans votre foyer, récupérez vos affaires les plus importantes et revenez ici vous ranger en colonne, dit l'officier en désignant l'endroit où les personnes choisies doivent se mettre.

Il appelle beaucoup de personnes, nom après nom ; la peur d'être appelé se fait ressentir chez beaucoup. Ils ne savent pas où vont les gens qui sont retenus ; mais Hannah et Romain oui. Même s'ils ne savent pas exactement ce qui leur arrive une fois là-bas, ils se doutent que ce n'est rien de bon. 

- Marty Hannah, Brunet Romain, prononce l'officier.

Les deux Français tombent de haut. Ils ont été appelés et ils savent que ça ne signifie rien de bon. Ils se regardent, tous deux inquiétés. Ils n'ont pas le choix, ils se dirigent vers l'appartement où ils dormaient pour récupérer leurs affaires. Des soldats et des policiers du camp les pressent pour rassembler leurs affaires. Ils ont à peine le temps de dire adieu à la famille avec qui ils vivaient et ils retournent dans la cour. On les fait monter, Hannah et Romain ainsi que les mille autres personnes, dans des camions. Certains enfants pleurent, les parents sont inquiétés, ne sachant pas où on les emmène. Les camions démarrent et quittent le camp. Ils arrivent en une dizaine de minutes à la gare du Bourget, là où un train à bestiaux les attend. Les SS font descendre avec peu de douceur les sélectionnés des camions et ils les poussent à rentrer dans les wagons du train. Hannah et Romain sont entassés avec une vingtaine de personnes dans l'un des dernier wagons du train. Celui-ci se met en route, les deux compagnons se regardent inquiets.

Le voyage semble durer une éternité, le train s'arrête plusieurs fois pour prendre de nouveaux prisonniers, augmentant davantage le nombre de personnes dans chaque wagon et réduisant l'espace disponible pour chacun. Nul n'obtient à manger et à boire de la part des SS lorsque le train s'arrête dans une gare. Certains ont eu raison d'emporter avec eux de quoi tenir un jour, pas plus. Et lorsque quelqu'un sort de quoi se mettre sous la dent, une rafale de prières lui arrive sur les épaules ; d'autres se font même agresser. Hannah et Romain tiennent le coup mais dès le deuxième jour, l'odeur de la crasse et des cadavres de ceux qui n'ont pas supporté le voyage, envahit le wagon, laissant planer un sentiment de voyage interminable chez ceux qui restent et luttent pour ne pas succomber.

Pendant ce temps, à Paris, Friedrich reçoit la lettre de Romain. Il court dans le bureau de Bömelburg pour lui faire part des aveux du Français et de la preuve de l'innocence d'Hannah. Un espoir renaît dans son regard quand il dit qu'ils vont pouvoir la libérer ; mais cet espoir disparait lorsque son supérieur prononce ces mots :

- Elle a été déportée vers Auschwitz.

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